Il suffit d’une photo de deux rappeurs en studio ou en soirée pour enflammer les réseaux et alimenter les rumeurs d’une collaboration à venir. Institution du game depuis ses débuts, les « co-signs» ou featurings (abrégés en « feat. ») ont été popularisés par le rap, jusqu’à concerner tous les styles musicaux aujourd’hui.
Quand un nouveau projet sort, les featurings captent vite notre attention. Qui n’a jamais cliqué sur une chanson à toute vitesse après avoir vu que son rappeur préféré avait un couplet dessus ? Qui n’a jamais écarquillé les yeux en découvrant que ses deux favoris avaient enregistré un son ensemble ?
Le site américain distrokid.com a analysé 152 000 chansons hip hop et a déterminé que 42 % d’entre elles précisent le nom d’un collaborateur extérieur dans le titre de la chanson, contre juste 2% pour le rock. Selon le même site, le nombre mensuel moyen de chansons avec des featurings dans le Billboard Hot 100 dans les années 1980 était de 7. Aujourd’hui, ce chiffre est de 33 !
Depuis quelques années, les albums et mixtapes sont remplis de featurings, au point où certains crient à l’overdose. Les albums seraient surchargés, ce qui les rendraient peu cohérents voire brouillons.
Alors, le featuring aurait-il tué l’album ?
« Je ne travaille pas comme ça. Je travaille dans un espace clos, genre, autonome. Et j’aime ça comme ça. Et je ne dis pas que je ne deviendrai jamais quelqu’un qui opère dans l’autre sens, mais je ne suis pas du genre à faire une chanson puis à me dire : « Mince ! Je veux mettre untel ou untel là-dessus. J’ai dit tout ce que je voulais dire. »
Difficile de parler des rappeurs peu friands de featurings sans évoquer J. Cole, l’ermite du game. Le natif de Caroline du Nord est célèbre pour avoir décroché un disque de platine pour ses trois derniers albums qu’il a lui-même produit et mixé, le tout avec quasiment aucune featuring. Cette volonté de tout faire seul a pas mal amusé les fans qui l’ont transformé en meme. Produire un album salué par la critique ou réussi sur le plan commercial est donc tout à fait possible sans les featurings, bien que cela reste très rare de nos jours.
En y regardant de plus près, le featuring a ses défauts.
Le recours excessif à des guests stars (sans compter les remixes) peut être vu comme un aveu de faiblesse, un « besoin » d’avoir d’autres rappeurs à ses côtés, ce qui peut nuire à la crédibilité de l’artiste. Dans ce sens, il peut afficher une certaine fragilité voire une paresse car il n’enregistre en général qu’un seul couplet et laisse les autres finir le travail, parfois au détriment de la qualité.
Aussi, il peut-être très difficile de travailler avec un ou plusieurs artistes en même temps. Le processus créatif peut être retardé, surtout dans le cas des collaborations indirectes : on envoie l’instru à l’artiste, il enregistre sa partie et la renvoie.
Dans ces cas-là, très fréquents dans l’industrie, les deux artistes ne sont à aucun moment dans le même studio. Il peut donc y avoir des incompréhensions sur la vibe du morceau, voire un décalage complet !
Dans les années 1980 et 1990, voir deux gros artistes collaborer était un évènement spécial, voire exceptionnel. Aujourd’hui, le couplet en featuring est tellement commun qu’il s’est généralisé à d’autres genres musicaux : le couplet de rap sur les chansons pop est devenu un cliché des charts (en grande partie sous l’influence de Lil Wayne qui posait sur tous les types d’instrus). Les rappeurs sont souvent là pour apporter une touche « urbaine » au morceau, très souvent parce que les labels des deux artistes en ont décidé ainsi.
Par exemple, Katy Perry s’est souvent appuyée sur des rappeurs pour légitimer ses morceaux aux influences hip hop ou pour toucher la fanbase la plus large possible dans les deux mondes (ce que l’on appelle le « crossover appeal »). On se souvient de Snoop Dogg sur « California Gurls » et de Kanye West sur « E.T. », mais aussi de Juicy J sur « Dark Horse » ou même Migos sur « Bon Appétit ».
Dans ce cas de figure, les collaborations sont souvent peu cohérentes et on se retrouve avec des couplets peu inspirés, parfois courts et superflus comme sur « Royals » de Lorde, qui critique le mode de vie bling-bling des stars actuelles, et qui a été remixée avec un couplet de Rick Ross qui parle de sa Maybach !
Autre point non négligeable, les features peuvent coûter cher : il faut dépenser des dizaines de milliers de dollars voire des centaines pour les plus gros noms afin de s’assurer qu’ils enverront leurs 16 mesures. Nicki Minaj rappait sur « Monster » qu’elle faisait payer 50 000$ pour un featuring (montant qui a du augmenter depuis) et 2 Chainz a dit dans une interview qu’il faisait carrément payer 100 00$ !
A l’échelle d’un album, les prix peuvent vite monter : Father of Asahd de DJ Khaled compte pas moins de 34 feats pour 25 chansons ! Jay-Z, Beyoncé, Nas, Lil Wayne, Justin Bieber…Cette belle brochette d’artistes expliquerait en grande partie le fait que l’album ait coûté pas moins de 5 millions de dollars à produire.
Si J. Cole semble se débrouiller parfaitement sans l’aide de ses confrères, d’autres rappeurs sont totalement à l’opposé de cette conception. Dans une interview donnée à Paper Magazine, French Montana estime que les rappeurs qui sortent des albums sans feat sont des « weirdos » (des gens bizarres, « chelou »).
« La musique, c’est du fun. Si je chill avec A$AP Rocky, ou avec Drake ou The Weeknd et qu’on enregistre [un morceau], puis qu’après je [leur] dis : « écoute, mon frère, je pense à sortir cet album tout seul », les artistes arrêteraient de me fréquenter. », affirme French Montana.
Le rappeur né au Maroc est bien connu pour les nombreux featurings sur ses albums (2/3 des chansons de Jungle Rules incluent un ou plusieurs invités), et d’un côté, on peut comprendre son argument. Il est vrai que refuser systématiquement les feats peut agacer pas mal de rappeurs et limiter le succès de l’album. Ce seront autant de gens qui ne feront pas la promotion du projet auprès de leurs fans (story Instagram, post Facebook, promo lors d’un live…) et ne voudront pas s’afficher avec l’artiste.
Quand il est bien utilisé, le recours au guest verse peut faire beaucoup de bien à un album.
Un featuring peut aider à apporter de la variété au projet et à éviter une certaine monotonie. Pour les albums où l’artiste utilise principalement un seul flow (coucou 21 Savage), amener un artiste qui rappe différemment est appréciable. Dans les cas des albums structurés autour d’un concept, un guest peut jouer un rôle ou montrer une autre perspective du sujet, comme quand Kendrick Lamar a invité MC Eiht sur m.A.A.d City : l’un donne la perspective d’un gosse coincé dans un milieu violent qu’il essaie d’éviter, et l’autre parle du point de vue du gangster qui vit cette violence.
De toute évidence, sortir un album qui contient des feat. des meilleurs lyricistes du game peut bien sûr faire grimper la crédibilité d’un rappeur émergent. Si une légende comme Nas ou Jay-Z valide un artiste, c’est une sacré caution pour des millions de fans.
Si un jeune artiste veut faire décoller sa carrière et tenter de passer à la radio, cela passe forcément par un couplet de quelqu’un de plus connu. Un featuring d’un gros artiste sur une chanson d’un rookie peut faire exploser sa popularité de manière impressionnante. Le roi de cette pratique est bien sûr Drake qui a lancé des dizaines d’artistes en posant un couplet sur leur chanson ou en les invitant sur les siennes. C’est le fameux « Drake co-sign » ou « Drizzy Effect » qui a profité à The Weeknd, 21 Savage (Sneakin’), Blocboy JB (Look Alive), ILoveMakonnen (Tuesday) ou encore (et on a tendance à l’oublier) Migos avec le remix de « Versace » !
Pour preuve, selon une étude réalisée par des universitaires américains et italiens, les chansons avec des artistes en featuring ont plus de chances de se classer dans le top 10 de Billboard que les chansons ne mettant en scène qu’un seul artiste. Plus la différence entre les genre est grande, plus la chanson a de chances d’atteindre le sommet des charts.
Quand un artiste invite un rappeur ou un chanteur avec plus de succès commercial que lui sur une track, il va toucher le public de son invité, élargissant ainsi sa fan base. Le featuring participe dans ce cas grandement au succès d’un album et permet de faire découvrir l’artiste à un public plus large.
Le format album peut paraître obsolète dans un monde de mixtapes et de one-off singles (non-rattachés à un projet). Pourtant, il est toujours là, et le featuring est un des éléments qui lui permet de rester pertinent en contribuant à faire grandir l’attente des fans à la date de sortie.
Devenu un passage obligé pour passer à la radio et gagner en popularité ; le feat. peut néanmoins coûter très cher et potentiellement ne pas avoir l’effet escompté. Aussi, on peut dire que le feat tue l’album s’il est utilisé à outrance et si les invités n’apportent rien, mais il le fait vivre s’il améliore des morceaux ou si le cosign lui offre une place sur le Billboard.
Pour un album destiné à être joués dans les clubs, il faut savoir s’entourer des références du nom pour convaincre les DJs de passer ses morceaux. Si on veut explorer de nouveaux horizons musicaux, le feat. permet également une certaine ouverture. J. Cole lui-même s’est mis aux feats. et a posé ces derniers mois des couplets très solides aux côté d’artistes très variés : Royce da 5’9’’, 21 Savage, Offset, J.I.D., 6LACK, Wale…
A noter que, ces dernières années, des artistes comme Frank Ocean ou Travis Scott choisissent tout simplement de ne pas révéler la liste des featurings de leurs albums. Une manière de profiter de la diversité amenée par un invité sans risquer de se voir dépossédé des crédits de son projet. Oui, car à ce petit jeu du featuring, il faut faire attention de ne pas se faire voler la vedette par son invité ! Dans le milieu, on appelle ça se faire « Renegade »…
Ce dossier est une contribution libre de Mehdi Ouahes. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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