Il y a un peu plus de deux ans, à l’occasion de la sortie de son précédent album XX5, nous échangions longuement avec George, évoquant alors son état d’esprit, ses méthodes de travail et ses quelques coups de gueule. Deux ans plus tard, nous retrouvons un artiste plus apaisé, plus mature pour faire un nouveau point dans sa carrière, comprendre ce qui a pu l’amener si jeune à déjà rédiger une biographie et appréhender son état d’esprit lors de l’élaboration de Sacré.
Dès la première écoute, ce qui marque l’auditeur est le fil conducteur de l’album qui s’enroule autour du voyage, de l’amitié, de l’amour. Les composantes de ce que le rappeur considère comme « sacrées » : “Pendant le premier confinement, durant lequel j’étais en plein dans l’élaboration de l’album, je me suis beaucoup renseigné sur ce qu’était le profane, les actes du quotidien, ainsi que le sacré. Je me suis rendu compte à quel point j’avais déjà des rituels dans mon quotidien, dans mon travail d’écriture, d’attendre le soir, ou encore comment je faisais tourner les prods mais aussi avant de monter sur scène avec Rooster et Sanka. J’ai alors réalisé que la musique était sacrée à mes yeux, à quel point je pouvais écouter la musique d’autres artistes d’une manière quasi religieuse, en respectant le tracklisting, en ne faisant rien d’autre que d’écouter attentivement. C’était un moment aussi où nous étions privés de liberté du fait des mesures sanitaires. J’ai réalisé alors à quel point la liberté, les voyages, les rencontres étaient sacrés également.”
Un album empreint à la fois de mélancolie et d’une grande force vitale. Georgio y dresse un tableau noir de la société, mais ce qui ressort avant toute chose, c’est la lumière, l’espoir derrière le nuage. L’illustration parfaite de cette dualité se retrouve dans le titre “Danse”: “ “Danse” représente ce paradoxe présent dans tout l’album: l’espoir en l’être humain et la critique de la société. Les inégalités incroyables qui existent dans le monde et auxquelles on participe tous à notre échelle comme avec notre téléphone et leur batterie. J’ai foi en l’Humain, en nos cœurs et en l’amour mais je réalise en même temps que la société est sombre. Dans le titre “Danse”, ce n’est que des paradoxes, des extrêmes. “On comble le manque par l’excès”. C’est pour ça qu’il y a ce refrain qui dit “Je danse”, je lâche prise, « je ne pense à rien ». De culture, j’ai toujours aimé la musique mélancolique, Barbara, Bashung… Je me sers de cette tendresse, de cette fragilité qu’on trouve dans ces failles pour construire quelque chose, aller de l’avant.”
Pour ceux qui suivent Georgio depuis ses débuts, force est de constater que son écriture et son univers se sont au fur et à mesure tournés vers plus de lumière, plus d’équilibre, là où ses débuts étaient très sombres, emplis d’une dépression à peine masquée: “L’équilibre est essentiel. Il ne faut pas se définir uniquement par ce qu’on fait. On est beaucoup plus que ce qu’on fait. Si je me définis par mon rap, le jour où je ne rappe plus, je ne suis plus rien. On se définit par beaucoup plus de choses, nos actes du quotidien, l’amour que l’on donne autour de nous et c’est ainsi qu’on trouve la paix avec soi-même.”
Autre thématique forte de cet album: l’ode au voyage, à la découverte d’un monde sans limite, fait de richesses, de rencontres et de savoir. Le titre “Kamikaze” lui est dédié et il semble que cette privation de liberté que nous avons tous traversé durant plus d’un an ait eu un impact fort sur le travail d’écriture de l’artiste, le poussant à se replonger dans ses souvenirs: “J’ai avant tout ressenti une nostalgie du manque de liberté et j’ai réalisé à quel point elle était importante. C’est quand j’ai fait mon livre Instants Sacrés, me replongeant dans pleins de souvenirs de ces 10 années dans le rap, que j’ai dû chercher des archives pour partager tout ça avec mon public.”
Le rappeur parisien est un passionné des lettres. A la question de savoir ce que représentait pour lui le fait d’avoir écrit son propre livre, ce dernier répond simplement: “C’est la création d’un objet élégant que d’avoir fait ce livre. C’est un beau souvenir, avec beaucoup de témoignages d’autres rappeurs. Je l’ai pensé comme un carnet de bord. Il n’y a pas un rapport à l’écriture important mais c’est une photographie importante de ces 10 dernières années.” Et lorsque nous lui demandons s’il se voit plus tard se replonger dans ce travail d’écriture mais plutôt autour d’un roman ou d’un recueil de poésie, l’artiste précise: “Oui, à l’avenir j’aimerais écrire, dans un format différent, faire de la poésie. J’adore la poésie. J’avais fait un projet qui n’est pas sorti avec Rooster. J’y interprétais des textes de poètes du siècle dernier sur ses instrus, j’y reviendrai peut-être sur ce projet d’ailleurs. Et écrire des poèmes moi-même, c’est clairement envisageable.”
La peur pour moi, c’est l’opposé de l’amour
La poésie et la musique. Ces deux éléments constituent les influences de Georgio depuis ses débuts sans jamais le quitter, le poussant même à mettre Jay-Z et Jacques Prévert sur le même piédestal dans le titre “Petit Prince”: “Pour moi, la musique et l’écriture ont la même valeur et c’était donc important de faire passer ce message en mettant ces deux artistes à la même échelle. Ce sont deux influences différentes qui valent autant à mes yeux. Je me suis beaucoup appliqué sur la musique. C’est le premier album où je peux dire que c’est du Georgio de A à Z. J’ai réussi à m’affranchir de toutes mes influences pour faire mon propre art.”
Un album intimiste comme à l’habitude du rappeur du 18ème, qui s’appuie tout de même sur quelques invités. On y retrouve son ami de toujours, Sanka, ainsi qu’S-Pri Noir, Zikxo pour l’énorme titre rap « Parallèle » et enfin Kalash Criminel qui partage avec Georgio le titre “Émotions Masquées”, dans lequel les deux rappeurs évoquent la fragilité que les hommes cachent le plus souvent loin de tout regard. Des émotions mises à nu que seule l’écriture et la musique permettent : “Quand je fais de la musique, je peux me permettre d’évoquer ce genre de sujet. A l’inverse, dans ma vie de tous les jours, c’est plus compliqué. Comme n’importe quelle personne, je vis dans cette société qui nous force à nous couper de nos émotions. Le monde bouge, on prend de plus en plus conscience des inégalités homme-femme, beaucoup de choses doivent changer dans les rapports entre les deux sexes. On s’accepte plus dorénavant. Jusqu’à présent, nos émotions étaient trop anesthésiées et aujourd’hui de nombreux sujets nous apprennent de nouveau à être libres, être dans le lâcher prise.”
Autre émotion qui est présente sur l’album comme un leitmotiv : la peur. Tour à tour, Georgio évoque la peur de l’échec, la peur de la réussite, la peur de soi-même. Une sorte de fascination que semble développer l’artiste pour ce sentiment si particulier: “La peur pour moi, c’est l’opposé de l’amour, et non pas la haine. C’est donc un sentiment fort qu’il faut combattre, qui nous coupe de rencontre, de rêve, d’envie. C’est pour ça que dans cet album, j’en parle de manière différente. Je dis que je n’ai plus peur de vivre, plus peur de réussir. Quand je dis que j’ai peur de l’échec, c’est plus pour dire que moi aussi j’ai des failles. C’est un constat.”
En plus d’un album particulièrement réussi, Georgio offre donc en parallèle Instants Sacrés, un livre retraçant ses dix années passées dans le rap, entre souvenirs, anecdotes bien choisies et témoignages précieux: “Je ne voulais pas vraiment une biographie mais plus un hommage au rap. Aujourd’hui encore, le rap français m’émeut, je suis un bousillé de rap. Je voulais montrer à quel point on pouvait être amené au rap. Un jeune aujourd’hui qui voudrait consommer autant de rap que moi, il passera par d’autres canaux qu’à mon époque donc c’était important pour moi de montrer mon cheminement dans le rap.”
A la fin de l’ouvrage, Georgio déclare avoir pensé l’album Sacré comme si c’était son dernier album. De la même façon, le livre Instants Sacrés se présente comme une biographie d’un artiste qui n’a même pas 30 ans et qui semble avoir encore de belles années de carrière devant lui. On peut donc s’étonner d’une telle démarche et lorsqu’on l’interroge sur le sujet, l’intéressé précise : “J’ai en effet pensé cet album comme si c’était le dernier. J’ai déjà travaillé dans ce même état d’esprit pour mon album Bleu Noir car c’était le premier. J’ai retrouvé ici cette même énergie : qu’ai-je envie de dire, qui j’ai envie d’inviter? Inconsciemment, je me suis mis dans cet état d’esprit. Pour le livre, l’énergie était différente. Il s’est passé tellement de choses, j’ai appartenu à cette nouvelle scène avec L’Entourage, 1995, la 75ème Session. Finalement, j’ai roulé avec toute cette génération à un moment ou un autre et j’ai donc eu envie de partager cette histoire à travers moi, mon regard et mes souvenirs.”
L’album est presque entièrement produit par Angelo Foley et Phazz. Les arrangements sont très organiques, les prods minimalistes. On ressent à l’écoute une véritable volonté de la part de Georges et son équipe de chercher ce résultat épuré. Ce dernier témoigne: “L’idée, lorsqu’on s’est mis à bosser avec Angelo, était de bosser de manière organique, analogique. J’avais envie de piano, de guitare. A partir de cela, je peux déjà poser mon texte et sur cette base nous ajoutions alors un beat, quelques instruments plus modernes. Nous voulions quelque chose de fin. Par la suite, nous avons fait appel à Phazz qui a apporté ses arrangements qui ont permis de rentrer l’album dans l’air du temps, que ça soit les bonnes sonorités, que ça cogne. Je me rends compte avec le temps que c’est ainsi que j’aime travailler, en studio, avec un compositeur à qui je propose mes textes. On teste alors des choses, des énergies.” Georgio co-signe d’ailleurs presque toutes les prods car les mélodies ont souvent été élaborées par ce dernier qui a déjà les textes, les refrains en tête avant de bosser sur l’instru en studio. Les formats épurés, acoustiques, Georgio les affectionne particulièrement et il ne serait pas surprenant de le voir pousser encore davantage le concept par la suite: “C’est une formule en live qui pourrait m’intéresser, comme les ‘MTV Unplugged’. C’est pour ça que j’ai fait des sessions acoustiques “Ailleurs” avec guitare, violon, violoncelle. Quand tu as un bon texte, tu n’as pas besoin de plus de choses pour offrir quelque chose qui fonctionne”.
Le livre regroupe de nombreux souvenirs mais aussi énormément de témoignages d’acteurs de ce milieu aux côtés de Georgio depuis de nombreuses années. A la lecture de ces pages et de ces anecdotes, il apparaît évident que le rappeur parisien, fan de rap de la première heure, appartient lui-même aujourd’hui à ce panthéon d’artistes faisant rêver les plus jeunes et les passionnés même s’il est naturellement difficile pour l’artiste de le réaliser: “J’ai conscience d’avoir été un acteur de toute cette énergie d’alors. Mon premier album date de 2011, Sacré sort en 2021, donc je pose un regard sur ces dix années de rap pour tenter d’apporter un éclairage sur ce qu’il s’est passé durant ce laps de temps. Mon histoire peut faire écho à pas mal de monde de cette scène.” Georgio garde une modestie intacte malgré ce parcours accompli et un Zénith de Paris complet.
Pour parler de Georgio et de son nouveau statut, c’est peut-être Vald, son ami, qui le résume le mieux: “Là ou il est devenu un monsieur, j’ai eu l’impression de rester un “p’tit con”. Georgio est devenu classieux avec le temps.” L’élégance, la maturité, sont autant de caractéristiques de la musique et de l’écriture de Georgio aujourd’hui: “J’essaie de faire attention à chaque instrument, chaque mélodie, chaque image, pour faire toujours la meilleure musique possible. Quand on écoute mes textes, c’est toujours premier degré là où Vald, il y a toujours un deuxième voire un troisième niveau de lecture et c’est toujours très engagé. Donc je ne suis pas d’accord de dire que c’est un petit con, mais il est vrai que plus je grandis, plus j’avance dans ma musique et je me sens libre dans mon écriture. J’essaie de faire une musique qui restera la plus intemporelle possible.”
Entretien préparé et réalisé avec Florian Perraudin Houssard.
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