Hyacinthe : « mes chanteurs préférés ne sont pas académiques »
Hyacinthe, plus brillant que les paillettes, plus sombre que la nuit. Subtile jeu d’ombres et de lumières qui définit l’un des personnage les plus insolites du rap français. Découvert avec les projets Sur la route de l’Ammour 1 et 2, le garçon confirme son talent avec Sarah, un premier album soigné.
Naturellement doué pour l’écriture et judicieusement entouré de musiciens de tous horizons, Hyacinthe se rêve en grand chef d’orchestre. Notre Kanye West français, en quelque sorte. Lui qui n’a d’yeux que pour Booba se fascine depuis quelques temps pour la chanson française, dans laquelle il puise sans complexe pour façonner ses mélodies envoûtantes.
Véritables hymnes électroniques inspirés du style gabber, les chansons de Hyacinthe interpellent, déroutent, choquent même parfois. Qu’il s’agisse des paroles ou des arrangements, les aspérités de sa musique font tout son intérêt. Un son tantôt agressif, tantôt mélancolique, qui mérite qu’on s’y attarde.
Le prétexte tout trouvé pour rencontrer l’intéressé et revenir avec lui sur les artistes qui l’inspirent, les sujets personnels qu’abordent ses textes et le concept de mauvais goût dans la musique. De Stephen King à Lapinot le lapin, le jeune homme dévoile un trésor d’inventivité pour décrire au plus juste sa vision artistique.
L’interview a été réalisée et publiée en partenariat avec le magazine papier iHH. Retrouvez-la en version étendue dans le prochain numéro du mag, bientôt disponible ici.
Hyacinthe, ton nom vient du roman Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Comme lui, tu perçois la beauté dans des choses laides, n’est-ce pas ?
Il y a quelque chose de commun, même si je ne prétends pas avoir le quart de son talent. Si je lui arrive à la cheville, c’est déjà bien. Ma démarche n’est pas inédite dans le rap français. La façon dont écrit Booba est super sale, pourtant j’y trouve quelque chose de beau. Sans être forcément conscient, c’est le cas chez beaucoup d’artistes.
Comment Booba, Kanye West et Jeezy, qui comptent parmi tes plus grandes références, t’ont-ils influencé ?
Booba est le rappeur que j’ai le plus écouté. Il a toujours été hyper juste dans sa démarche, quelle que soit l’époque, et sa carrière a atteint un niveau stratosphérique. L’album Ouest Side est très direct, avec beaucoup de formules très cash. Il est un symbole de réussite pour une certaine jeunesse.
Jeezy, ce sont ses cris de rage qui m’on plu. Ses chansons sont des hymnes guerriers super bas du front mais très beaux, qui invitent à se bouger le cul. Finalement, j’ai toujours aimé les hymnes. La musique de Booba, c’est ça !
Kanye West, je m’en fous avant l’album 808 & Hearbreaks, qui m’a traumatisé. Je l’ai découvert au même moment qu’Hymalaya de Mala, et là je me suis dit : voilà la musique que j’aime ! Une sorte de cri électronique. Dix ans après, 808 & Hearbreaks est resté actuel. C’est un des albums les plus importants de l’histoire du rap.
Est-ce que tu connais Lapinot et les carottes de Patagonie ? C’est une BD, imaginée par quelqu’un n’ayant jamais dessiné (Lewis Trondheim, ndr). Il a créé sa propre BD, un livre de cinq cent pages. S’y mettre et aller jusqu’au bout, c’est est la meilleure façon d’apprendre. Kanye, c’est pareil : faire un album de chanson alors qu’on ne sait pas chanter, c’est fascinant.
« Kanye, c’est un peu comme ton pote maladroit, qui aurait choisi de devenir un immense artiste. »
Qu’est-ce qui t’attire chez un artiste ?
Mes chanteurs préférés, que ce soit Christophe, Biolay ou Manset, ne sont pas académiques. Dans le rap français, on arrive à un tel degré de maîtrise qu’on perd parfois la sève. Personnellement, je préfère un artiste qui me procure de l’émotion, quitte à rapper bizarrement. Kanye, c’est un peu comme ton pote maladroit, qui aurait choisi de devenir un immense artiste.
Alors qu’une partie de la chanson française semble enfin découvrir le rap, tu es toi-même en pleine découverte de la chanson française. Que t’apprennent ces artistes ?
Me définir comme le nouveau chanteur français, l’héritier de Bashung ou Christophe, n’a pas de sens. J’évite soigneusement l’appropriation culturelle. Par contre, prendre des éléments stylistiques différents du rap me donne un nouvelle corde à mon arc. Leur façon d’interpréter un couplet, de rebondir, de terminer une phrase, m’inspire.
Le rap s’est toujours nourri d’autres styles. Les synthés dirty south des années 2000, comme chez Lil Jon ou Usher, ce sont des synthés trance. À notre tour, on reprend ces codes et on les utilise comme tel. En fait, je chante depuis 2013, mais je n’avais pas encore osé le présenter.
Il y a quelque chose de chauvin dans ma démarche. C’est important de m’inspirer de musique française ou européenne, plutôt que de faire de l’américanisation. Dire que l’on va faire comme les américains, ça me saoule. Impossible d’être aussi forts que Young Thug ou Future dans leur style. En plus, notre patrimoine culturel est super cool ! Il ne demande qu’à être rafraîchit.
En France, on a parfois le sentiment de devoir coller une autre étiquette que « rap » pour que les gens écoutent.
À mon avis, c’est plus un cliché de magazines. Dans la pratique, tout le monde écoute du rap. Tout le monde connait « Sapés comme jamais » !
« Au final, je suis peut-être un beauf. Peut-être que j’ai juste mauvais goût ! »
Contrairement à plein d’artistes qui cachent leurs plaisirs coupables, tu revendiques tes goûts même les plus « douteux ». Comment parviens-tu à envoyer le bon goût se faire voir ?
Au final, je suis peut-être un beauf. Peut-être que j’ai juste mauvais goût ! (rires) Sérieusement, on me vend comme un rappeur intello à la con, alors que j’ai écouté Booba toute ma vie. Il faut dé-contextualiser les choses. Des types te disent que JuL c’est naze, alors qu’ils écoutent les pires trucs électro-posés du monde, bon…
Oui, j’écoute JuL et je trouve qu’il a de super chansons. À côté de ça, je peux te parler d’Aphex Twin et de Clark. Savoir ce qui est de mauvais goût m’importe peu. Je préfère écouter de tout et garder ce qui me plaît. Il faut savoir rester curieux.
Sur ton premier album Sarah, tu creuses des sujets plus personnels, comme la famille et surtout ton père. Y a-t-il des cicatrices que tu n’as pas encore grattées ?
Sûrement. Même si cet album contient quelque chose de très autobiographique, ma musique est toujours un résumé de ma vie. Après, je n’ai pas envie de tourner en rond et faire cinq album sur mon daron. Là, je suis en pleine réflexion pour voir comment faire évoluer mon discours.
La musique peut également trouver sa source à l’extérieur.
Complètement, c’est un des enjeux à l’heure actuelle ! Beaucoup de mes sujets sont autobiographiques. Même si ce n’est pas facile, je me force à sortir de ma zone de confort. Quand tu remets tout ce que tu fais en question, que tu trouves tout nul, c’est intéressant et difficile à la fois. Mais tranquille, il y a le temps. Enfin, pas tant que ça…
Est-ce que tu sens une certaine urgence ?
Franchement, oui. Ma chance est inespérée, il faut enchaîner ! Quatre ans auparavant, je postais des mixtapes sur Bandcamp que seules 300 personnes écoutaient. Maintenant, ça commence à intéresser des gens. J’ai un public, je remplis des salles… C’est le moment d’y aller.
Lino dit que la musique n’est pas un sprint mais une course de fond. À mon sens, c’est un sprint qui ne s’arrête jamais. Est-ce que tu as lu Marche ou crève de Stephen King ? C’est un des trois livres que j’ai lus (rires), l’histoire d’un groupe de gens forcés à marcher. Tous ceux qui sont à la traîne se font descendre et un seul survit. La musique, c’est ça : il faut marcher, et vite !
« Tu as lu Marche ou crève de Stephen King ? La musique, c’est ça : il faut marcher, et vite ! »
Le S-Crew dit « Tout seul, tu vas plus vite. À plusieurs, tu vas plus loin. » Est-ce que ton équipe t’aide à garder cette dynamique ?
Que Krampf et L.O.A.S (compagnons de route de Hyacinthe, avec qui il forme le collectif DFHDGB, pour Des Faux Hipsters et Des Grosses Bites, ndr) soient présents est indispensable !
Est-ce que DFHDGB n’a pas joué le rôle seconde famille pour toi ?
Totalement. En plus de L.O.A.S. et Krampf, il y a mon photographe Pierre, avec qui j’ai fait un calendrier photo à Tokyo récemment, et mon pote Tiago, qui font partie de la famille. Ils sont tous les cinq dans un groupe avec qui j’échange régulièrement sur mon projet. Chacun m’apporte de la force grâce à ses propres moyens.
C’est vrai que tu as sorti un calendrier et même un pack deluxe pour la sortie de Sarah. Es-tu le dernier fétichiste des objets collector ?
Faire des packs deluxe, c’est ce que je préfère. Je dois être le premier rappeur français à faire un calendrier ! (Rires) Pour les t-shirts, on se donne du mal. Les gens consomment de moins en moins de CDs, alors proposer ce genre de choses est une question de survie économique.
Faire de la musique coûte de l’argent et je déteste les crowdfundings. Bien qu’écouter en streaming donne de la force à l’artiste, la réalité est telle qu’il a besoin de plus pour faire un disque. Là, si tu souhaites soutenir le projet, tu peux. Et en plus, tu en as pour ton argent !
Revenons-en à la musique. Tes chansons parlent d’adultère, alors que tu dédicaces tous tes albums à une seule et même fille. Es-tu libertin ou schizophrène ?
Tout est fictionnel, n’abordons pas ce sujet ! (rires)
J’ai une théorie tordue sur la question. Dans la mythologie grecque, Hyacinthe est aimé d’Apollon et Zéphyr. L’un d’eux l’éduque et l’élève, l’autre le tue par jalousie. Est-ce que Sarah et Ammour ne sont pas ton Apollon et ton Zéphyr ?
Hyacinthe, perdu entre bien et mal, Sarah et Ammour… Pourquoi pas, ça se tient, bravo ! (rires)
Comme Future, la tristesse semble être ton carburant. Arrêter d’être triste, comme le dit l’un des titres de l’album, pourrait-il mettre fin à ta carrière musicale ?
Écoute, je ne sais pas, peut-être que je ferais autre chose. Au fond, si j’arrête la musique demain, ce n’est pas grave. J’en ai encore sous le coude et je devrais encore être là pour quelques temps, mais peu importe. Il vaut mieux être heureux et avoir un bar à cocktails sur une plage que faire du rap à Paris sous la pluie.
« Le rap est un miroir grossissant de la société et la société est homophobe. »
Têtu t’a interviewé parce que le clip de « Sur ma vie », réalisé par Anna Cazenave Cambet, met en scène deux garçons qui s’embrassent.
Le clip regroupe presque tous les invités de l’album, c’est une cartographie de la jeunesse qui m’entoure. J’ai des potes gais, des potes lesbiennes, des potes hétéros, et j’ai juste mis tout le monde ensemble. En vrai, ça n’a pas de sens qu’on en parle. Des garçons qui aiment les garçons et des filles qui aiment les filles, ça a toujours existé.
L’homosexualité, je m’en fous. Entendre : les gens font ce qu’ils veulent. J’ai bien conscience que c’est rare dans le rap français, mais ce n’est pas une démarche spécifique de ma part. Le rap est un miroir grossissant de la société, et la vérité, c’est que la société est homophobe.
Maintenant que c’est dit, je ne suis pas un rappeur LGBT, de même que je ne suis pas un rappeur féministe. Même si je suis féministe, dans le sens où je suis pour l’égalité homme-femmes, me définir comme tel serait en faire un ressort marketing et on retomberait alors dans les mêmes travers.
Jok’Air et toi vous suivez depuis l’époque du lycée et tu collabores régulièrement avec lui. Comment avez-vous fait pour rester si proches ?
La vie a fait que l’on s’est suivis, alors que notre style est très différent. Avec son grand frère Davidson, on se porte un respect mutuel. Il charbonne, il se bat pour ce qu’il aime, c’est une bête de travail. « La mélodie des quartiers pauvres », c’est la chanson de l’année, sérieux !
Être « l’idole des jeunes », comme le dit ton avatar Twitter, c’est un objectif plausible ?
Non, c’est de l’humour bien sûr. Chacun cherche à devenir soi-même et la musique, c’est ma façon d’essayer. Plus ça va, plus je m’émancipe de carapaces sociales, de choses qui ne sont pas spécialement moi et ça se ressent dans ma musique. C’est super nul comme métaphore, mais on est comme des oignons, je pense qu’on doit retirer les couches pour arriver au coeur.
C’est beau, merci ! (rires)
Photos : Thomas Lang