Hiba – Ce que la Lune doit au Soleil

7 avril 2021

Hiba

Ce que la Lune doit au Soleil

Note :

« À c’qui parait, la trap a fait son temps » chantait Niska en 2017. Et il avait bien raison d’ironiser. En 2021, la question mérite déjà un peu plus d’être posée, à en voir la guerre des clones qu’est devenu le rap francophone. Car si les têtes d’affiche brassent encore, qu’en est-il de la relève, celle qui nous sauvera de l’ennui ? On vous a déjà parlé de Delta, Khali ou La Fève ; voici venu le temps d’aborder le cas Hiba. Avec son rap hybride et son sens de la formule, le duo de frères strasbourgeois s’impose comme un espoir. Chronique de Ce que la Lune doit au soleil, EP de bon présage pour la suite.

En partant de Strasbourg en voiture, il faut seulement 1h30 pour atteindre la Suisse. Pourquoi cette information ? Car plus que jamais, on voit se profiler une nouvelle étape dans l’affaissement des frontières francophones. 2017 était l’année du rap belge, à quand celle du rap helvète ? Peut-être jamais. Mais peu importe : leur influence a pris le temps d’infuser, avant de s’être progressivement diffusée dans l’ADN d’une nouvelle garde prometteuse…

Hiba en fait partie. Et bien que d’origine alsacienne, le duo strasbourgeois sonne suisse. Mais pas seulement : certaines rimes peuvent certes rappeler Di-Meh, l’attitude de Makala et quelques productions de Varnish la Piscine (tous trois originaires de Genève), mais le binôme parvient à synthétiser ces influences afin de créer leur propre patte. Dans un savant mélange de rap teinté de jazz, de pop et de chanson, leurs titres sonnent à la fois parisien, provincial, genevois, bruxellois ou californien. De quoi apporter une fraîcheur bienvenue : avec Ce que la Lune doit au Soleil, les frères Amor et Isma livrent un troisième EP très prometteur, dans sa cohérence comme sa créativité.

Influence(s)

Batteries organiques, lignes de basses groovy, guitares au timbre feutré, doux accords de piano électrique… Vous l’avez compris : Hiba s’inscrit dans une mouvance excitante et encore assez peu présente dans le hip-hop francophone. Là où les États-Unis s’appuient sur une culture ancestrale du jazz et de la soul, enfantant encore des Anderson .Paak, Tyler, the Creator et autres Frank Ocean, difficile de voir une telle scène émerger au pays de « La danse des canards ». Il faut d’ailleurs souvent passer chez nos voisins suisses et belges pour y trouver plus ou moins son compte : entre la nouvelle école bruxelloise des années 2010 (l’Or du Commun, Roméo Elvis, Caballero & JeanJass, le 77 pour ne citer qu’eux) qui a désormais pris des directions radicalement opposées et la folie créatrice des Xtrem Boys genevois (Makala et Varnish en tête) encore relativement confidentielle, les inflexions françaises sont rares. On peut certes noter Ichon et son récent album Pour de vrai rempli de merveilles groovy, quelques morceaux du rookie Moussa, mais rien de bien massif sous le soleil de l’Hexagone.

Épaulés par une poignées d’irréductibles producteurs, les deux frères Hiba s’engouffrent dans cette brèche encore trop peu exploitée. Du groove, du smooth, du style. Partiellement présentes sur le précédent projet 14 Lunaire, les sonorités jazz sont ici maximisées. La douceur de claviers et de guitares gorgées de soleil sur « Le protège-tibia », les subtils jeux de percussions et les chœurs féminins dans « Le palier », les jeux de basse de « L’aube » et « La composition »… Des sons léchés, classes et soignés qui évoquent l’ambiance enveloppante d’un coucher de soleil, d’une pelouse bien taillée ou des lumières tamisées d’un club branché. A l’image de leur récent Grünt d’Or, qui les met en scène au milieu de musiciens sappés et lookés, Isma et Amor sont parvenus à poser les bases d’un univers extensible et cohérent.

Différence & Cohérence

En mai 2020, la sortie de l’EP 14 Lunaire est portée par un single aux allures de mini-tube : « Chief Keef ». De Mehdi Maïzi à Jean Morel (Nova, Grünt…), la presse spécialisée s’emballe et manifeste tout l’amour qu’elle porte pour le titre. Il faut dire que la chanson fait du bien : une production minimaliste porte les efficaces mélodies d’Amor sur une rythmique irrésistible, le tout emballé dans une formule unique. En effet, le morceau rappelle beaucoup de choses sans jamais y ressembler vraiment : le ton et les rimes nonchalantes de Makala (encore lui) se mêlent à une vibe flirtant à la fois avec Tame Impala, Gorillaz et la variété française. Le grand-écart : écoutez et vous comprendrez mieux.

Toutefois, malgré le petit exploit qu’accomplit « Chief Keef », 14 Lunaires ne ressemblait pas vraiment à son single. L’EP se composait d’un hétérogène patchwork de morceaux laborieusement compilés, lui donnant un visage étrange et difficilement cernable. Ce défaut est à présent gommé sur Ce que la Lune doit au Soleil : le projet s’écoute d’une traite, construisant au fil des titres cette atmosphère rafraîchissante qui offre au duo toute sa prestance. Quand Amor chante et vocalise avec insolence, Isma rappe et se livre avec poigne. Confrontés, les frangins se complètent et s’affranchissent d’une scène rap parfois peu aventureuse. Les idées et les bons mots s’empilent ; du morceau à thème sur une rythmique garage/2-step à l’anglaise (« La composition ») jusqu’à la partie de tennis sur le clip de « Le Palier ». Prods originales, mélodies entêtantes, écriture maligne, charisme débordant… En somme, une très jolie carte de visite.

Ce que la Lune doit au Soleil d’Hiba est disponible sur toutes les plateformes de streaming