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« Hip-Hop Empire » : le remake Hip-Hop de Boardwalk Empire

Après Les Sopranos et The Wire dans les années deux mille, Boardwalk Empire a marqué de son empreinte l’univers du gangstérisme sur petit écran. Ancré dans les années vingt, le show met en scène la construction de la ville d’Atlantic City, alors qu’émergent ses premiers casinos sur fond de Prohibition. Sous le règne de son trésorier corrompu Enoch Thompson, la cité balnéaire va trembler pendant plus d’une décennie au rythme du trafic d’alcool et des crimes perpétués par la Pègre. L’occasion pour Terrence Winter de livrer une fiction d’époque poignante, emmenée par une myriade de personnages hauts en couleurs. À leur tête, Steve Buscemi, grand habitué du genre, dont le talent illumine entre autres les classiques Reservoir Dogs et Fargo. La cinquième saison aujourd’hui terminée, je dépoussière la chaise pliante du réalisateur et m’y installe confortablement pour réattribuer le casting original de la série à huit rappeurs avec une vraie gueule, au sens cinématographique du terme. Auront-ils les épaules assez larges pour endosser les costumes trois pièces des fascinants barons du crime ? Moteurs, et… action !

Kendrick Lamar is ‘Nucky Thompson’

Good kid, M.A.A.D City. Le récit d’Enoch Thompson a trouvé son ultime personnification en la personne de Kendrick Lamar. Depuis ses plus jeunes années, le boss de la promenade n’a qu’une seule obsession : devenir quelqu’un dans la ville qui l’a vu grandir. Idem pour K. Dot, qui s’avoue dans « Black Boy Fly » terrifié à l’idée de ne jamais réchapper à la misère de Compton. Proclamé roi par la critique, le rappeur est rapidement adoubé par son mentor Dr. Dre, sorte de Commodore de la côte ouest. Une fois sa légitimité acquise, King Kendrick interpelle ses concurrents à grands coups de name dropping et déploie sur « Control » la même férocité qu’un Nucky Thompson bien résolu à défendre son territoire. Véritable coup de maître, To Pimp A Butterfly vient asseoir définitivement la suprématie du californien dans le rap game. Embrassant la musique au sens large, l’artiste livre un concentré de culture particulièrement dense, un témoignage dramatique et introspectif de l’expérience noire-américaine.

Freddie Gibbs is ‘Chalky White’

Pur produit de la rue, Freddie Gibbs est un violent, un dur à cuire qui n’est pas là pour enfiler des perles. Ses rimes suintent l’herbe –pas l’aromatique– et lorsqu’il rappe, on imagine facilement le crack bouillir dans l’arrière cuisine. Après avoir trimballé sa gouaille entre les quelques bijoux de soul minutieusement concoctés par Madlib, le brigand est de retour avec le sombre et très actuel Pronto. Comme lui, Chalky White a bâtit sa réputation dans le ghetto, et force le respect au sein de la communauté noire d’Altantic City. Lorsqu’il ressort les outils d’ébéniste de son paternel, ce n’est pas pour construire des meubles, mais plutôt pour dérouiller ses vieux ennemis du Ku Klux Klan. Sous ses apparences civilisées, le gangster se révèle un bourreau impitoyable qui ne fait pas de quartier lorsque ses proches sont menacés. Au rabot à bois, Gangsta Gibbs préfère le micro. Un exutoire qui soigne visiblement mieux que le cognac les dommages collatéraux liés à sa vie d’ex-dealer.

Action Bronson is ‘Manny Horvitz’

Une poêle à frire sur le feu, un couteau de boucher bien affuté et des métaphores aussi grasses que la pornfood qu’il affectionne. Action Bronson a soigné son casting et remporte sans surprise le rôle de Manny Horvitz. Déjà bien avant qu’il ne roule barbe au vent sur un chopper façon remake d’« Easy Rider », on savait Bronsolino un brin dérangé. Parmi ses innombrables frasques, on se souvient du chef réglant ses comptes pistolet au poing dans le visuel de « The Symbol », ou tuant de sang froid sa dulcinée après son « Brunch » dominical. Tout comme notre rappeur, le boucher juif joue habilement de son image de viandard. Derrière le comptoir de sa boucherie kasher, Monya n’hésite pas à saigner ses ennemis comme des pourceaux ou à leur fendre le crâne à grands coups de hachoir. À l’image du trafiquant vindicatif, Bam Bam vise le coeur. Puisque ses délicieux amusent-bouches n’ont pas rassasié ses fans, le fin gourmet passe au plat de résistance avec Mr. Wonderful, cuisine psychédélique à la sauce blues-rock.

Grems is ‘Al Capone’

Difficile de savoir qui de Grems ou d’Al Capone est le plus fou. Faisons le bilan. D’un côté, un gangster emblématique, parano, camé et nerveux de la gâchette, qui prend un malin plaisir à dégommer tout ce qui bouge sans raison valable. De l’autre, un artiste à l’état pur, brut de décoffrage, agressif et imprévisible, qui défouraille inlassablement ses punchlines caustiques sur les shlags, les hipsters et les mioches, trop occupés à autotuner leur voix pour comprendre leur douleur. Si la folie de Grems est avérée, c’est surtout une folie créative. À la fois rappeur, grapheur et designer, ce démiurge enchaîne les projets à la vitesse de tir d’une sulfateuse. Quand il ne rappe pas, le fou furieux répand ses graphs complexes sur les murs des métropoles françaises et belges, comme des balles perdues dans les rues de Chicago. Seul ou accompagné de son acolyte Le Jouage, Grems fait le ménage dans le rap français. Ascenseur Émotionnel, le projet commun des deux frères d’armes, procure encore une fois une bonne dose d’adrénaline.

Oddisee is ‘Dr. Valentine Narcisse’

Une élégante sobriété et une aversion manifeste pour la boisson. Voilà d’abord ce qu’Oddisse et le Dr. Valentine Narcisse ont en commun. Mais pas que. S’il est vrai que le rappeur comme le docteur ne gaspillent pas leurs mots et méprisent tous deux les libations de leurs contemporains, ils partagent également un vrai côté badass. Sous ses manières courtoises et civilisées, le soi-disant bienfaiteur de Harlem s’adonne sans état d’âme au proxénétisme et au trafic d’héroïne, et protège bien souvent sa propriété avec une cruauté monstrueuse. Oddisse choisit quant à lui le titre « Back Of My Mind » pour dévoiler sa face cachée. Le temps de quelques mesures, le rappeur laisse parler ses démons et épanche lentement ses rancœurs au fil de l’encre. Sans oublier le goût de l’excellence que cultivent ces deux personnages. Tandis que l’un voue un culte absolu à la culture africaine et arbore systématiquement les manières les plus raffinées, l’autre rappelle à qui en douterait son esprit de compétition sur « Ongoing Thing ». Au fond, sont-ils si différents ? « Yeah And Nah »

Macklemore is ‘Gyp Rosetti’

Les choix musicaux de Macklemore sont loin de faire l’unanimité dans le monde du rap. Tout comme ses goûts vestimentaires, infiniment drôles et décalés mais quelque peu douteux. Une excentricité assumée que le rappeur partage avec Gyp Rosetty, personnage débarqué dans la troisième saison de Boardwalk Empire avec pour ambition d’imposer sa loi aux chefs du grand banditisme. Un petit fox terrier sous le bras, une arme automatique à la main, ce névrosé sadique à l’égo surdimensionné cultive l’art de la contradiction. Le ridicule ne tue pas, dit-on. La démesure si, apparemment… Fort heureusement, Macklemore est loin d’être aussi susceptible que le personnage qu’il incarne dans ma fiction. Sans quoi les propos qui ont fait suite à sa victoire aux Grammys Awards auraient provoqué des règlements de compte sanguinaires dans l’industrie du disque. À l’heure qu’il est, Drake serait déjà enterré dans le sable, à bouffer ses sourcils après s’être pris quelques coups de pelle sur le coin de la figure.

Fuzati is ‘Richard Harrow’

Richard Harrow, un rôle taillé sur mesure pour Fuzati. Ancien soldat de la Ière Guerre Mondiale, le compagnon d’armes de James Darmody a payé cher son passage dans les tranchées. Son masque dissimule difficilement ce qu’il reste de la moitié gauche de son visage, emportée par un éclat d’obus alors qu’il combattait sur le sol français. Le plus cynique et désabusé des rappeurs français n’a pas non plus été épargné par la vie. Se cache sous sa carapace de rimes un être complexe, dont l’humour noir et le passif de littéraire confèrent à chacun de ses couplets une profondeur singulière. Tandis que le premier nourrit malgré ses tendances suicidaires l’espoir de fonder un jour une famille, le second semble avoir abandonné depuis La Fin De L’Espèce tout espoir d’une filiation autre que musicale. Grand Siècle, le dernier album en date du misanthrope, livre une critique acerbe de notre époque. Un concentré de noirceur qui fait bouger la tête autant que les neurones sur les beats futuristes du franc-tireur Orgasmic.

Danny Brown is ‘Mickey Doyle’

Chapeau melon, sourire crétin et blagues douteuses : ne manque à Mickey Doyle que la fleur à eau à la boutonnière pour compléter l’ensemble. Sous ses airs de bouffon, cet olibrius fait pourtant mine de caméléon. Peu loyal, le contrebandier joue un jeu dangereux qui lui vaudra en retour quelques belles déculottées. C’est avec la même agilité que Danny Brown navigue au gré des courants musicaux. Là encore, non sans risque : en évoluant du Hip-Hop vers la bass ou le grime, le michiganais s’est forcément éloigné de son public d’origine. Il faut dire que sa voix de canard est aussi insupportable que le petit rire nerveux du bootlegger de Philly. Sa flexibilité lui a néanmoins garantit une belle longévité. Car si on le connait aujourd’hui avec ses cheveux en pétard et ses lunettes rondes, Danny Brown est en fait un vieux de la vieille, un sophomore qui a connu plusieurs vies dans une même carrière. Étonnante anomalie sur la scène de Détroit, le rappeur déjanté est un des rares à se montrer aussi apte à sublimer une prod de Black Milk qu’à retourner littéralement un track de Rustie.

Florian Perraudin-Houssard

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