La cover de l’album The Infamous de Mobb Deep, c’est lui. La série de photos de The Notorious B.I.G. devant les deux tours du World Trade Center, c’est également lui. Les photos les plus iconiques de Tupac et Snoop Dogg, idem. Vous l’aurez compris, le travail de Chi Modu est une œuvre intemporelle qui continue encore aujourd’hui à définir une période bien particulière de la scène hip-hop. Plus que des souvenirs, certaines de ses photos sont devenues des testaments avec notamment des artistes qui nous ont malheureusement quitté depuis…
Né en 1966 au Nigeria, c’est dans le New Jersey que grandit Chi Modu après que sa famille ait quitté leur pays d’origine en pleine guerre civile alors qu’il n’était âgé que de seulement 2 ans. Lorsque ses parents décident au début des années 1980 de rentrer au pays, Chi choisit, lui, de rester aux États-Unis et intègre la prestigieuse école The Lawrenceville School. Diplôme en main, il continue ses études à l’université Rutgers et s’intéresse de plus en plus à la photographie. En parallèle, il commence à suivre une formation au Centre International de la Photographie de New-York sur le photojournalisme. S’il ne le sait pas encore, Chi Modu vient de trouver sa voie : « La photographie a toujours été une de mes passions. Je me souviens avoir acheté mon premier appareil en 1987, avec l’aide de ma copine de l’époque qui aujourd’hui est ma femme, sans pour autant imaginer que j’allais en faire mon métier un jour ».
C’est pour le journal local The Amsterdam News que Chi arrive à vendre ses premières photos. Si au départ la rétribution est très modeste et arrive à peine à couvrir ses frais, cela lui permet toutefois de rencontrer du monde et de se faire des contacts dans le milieu. C’est d’ailleurs au sein de la rédaction de ce journal que le jeune photographe apprend qu’un magazine consacré entièrement au hip-hop est sur le point de déménager à New-York pour continuer à se développer. Son nom : The Source. Chi Modu tente alors sa chance et propose donc ses services à ce magazine.
« Avec mon appareil, je raconte des histoires. Je savais que le hip-hop était une aventure qui n’avait pas encore été réellement racontée visuellement, donc j’ai essayé de mettre toutes mes compétences de photographe au service de cette culture ». Convaincu par son talent, Chi est rapidement propulsé à la tête du département photo de The Source pour qui il signe plus de 30 couvertures de magazines entre 1992 et 1997. Pendant cette période faste, il rencontre une bonne partie du rap game et se lie même d’amitié avec quelques grands noms de l’industrie pour qui il réalise des covers ou des photos de livret pour leurs albums.
Au milieu des années 2010, il décide de mettre sur sa page instagram une bonne partie de sa collection, passant vite de 7 000 followers à plus de 430 000. Une œuvre immense composée de milliers de clichés teintés d’une certaine nostalgie. On y croise Nas dans sa chambre d’adolescent où il a écrit la plupart des textes d’Illmatic, Snoop Dogg à côté de ce fameux panneau 187, le Wu-Tang Clan juste avant la sortie de leur premier classic ou encore Puff Daddy, Craig Mack et Biggie dans un fast food pour la promo de la cassette B.I.G. Mack. Avec ses photos, Chi Modu a installé des standards et aidé également à la popularisation de la culture sneaker dans cette golden era. Comment ne pas repenser à ces fameuses Adidas Campus d’Eazy-E ou aux Nike Cortez de Snoop quand on feuillette avec envie sa sublime collection ?
Parmi son catalogue et ses centaines de rencontres, certaines ont pris une dimension iconique avec le temps. Qui aurait pu imaginer en 1996, après ce shooting photo de Biggie devant les tours du World Trade Center, que ces deux monuments de New-York ne seraient plus là 5 ans plus tard… Aussi bien présent sur la East Coast que sur la West Coast, sa relation avec 2Pac est également un autre grand moment de sa carrière. Les deux artistes se sont croisés à de nombreuses reprises et le photographe a certainement réalisé les photos les plus populaires du rappeur. Disparu en 1996, c’est uniquement en 2016 pour les 20 ans de cet anniversaire tragique que Chi Modu publie son livre Uncategorized regroupant des clichés inédits de l’auteur d’All Eyez On Me.
« Si j’ai autant de photos de Tupac, c’est uniquement parce qu’il y avait un respect mutuel entre nous. Il me voyait comme quelqu’un qui pouvait l’aider dans ce qu’il voulait créer en termes d’image. Si plus de 20 ans plus tard, il y a encore autant de photos populaires de lui c’est parce qu’il m’a souvent laissé une liberté totale lors de nos séances. C’est une leçon à méditer pour la nouvelle génération, de ne pas forcément essayer de tout contrôler. Si le contrôle de ton image est trop strict, tu peux passer à côté de quelque chose avec un talent qui aurait pu te permettre de t’apporter une autre vision de toi même. Tupac était aussi un acteur et cela il l’avait bien compris en travaillant avec pleins de réalisateurs différents ».
Chi Modu poursuit sur ce même thème en faisant une comparaison avec une autre icône rap : « Eminem souffre un peu de ce contrôle trop strict. Finalement, il n’y a pas autant de photos de lui contrairement à ce qu’on pourrait croire. Il est dans un modèle de business où chaque image doit lui appartenir contractuellement. C’est-à-dire qu’il possède un tiers des droits, tout comme son agence, et le photographe doit donc se contenter du dernier tiers. C’était la seule condition pour que son entourage accepte d’organiser une séance quand il a commencé à percer, et depuis c’est encore plus compliqué. Avec ces conditions, le photographe n’est donc pas libre de ses mouvements pour exploiter ensuite son travail avec donc un certain nombre de photos qui ne sortiront jamais ».
Une vision des choses qui n’a jamais été aussi prophétique à une heure où des artistes sont capables d’effacer de leur compte Instagram des centaines de photos du jour au lendemain, sans vraiment prendre conscience qu’elles font aussi partie de leur héritage…
Si la page Instagram principale de Chi reste bien évidemment la plus populaire, son second compte @mrleicam est également un sublime état des lieux de son travail de photo-reporter. De ses voyages au Yémen, en Syrie ou au Bangladesh, le photographe nous offre une autre perspective de son œuvre qui mérite aussi le détour : « Je pense toujours que la terre est une planète merveilleuse et il n’y a qu’en voyageant qu’on peut en apprécier toute sa splendeur et ses détails ».
Pour conclure, nous finirons avec ces quelques mots de Chi Modu sur sa définition d’un photographe : « Si tu me dis que tu es un photographe et que je ne connais aucunes de tes photos, alors non tu n’en es pas encore un, tu espères le devenir. La différence est importante pour moi. Ce que je veux dire par là, c’est que tout cela demande beaucoup d’énergie et de temps pour arriver à un travail que les gens reconnaissent instantanément. Et en tant que photographe, c’est notre mission ultime de créer quelque chose que le public n’oubliera jamais ».
Mission accomplie donc, et merci pour cet héritage éternel.
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