Ghetts n’est pas le rappeur anglais le plus exposé. Il n’a ni les tubes d’un Skepta, ni les collaborations pop d’un Dizzee Rascal ou l’exposition d’un Kano depuis son rôle dans la série Top Boy. Il est pourtant un personnage emblématique de la scène grime et rap UK. Avant de disséquer son dernier projet il n’est donc pas inutile de revenir brièvement sur son parcours ces deux dernières décennies.
Justin Clarke de son vrai nom, commence à rapper en 2003 alors qu’il a tout juste 19 ans et qu’il sort d’un court séjour en prison. Adolescent turbulent, il est surnommé ‘Ghetto’ par ses amis qui lui offrent ainsi son premier nom de scène. Au micro, le jeune rappeur de Plaistow ne fait pas dans la dentelle et se fait rapidement remarquer grâce à son flow rapide et saccadé, caractéristique du style grime alors en plein essor, et à une dextérité lyricale hors du commun.
Sa première mixtape 2000 & Life sort en 2005 et est à l’image du reste de la scène grime naissante : violente et spontanée. Il collabore avec Kano qui jouit déjà d’une certaine visibilité et sort plusieurs autres mixtapes entre 2007 et 2010. Mais c’est grâce à des freestyles de rue ou en radios pirates que Ghetto se construit sa réputation, celle d’un MC technique, fougueux et redoutable en clash. Il offre d’ailleurs au grime plusieurs moments légendaires avec les freestyles Risky Roadz ou son altercation avec Bashy et le fameux « Where’s Carlos?! » repris plus tard par Stormzy et J Hus .
Ghetts et Kano au Ministry of Sound, 2004 (crédit photo, Ewen Spencer)
En 2010 Ghetto sort son premier album studio Rebel with a Cause et change la dernière lettre de son nom. C’est la naissance de Ghetts et le début d’une nouvelle ère avec des projets d’albums moins grime mais aussi plus aboutis. Il sortira deux albums de plus, Ghetto Gospel en 2018 et Conflict of Interest en 2021, avant de sortir son 4ème et dernier album, On Purpose, With Purpose.
On est saisis dès la première écoute de On Purpose With Purpose par la qualité sonore et le soin apporté au projet. Cela peut paraître étonnant pour un artiste longtemps estampillé freestyles. Pourtant Ghetts ne s’en cache pas, il aime créer des albums et il a l’obsession du détail. Il avouait en février à nos confrères anglais de GRM Daily ne pas lésiner sur le budget lié aux productions afin qu’elles sonnent exactement comme il le souhaite. Celles de On Purpose, With Purpose sont assurées par une multitude de producteurs dont Emil et TenBillion Dreams qui à eux deux assurent plus de la moitié des titres de l’album.
On y retrouve de nombreuses influences musicales, trap, r&b ou afrobeats sans toutefois que l’ensemble ne paraisse incohérent. Au contraire, les titres s’enchainent avec fluidité pour former une sorte de voyage musical. L’auditeur attentif sera ravi par le niveau de détails sonores des productions, des symbales de « Intro » aux ad-libs de Sampha sur « Double Standards » en passant par les mélodies légèrement West Coast de « Anakin » ou la ligne de basse de « Blessings ». Premier constat, On Purpose, With Purpose est un régal pour les oreilles.
Ghetts (crédit photo Adama Jalloh)
Ghetts a su également bien s’entourer derrière le micro avec pas moins de 15 featurings pour 18 titres. Cela peut paraître beaucoup pourtant cela n’empêche pas le rappeur de délivrer un projet cohérent . Chaque invité apporte un ingrédient qui élève la qualité du titre sans toutefois dilué le message de Ghetts. Car en dehors de sa qualité de production, la grande force de On Purpose, With Purpose est son contenu lyrical.
On Purpose, With Purpose est un album résolument introspectif et parfois même intime. Dès l’intro Ghetts nous plonge dans ses interrogations, celles d’un père de famille de 38 ans à l’heure où les cercles d’amis se réduisent et les problèmes de santé apparaissent. Le rappeur dresse un premier bilan de sa vie et tente de réfléchir au sens de son existence. C’est le titre de l’album: trouver un sens à sa vie (‘with purpose’) et le faire de manière intentionnelle (‘on purpose’). Cette maturité se ressent également dans les thèmes abordés, notamment sur le poignant « Jonah’s Safety » qui parle de dépression post-natale, d’avortement et de viol. Au fil des titres, Ghetts nous laisse entrevoir plusieurs facettes de sa personnalité. Guerrier sur « Anakin », plus léger sur « Tumbi » et sombre sur « Twin Sisters ».
La technique de Ghetts lui permet d’alterner différents flows et de montrer avec brio l’étendue de ses talent d’écriture. En ce sens, « Mount Rushmore » est une démonstration. Sur une production aux airs du « Jesus Walk » de Kanye West avec des chants gospels en fond sonore, Ghetts y fait une prestation remarquable entouré de deux autres légendes du grime, Kano et Wretch32. On retrouve d’avantage encore l’influence du gospel dans la deuxième partie de l’album qui vient se mélanger à des sonorités soul et africaines pour des titres très spirituels comme « Grateful », « Hallelujah » ou encore « Blessings ».
Mais On Purpose, With Purpose n’est pas seulement introspectif ou spirituel, il est aussi profondément engagé. Ghetts y dépeint la réalité sociale de l’Angleterre des années 2020 avec habileté et sans tabou. Cette conscience politique transparait tout au long du projet et atteint son apogée sur le titre « Double Standards ». La production de Emil et R-Kay est aussi douce que le texte est dur. Elle est sublimée par les ad-libs et le refrain de Sampha. Ghetts y dénonce les incohérences d’un système planétaire hypocrite et injuste avec un texte brillant qui épingle tour à tour le racisme systémique, l’industrie de la mode et l’hypocrisie des géants de la Tech.
C’est d’ailleurs ce morceau qu’il interprète à la cérémonie des MOBOs (équivalent des Victoires de la Musique ndlr) au moment de recevoir un ‘Pionneer Award’ pour récompenser l’ensemble de sa carrière. À l’heure où une grande partie de l’industrie se tourne plutôt vers le divertissement cette prise de position est remarquable.
Quels reproches peut-on faire à On Purpose, With Purpose? La première est évidente, l’album ne contient pas de tube. On peut ensuite lui trouver certaines longueurs notamment au milieu du projet avec un enchainement de titres qui se ressemblent et qui sont moins marquants. Enfin les fans de Ghetts de la première heure regretteront peut-être un style, une texture et des sonorités très éloignées du grime.
Pourtant c’est ce dernier élément qui fait la force de l’album. On Purpose, With Purpose est versatile et reflète l’évolution d’un artiste qui reste vrai mais est toujours en mouvement. Tantôt introspectif et spirituel, parfois plus léger mais toujours engagé, Ghetts y est absolument lui-même dans tout son talent. Authentique et profond, On Purpose, With Purpose s’apparente plus à un film d’auteur qu’à un blockbuster, mais c’est une oeuvre à ne pas manquer. S’il est pour le moment trop tôt pour le classer dans le rang des classiques du genre, on ne prend en revanche pas trop de risque en disant qu’il sera sans doute l’un des meilleurs albums rap UK de 2024.
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