Hommage à Bill Withers en 10 samples

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Hommage à Bill Withers en 10 samples

Artiste phare des années 70, Bill Withers s’est éteint ce vendredi 3 avril, laissant derrière lui un des plus grands héritages de la soul américaine. Retour sur son oeuvre en 10 samples.

Bill Withers n’est plus. L’homme qui a pris sa retraite dès les années 80 n’aura jamais vu son aura faiblir sur les quarante dernières années. Maintes fois repris, il était l’auteur de ces morceaux qui traversent les années comme des repères intouchables, des balades qui vous réchauffent l’âme et participent à fabriquer ces maillages vertigineux que seuls les grands catalogues peuvent offrir. Comme tout grand artiste soul de son époque, Bill Withers s’est vu sampler une multitude de fois par le rap américain (mais pas que) et ce depuis les débuts d’un genre musical qui ne lésinait pas sur les « vols » de breaks de batterie pour donner les bases rythmiques aux premiers virtuoses de la rime. Peu samplé (étrangement) pour sa voix si particulière, mais plutôt pour son impact dans l’imaginaire collectif, Withers laisse un grand vide derrière lui et on espérait, secrètement, que la note qu’il soutient sur « Lovely Day » (18 secondes, un record) ne s’arrête jamais.

« Kissing My Love » – Still Bill (1972)

Voici un des breaks de batterie les plus samplés de l’histoire du rap. Son destin s’écrit dans ces vingt premières secondes, complétement isolé du reste du morceau, prêt à être récupéré par tous les diggers de la fin des années 80. Le rap s’est construit sur ces vols qualifiés de breaks un peu partout, disposés ici et là par des compositeurs loin d’imaginer le destin de leurs rythmiques. Du pain béni pour ces premiers beatmakers qui peuvent asseoir n’importe quelle boucle sur un rythme déjà défini, profitant à la fois du fait que ces breaks sont souvent isolés (donc très simples à récupérer) et surtout qu’ils ne sont pas sous couvert de droits d’auteur. Cette faille juridique a sans savoir fait naître un des principaux courants musicaux modernes. Un producteur comme J. Cole, grand connaisseur d’une certaine tradition du beatmaking, continue à faire vivre ces breaks, comme sur son dernier album, KOD (2018).


 

« Rosie » – Menagerie  (1977)

Morceau démo sorti des entrailles de la fabrication de Menagerie à la fin des années 1970, « Rosie » est une magnifique balade d’amour qui, on le comprend maintenant, ne collait pas vraiment avec l’ambiance de son sixième album, beaucoup plus enlevé dans sa production. Ces quelques paroles d’amour pour Rosie taperont dans l’œil de Kanye West au moment d’enregistrer son deuxième album en 2005, Late Registration, faisant suite à la réédition de Menagerie en 2003 (où apparaît « Rosie » pour la première fois). Sur « Roses », un de ses plus grands morceaux, Kanye West ré-imagine avec une gravité plus assumée le morceau de Withers, tout en continuant de rendre un hommage appuyé, tout au long de l’album, aux icônes musicales afro-américaines.


« Use Me » – Still Bill (1972)

Encore une histoire de break de batterie. Qui aura encore traversé les époques, et même les frontières. Un break qui aura été utilisé un nombre incalculable de fois récemment, sûrement porté par son utilisation dans le magnifique « Sing About Me, I’m Dying of Thirst » de Kendrick Lamar (2012) et sa rythmique inexorable, entêtante, semblant forcement mener au désastre. Dinos, très influencé par les rappeurs américains, l’a très bien compris sur son morceau de fracture amoureuse, « Helsinki », et récupère le break de Kendrick pour un morceau qui sera un des moments forts de son Imany (2018). Un exemple parfait du destin d’un sample, qui de morceau en morceau se réinvente sans cesse, oubliant par là sa nature originelle, mais gagnant par ailleurs une certaine forme d’immortalité.


« Grandma’s Hands » – Just As I Am (1971)

Difficile de ne pas évoquer la géniale utilisation des premières secondes de ce morceau de Withers par Dr. Dre en 96, alors en plein conflit avec Death Row, qui offrira à Teddy Riley et son crew un hymne toujours aussi populaire aujourd’hui: « No Diggity ». Issu de son premier album, « Grandma’s Hands » est, comme son nom l’indique, un hommage à sa grand mère à travers le rôle des ses mains, modestes symboles de protection et de partage. Le célèbre marmonnement initial sera la clé d’un tube qui puisera dans la folk et son humilité toute la démesure et le sens de la nuit des années 90.


« Just the Two of Us » (de Grover Washington Jr.) – Winelight (1981)

https://open.spotify.com/track/70AhDADPvD8cRhjfgBUjhZ

Une des plus belles rencontres du début des années 80: la voix de Bill Withers et le saxophone de Grover Washington Jr. Un des plus grands tubes de la carrière de Withers. Son dernier aussi. Un morceau immédiatement culte qui sera repris là encore à plusieurs reprises. En commençant tout d’abord par Will Smith qui transformera simplement le thème du couple en hymne d’une relation père-fils dans un single assez opportuniste sorti en 1997. C’est là que survient Eminem, alors jeune rappeur de Détroit, qui sortira dans la foulée sa propre version de « Just the Two of Us », avec la distanciation caustique qu’on lui connait. Sur The Slim Shady EP, il sort ainsi la première version de ce qui deviendra, un an et demi plus tard, son classique « 97′ Bonnie and Clyde », qui ne samplera alors plus le morceau de Withers et Washington Jr pour des raisons de droits d’auteur. Ce morceau méconnu garde le même contenu, mais la découpe et la chaleur du sample original donnent au morceau un écho bien plus troublant, comme accompagné d’une boite à musique enfantine, venant renforcer la noirceur du propos.


« Don’t You Want to Stay » – Making Music (1975)

Qui dit histoires de samples dit histoires de poursuites judiciaires. Kendrick Lamar n’y échappera pas en posant sur les premières mesures de ce morceau samplé par Sounwave, intitulé « I Do This » en 2009. Morceau qui sera également présent sous la forme d’un remix sur la première mixtape remarquée de Kendrick, Overly Dedicated, en 2010. Pour la maison de disques qui possède les droits du morceau de Withers, le morceau de Kendrick est une « copie simple et directe » de l’originale. Cela ne pose pas problème lorsqu’un morceau n’est pas destiné à la vente mais la mixtape de 2010 s’est belle et bien retrouvée sur iTunes. Kendrick aurait fait preuve d’arrogance et de défiance envers les plaignants lors du procès. Un versant un peu plus sombre du sampling qui a vu des factures énormes se régler ces dernières années, souvent basés sur des plaintes concernant de grands artistes des années 70 comme Marvin Gaye ou Bill Withers.


« Ain’t No Sunshine » – Just As I Am (1971)

Morceau le plus connu de son auteur, il n’en reste pas moins difficile à directement échantillonner. Balade d’amour intemporelle, « Ain’t No Sunshine » est un véritable mythe du catalogue américain. Beaucoup de rappeurs s’en sont inspirés pour le paradoxe entre sa douceur affichée et la tristesse de son contenu. Il n’en fallait pas plus à des rappeurs comme DMX ou le groupe Onyx pour utiliser le refrain de Withers comme un symbole de la noirceur de leurs univers. Là encore le génie du rap tient dans sa capacité à réinventer un catalogue pourtant balisé, mais sans cesse réinscrit dans des univers personnels, des morceaux à la première personne ou simplement par un lien de parenté entre des univers discordants. Pas de soleil dans la vie des voyous. Comme dans ce morceau d’Onyx explicitement intitulé « Purse Snatchaz », les arracheurs de sac…


« Lonely Town, Lonely Street » – Still Bill (1972)

Certains samples moins évidents sont la cible de groupes qui trouvent leur bonheur là où personne ne va chercher. Le producteur N.O. Joe ira puiser dans ce morceau de Withers un riff lourd et pesant pour les slow flows des Geto Boys en 1993. Pionniers de la scène sudiste, le groupe de Scarface s’est toujours distingué par des choix de samples aux antipodes des autres scènes, en combinant des échantillons avec une mise en avant des arrangements (basses et claviers de Mike Dean), renforçant ainsi l’univers poisseux et graveleux du groupe de Houston. Un modèle de singularité dans les choix de samples, qui donneront une couleur unique à la discographie de ce groupe mythique.


« Who Is He (And What Is He to You?) » – Still Bill (1972)

Bill Withers est un artiste resté proche d’une certaine épure de production, proche de la folk, rendant son œuvre difficile à sampler sur de longues boucles, contrairement à d’autres artistes de son époque à la production plus spectaculaire. Il faut donc redoubler d’inventivité pour réussir à extraire quelque chose d’accrocheur d’un morceau comme « Who Is He ». C’est pourtant le pari de Poke & Tone (également connus comme Trackmasters), faiseurs de tubes pour les gros rappeurs des années 90, qui vont couper les notes du morceau sur sa première mesure et la répéter en boucle pour créer un hymne bounce comme il s’en faisait beaucoup à l’époque. Une production tout en excès qui colle parfaitement à l’univers loufoque de Cam’Ron qui signera ici le premier single de sa carrière.


« Lovely Day » – Menagerie (1977)

Encore un titre emblématique de la carrière de Bill Withers, véritable hymne de la positivité à toute épreuve. Un morceau qui ne sera pas immédiatement un tube à sa sortie mais qui regagnera de l’intérêt suite à ses réutilisations dans les décennies qui ont suivi, et notamment une pub Gap réalisée par Hype Williams. Red Spyda osera lui sampler, en 2004, le tube de Withers pour le fantasque Twista, connu à l’époque pour son flow insaisissable. Introduisant le morceau par un sample direct de Withers en sourdine, le producteur en tire un beat bondissant, pas si simple à gérer, pour le flow élastique de Twista qui démontre ici toute sa virtuosité. Sur des arrangements finalement assez proches du morceau original, le rappeur de Chicago montre que la subtilité d’un flow peut réinventer chaque parcelle d’un morceau pourtant inscrit dans les mémoires.