Sorti il y a déjà près de 10 mois, Replica 2 vieillit depuis comme un bon vin dans la rotation musicale de bon nombre d’auditeurs avisés. Reposant sur le duo Huntrill – Hologram Lo’, ce disque s’inscrit dans la lignée des dernières œuvres sorties chez la désormais grande écurie Don Dada Records. Si le label offre un réel gage de qualité, Replica 2 aura-t-il réussi à s’imposer comme un projet d’abord inattendu et désormais plébiscité à juste titre ? Analyse.
« Je ball puis j’hyperbole. Je suis ma propre figure de style. »
Présenter Huntrill est loin d’être aisé. Véritable ambassadeur de l’ambiguïté entre réel et fictif, Huntrill est un rappeur dont on ne connaît que peu de choses. Alors quoi de mieux que de l’introduire par ce qui le caractérise par dessus tout ? Si dans « Une âme pour deux » Damso avait été sauvé par son flow, Huntrill le serait assurément par ses punchlines. Pleine d’insolence et de confiance en soi, cette dernière fait office de carte de visite du style si propre qu’il a su développer au fil de ses projets.
En effet, Replica 2 (2024) s’inscrit dans une lignée de 5 projets solos déjà sortis entre 2019 et 2022. Néanmoins, seul BigSTRaat (2022) avait dépassé la barre fatidique des 10 titres. On y retrouvait notamment Ratu$ et Rounhaa sur des collaborations explosives. Ainsi, Huntrill aura pris du temps avant de passer au long format. Quoi de plus logique pour un rappeur ayant fait ses gammes à partir de 2017 dans le 91 au sein du Crew 700 Psyk ?
Toutefois, le tournant de sa carrière s’opère en 2022. Alors repéré par le prestigieux label Don Dada Records (Alpha Wann, Infinit), Huntrill y fête sa signature avec son premier EP collaboratif réalisé avec Hologram Lo’, co-fondateur du label et beatmaker d’exception. Composé de 3 titres avec l’excellent « Bitcoin » ft. Alpha Wann, Replica dessinait à l’époque les prémisses du potentiel fou de Replica 2. A cet égard, les boucles planantes se marient à merveille avec l’interprétation vaporeuse de Huntrill. Dès lors, il restait encore à confirmer cette brève promesse sur un format plus long.
En ce sens, sur Replica 2, l’écurie Don Dada prend le pari de prolonger la collaboration sur 8 titres supplémentaires s’ajoutant aux 3 préexistants. Extrêmement dense en contenu, Huntrill s’y mue en équilibriste oscillant entre l’élégance de la prétention et le ridicule de l’arrogance dans des textes où rien ne semble lui faire froid aux yeux. Reste à savoir de quel côté Replica 2 se situe après 11 titres consécutifs.
« Je prends 15 avions par an et je trie mes déchets.
Je scam des grands-mères mais je ne mange pas de porc. Je trie mes péchés. »
Des productions modernement anciennes
Si Gepetto est l’artisan avéré du succès de Pinocchio, Hologram Lo’ est assurément un personnage central de la transformation de la portée de la musique d’Huntrill. A l’image du menuisier italien, Lo’ a d’une certaine manière redéfini le terrain de jeu sur lequel le MC, alors en quête d’identité musicale, pouvait s’exprimer. En effet, en trouvant un parfait équilibre entre trap et boom bap, Hologram Lo’ peint sur Replica 2 un décorum fait de boucles planantes, tantôt mélancoliques, tantôt énergiques.
Or, cela sied à merveille au style d’Huntrill. De fait, Huntrill n’est pas un de ces kickeurs prêt à manger le micro à chaque occasion. En ce sens, son style repose sur un mélange de nonchalance et de relâchement où le texte joue un rôle crucial. Dès lors, la lenteur des instrumentales permet au rimeur d’exprimer son potentiel, tant l’emphase est mise sur la prochaine barz. A cet égard, « Strip » et « Le biff et moi » incarne dès le début du projet ce parti pris.
« Je me plains de la corruption en Afrique et puis je gifle un noir pour un regard. »
Ce style atteint son apogée sur « Tristesse qui coûte cher » où son interprétation désabusée se marie parfaitement avec une boucle plaintive. Il y décrit son rapport médicinal (voire toxique) à l’argent en laissant la production lancinante s’exprimer à sa manière. Ainsi, si l’équilibre musical est assurément l’œuvre d’Hologram Lo’, il faut tirer notre chapeau à Huntrill qui ne fait pas que poser sur les instrumentales. En effet, il laisse l’atmosphère de chacune d’entre elle exister afin de soutenir son propos. La qualité du projet tient donc en grande partie à cette alchimie réciproque entre les deux artistes qui n’hésitent pas à s’effacer pour laisser l’autre briller.
Un « hustler européen »
Dans sa première et dernière interview donnée chez Clique, Mouloud Achour s’essayait à décrire du mieux qu’il le pouvait Huntrill. Au vu des innombrables références aux métropoles européennes (Paris, Londres, Rotterdam, Amsterdam…), de sa fascination pour la mode et de sa quête perpétuelle d’un train de vie toujours plus faste, Mouloud Achour proposait avec justesse l’expression de « hustler européen ».
Si de toute évidence cette expression caractérise l’homme dont la vie est décrite dans les musiques d’Huntrill, il demeure difficile de faire la part entre le vrai et le faux; tant cette vie semble romancée. En ce sens, Huntrill ne nous rend pas la tâche aisée. En effet, si l’on s’en fie à sa biographie Instagram, ce récit serait 100% fabuleux : « Mon insta ne reflète pas ma vraie vie, ma musique non plus. » En vérité, ceci n’est pas si étonnant lorsque l’on prend en considération le fait qu’il n’a toujours pas révélé son véritable nom au grand public. A cet égard, en interview, il déclarait :
« Trill, c’est mon nom. Hunt, mon nom de famille. (…) Ce n’est pas une stratégie, mon rap et mon image doivent coller à ma personnalité. Il est dans mes habitudes de ne pas trop en dire. »
Ainsi, Huntrill est un personnage mystérieux capable de susciter le fantasme chez quiconque. A cet égard, il n’est pas étonnant de le voir associé à Nadir Hifi, arrière fantasque du Paris Basketball coutumier des tirs plus absurdes les uns que les autres. En effet, tous deux partagent une maitrise profonde de la technique leur permettant d’innover dans des styles souvent proches de l’arrogance et de la nonchalance. Dans le cas du premier, cela se caractérise par un jeu permanent sur l’écriture via des rimes multisyllabiques, des assonances, des parallélismes et des anaphores. Or, cet amour pour le rap technique est continuellement mis au service du propos. De même, ces figures de style, incessantes dans son écriture, retombent toujours sur des punchlines marquantes d’une insolence contagieuse.
Rapper l’argent certes, mais jusqu’où ?
Si Huntrill en fait fantasmer plus d’un, c’est que l’argent occupe une place centrale dans l’ensemble de ses textes. En ce sens, Huntrill s’inscrit dans la lignée d’un Rick Ross, dont la vie outrancière attirait par son caractère impossible. Ainsi, le rappeur du 91 symbolise pleinement cette envie d’incarner un horizon impensable d’une richesse dépassant toute sorte de mesure. Pour en parler, Huntrill tire le trait aux extrêmes en livrant une ode à la longue tradition d’egotrip dans le rap.
« J’ai le syndrome de la feuille blanche et du billet vert. »
De plus, son écriture vaporeuse sert totalement ce jeu conscient sur le fantasme. Ainsi, Mehdi Maïzi avait notamment pu déclarer dans son émission le Code Review qu’Huntrill était devenu le rappeur qui le faisait le plus rêver et qui lui donnait le plus envie d’être plus riche qu’hier. Et il n’a pas tort. Mais cette recette est-elle pérenne ? Un artiste peut-il se contenter de conter une vie d’opulence en modifiant les tournures de phrase d’un projet sur l’autre ?
« Je suis pas lyriciste. Je parle juste bien français. »
Sur un format court et singulier, le rap d’Huntrill sur Replica 2 fait mouche. En effet, il remet au centre du propos l’art de la punchline que de moins en moins d’artistes chérissent mais toujours pour raconter à quel point il est plus riche que son prochain. Sur ce projet, cette arrogance est amusante voire jouissive car elle demeure inédite et innovante dans le rap français. Néanmoins, l’enjeu pour Huntrill n’est en 2025 plus seulement de satisfaire les amoureux de rap bien produit et rythmé par des punchlines marquantes. En effet, l’enjeu est désormais de pouvoir confirmer après cet excellent projet grâce à cet équilibre entre des productions d’exception et une originalité au micro portée par d’incessantes punchlines dont l’idiotie fait sourire, aussi bien dans leur évidence que dans leur stupidité.
Or, Huntrill n’a pas tardé à sortir un projet supplémentaire. En ce sens, le 29 novembre 2024, Huntrill publiait Nouvelle Trap 2. Si le projet demeure de bonne facture, Nouvelle Trap 2 n’a rien de Replica 2. Sans les productions assez exceptionnelles d’Hologram Lo’ (dont le travail de développement n’est pas assez cité par ailleurs), la plume d’Huntrill n’a pas le même impact et tombe de temps à autre dans une redondance regrettable. Sans se dénaturer, Huntrill devra probablement s’affranchir de la recette Replica 2, unique en son genre. Sans cela, une lassitude risque de s’emparer de son public qui attendra surement plus que de savoir qu’il a acheté une paire de plus, bien que celles-ci soient cruciales à sa santé mentale.
« Une paire de Dior c’est 20 séances de psy. »
NB : Replica 2 est à retrouver dans notre top 10 des albums de l’année 2024.