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Pourquoi le Hip-Hop se souviendra de Blowfly

Clarence Reid, rappeur américain mieux connu sous le nom de Blowfly, nous a quitté dimanche dernier des suites d’un cancer du foie en phase terminale à l’âge de 76 ans. Plutôt que de revenir sur sa mort, nous avons préféré nous pencher sur l’impact de son oeuvre sur la culture Hip-Hop. Rendons hommage à un pionnier oublié, celui qui s’autoproclamait le Maître de la Classe.

Si beaucoup affirment que les années 90 demeurent encore aujourd’hui « l’Âge d’Or » de notre musique, peu d’entre nous ont déjà regardé plus loin. Blowfly en est la parfaite illustration. Oui c’est un pionnier, un des premiers rappeurs de l’Histoire selon le magazine Rolling Stone et le premier selon ses propre termes. Quoi qu’il en soit, il s’est imposé bien avant que Gang Starr, LL Cool J, Dr. Dre, 2Pac ou Biggie inondent nos walkmans. De Dancin’ With Nobody But You Babe à Black In The Sack, Blowfly ce sont 29 albums (studios, lives et compilations) en « à peine » 43 ans de carrière. D’autant plus que Reid a touché à tout. Il était non seulement rappeur, mais aussi un producteur, compositeur et ghostwriter de renom. Dans les années 60, il a notamment écrit pour de grands artistes funk et soul tels que Betty Wright, Sam & Dave, Gwen McCrae, ou encore Bobby Byrd pour ne citer qu’eux. Bref, il était sur tous les coups.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous propose d’écouter un de ses titres phares pour vous mettre dans l’ambiance. Un titre évocateur puisqu’il s’agit de « Blowfly’s Rapp ».

Un univers musical hors du commun

Cela ne sera sûrement pas une surprise pour vous, mais Eminem n’a rien inventé. Attention, on parle ici des alter-egos. Car si Clarence Reid a commencé sa carrière en tant que chanteur de R&B, le sulfureux Blowfly, rappeur complètement barré, a vite pris le dessus sur sa personnalité. Il a sorti ses trois premiers albums sous son vrai nom avant de passer le relais à son jumeau déglingué et ce, jusqu’à la fin de sa carrière. Vous qui connaissez le fameux label « Parental Advisory Explicit Content », sachez que celui-ci n’en avait, pour ainsi dire, rien à faire. Il a sans cesse cherché à briser les codes du politiquement correct pour être définitivement « classé X ». La raison ? Un univers dépravé au langage cru, bourré d’histoires sexuelles, allant même jusqu’à faire l’apologie de la pornographie. Des sujets chocs exploités avec brio et humour, à grand renfort de second degré. Depuis Miami et les studios du label TK Records, il a fait monter la température de la musique mondiale, traçant le chemin pour Luke et son 2 Live Crew, et influençant toute la génération G-Funk. Impossible non plus d’écouter The Sexorcist de Necro sans penser à cet autre obsédé sexuel qu’était Blowfly.

A ses débuts, il s’était d’ailleurs spécialisé dans la parodie en modifiant à sa sauce des classiques de la soul et du rock. Pour l’exemple: vous connaissez « What A Difference A Day Makes », chanson interprétée par Dinah Washington et Dean Martin?  Et bien pour Blowfly, cela donne « What A Difference A Lay Makes » (« Quelle différence ça fait de s’envoyer en l’air ? »). Tout en subtilité et en finesse certes, mais qu’est-ce qu’on aime ça ! Ce ne fut pas le cas de Stanley Adams, l’auteur du texte original, qui a porté plainte contre le rappeur pour cet hommage graveleux.

Vous en voulez encore ? Les anecdotes autour de Blowfly, ce n’est pas ce qui manque. Souvenez-vous il y a quatre ans, lorsque Snoop Dogg lui avait consacré une large place dans GGN (« Double G News »), son show complètement décalé sur YouTube. Quoi de mieux que ce genre d’émission pour accueillir le rappeur ? Et quelle prestation puisque celui-ci nous livre une version toute personnelle du célèbre « I Believe I Can Fly », un classique de R. Kelly qui devient « I Believe My Dick Can Fly ». Je pense qu’il est inutile de vous traduire. Du pur bonheur pour les amoureux du bon goût et de la poésie.

Son amour de la parodie allait même jusqu’à se retrouver sur ses pochettes d’albums. Toutes plus fantaisistes et délirantes les une que les autres, la plupart d’entre elles détournaient des films hollywoodiens. Cela dit, il avait quand même son propre humour. En 1988, il évoque le premier président noir dans le titre du même nom, partageant la même vision loufoque que George Clinton, le pape du P-Funk, un autre accro aux alter egos. Sans surprise, on est loin d’un portrait d’Obama. Dans l’imaginaire de Blowfly, ce président noir se défonce à la coke et à la marijuana puis couche avec sa secrétaire Miss Clit, qui a de l’herpès. Ajoutez à toutes ces excentricités une voix rauque des plus mémorables sur des sonorités blues, funk et Hip-Hop aussi diverses que pertinentes et vous obtenez la formule Blowfly.

L’art de se mettre en scène 

« Regardez ! Dans le ciel ! C’est un avion! ? C’est un oiseau !? C’est… C’est Blowfly ! ». Un super-héros porno toujours prêt à lâcher des obscénités et à s’exhiber dans son accoutrement d’or et de violet. Coiffé de son masque, vêtu de sa cape et de son déguisement avec un énorme BF sur le torse, il était aussi loufoque que cinglant, au panthéon des rappeurs qui ont croisé super-pouvoirs et rap. Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas en présence d’un simple rappeur, mais bien d’un caméléon aux multiples visages. Pour être honnête, si sa musique a évidemment participé à son succès, c’est cet alter-ego qui lui a permis de rassembler autour de lui une communauté de fidèles, défenseurs d’une totale liberté de mœurs, pour qui toutes ses chansons sont de véritables hymnes au stupre. Une force d’originalité qui fut aussi sa faiblesse, tant son univers de débauche était extrême. On ne peut pas plaire à tout le monde, en somme. Une chose reste évidente, celui qui a au moins une fois assisté à un show du rappeur s’en souviendra toute sa vie car ses lives, c’était de la musique, mais surtout des crises de fou rire.

Son personnage a tellement conquis le public qu’il a même fait l’objet d’un documentaire autobiographique sorti en 2010. Un grand succès puisque de nombreuses projections lors d’événements culturels ont eu lieu dans la plupart des grandes villes américaines et ce, jusqu’en 2012. On vous encourage vivement à le regarder après la lecture de ce dossier.

Un dernier album posthume

« Clarence Reid, the genius known both by his given name and as Blowfly, the Master of Class, passed peacefully today, January 17th, in his hospice room. »

Tom Bowker (batteur et agent de Blowfly, sur la page Facebook de l’artiste)

Malgré une lutte acharnée contre son cancer du foie, il n’avait pas pour autant décidé d’arrêter la musique. Au contraire, il avait même pour objectif de revenir sur le devant de la scène avec un projet intitulé 77 Trombones. Rassurez-vous, son agent a assuré que ce projet sortira bel et bien en février prochain. Si cet album aura forcément des allures de testament, c’est avec plaisir que l’on découvrira ou redécouvrira un artiste qui n’a décidément pas jouit du succès qu’il méritait de son vivant.

Que l’on aime ou non son univers, il a tout de même obtenu le respect de bons nombres d’artistes postérieurs à son époque. Pour preuve, certains de ses morceaux ont été samplés par des grands noms de la musique tels que Beyoncé,  le Wu-Tang Clan, DJ Shadow, Eazy-E et The Avalanches. Vous vous en doutez, la liste est encore longue. En toute logique, les hommages n’ont pas manqué suite à l’annonce de sa disparition. «RIP and respect to the ORIGINAL. ‘Blowfly’ », a tweeté le rappeur Ice-T. Il n’est pas le seul puisque Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, a aussi réagi sur Twitter: «I had the great privilege of playing with BLOWFLY. So much joy. R.I.P. Clarence Reid ». Snoop Dogg a lui rendu hommage à celui qu’il considérait comme « Le premier rappeur Gangsta Rap ». Des producteurs comme Flying Lotus ou Just Blaze ont aussi partagé leur émotion sur les réseaux sociaux.

C’est un fait, depuis dimanche, le Hip-Hop est en deuil et pleure un de ses fondateurs. Oui, Blowfly a créé tout un genre avec son style dirty et provocateur. Sans jamais se prendre la tête et toujours en restant fidèle à lui-même, il a su influencer de nombreux artistes contemporains. Un artiste insaisissable injustement méconnu tant son univers était loufoque et coloré. Une chose est sûre, 2Pac, Biggie, Gil Scott-Heron et tous les autres doivent bien se fendre la poire là-haut.

S’il est difficile de choisir les meilleurs morceaux dans une discographie aussi riche que variée, voici une sélection de dix titres pour vous remémorer l’univers de Blowfly à travers ses propres chansons et ceux qui l’ont samplé. Un dernier hommage à toi, l’ami.

Clément Nadjo

Le hip-hop comme oxygène. La patience du digger, le pardon de l'amoureux. Amateur de bons mots, de belles rimes et de beats calibrés. Humour à qualité variable.

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