Nous avons voulu échanger avec cet artiste entier, sensible et doté d’une plume digne d’un grand écrivain. Nous avons souhaité savoir quel regard George portait sur Georgio, quelles étaient ses craintes et ses fiertés, qu’il puisse nous décrire les conditions de réalisation de cet album… bref, qu’il se dévoile à nous un peu plus encore, comme si la sincérité de ses textes ne suffisait pas. Rencontre.
BACKPACKERZ : Quel était ton état d’esprit lors de l’élaboration de ce XX5 ?
Georgio : Je me posais des questions. Je me demandais ce que j’avais envie d’apporter au rap, ce que j’avais envie de raconter, et surtout comment j’avais envie de me réinventer. Finalement, j’ai voulu intellectualiser le moins possible mon approche, pour que l’album soit le plus instinctif possible. C’est aussi une période de ma vie où j’ai énormément écrit. C’est l’album qui, je pense, me représente le mieux, on retrouve toutes les facettes qui me représentent sur ce projet, tous mes thèmes de prédilections, ça crée de la diversité et j’en suis très content.
Dans quelles conditions l’album a-t-il été réalisé ?
Je suis parti vivre à Londres pendant plus de deux mois, j’y ai écrit mes premiers morceaux là-bas, comme “100%” et des parties du texte de “Prisonnier”. Le reste a été écrit sur Paris durant les périodes où je n’étais pas en concert. Je maquettais chez moi ainsi que chez mon pote DJ Elite que j’ai rencontré via Nekfeu il y a des années maintenant. Son studio Blackbird est top pour maquetter, c’est plus propre que les maquettes faites chez moi. Je suis également parti écrire en Finlande à Helsinki, pour être seul, loin de tout. Pour l’enregistrement, je me suis entouré de Myd pour réaliser l’album, Tom Fire en tant que producteur et musicien, et Diabi en tant qu’ingé son pour m’enregistrer. Nous sommes partis tous les quatre en Suisse où nous avons enregistré 90% de l’album en mode prise définitive. J’ai aussi réécrit des textes là-bas, on a fait des nouveaux morceaux, rejoué des pianos etc. On pensait finir l’album là-bas mais ce ne fut finalement pas le cas, donc on a a bloqué une semaine supplémentaire sur Paris pour terminer avec Diabi et Myd.
C’est au final un projet très international…
J’aime bien bouger pour écrire et réaliser mes projets, c’est assez sympa d’être seul dans un pays où on ne parle pas ta langue pour pouvoir avancer et être productif. J’écris sur des type beats que je trouve sur Internet. Les trois quarts du temps, je pars du texte et je cherche ensuite l’instru qui ira dessus. Pour “Coup Pour Coup”, de retour sur Paris, on a demandé des prods à gauche à droite, parmi lesquelles j’ai identifié celle-ci, je suis rentré chez moi écrire le texte et le lendemain, on l’a enregistré direct au studio.
Comment t’es-tu rapproché de Myd ?
On s’est rencontré pour cet album. J’aime bien bosser avec des réalisateurs pour que, même quand le projet est diversifié, il y ait une certaine cohérence dans le choix artistique. Le gars doit avoir une certaine vision de ce que je fais pour ne pas être seul à avoir la tête dans le guidon. Je savais qu’on allait vraiment s’entendre dans tout l’esthétisme de la musique, le grain, pour ne pas que ça soit trop propre par exemple.
C’est un album assez long, avec pas mal de tracks. Vous avez viré beaucoup de morceaux ?
Oui on en a viré beaucoup. J’écris énormément, tous les jours. Si je vais jusqu’à maquetter le morceau, c’est déjà l’étape essentielle qui signifie que je kiffe le texte. Si je vais, après, l’enregistrer au propre, c’est que j’y crois. En version presque définitive j’ai dû faire 30 morceaux environ. J’en ai jeté une dizaine, plus des maquettes. Je me souviens d’un morceau où j’adorais le refrain, j’en ai fait trois ou quatre versions mais je ne le sentais pas donc je l’ai jeté. Il y a un artiste que j’adore, qui s’appelle Petite Noir, on a fait un morceau à Londres ensemble qui défonçait, mais je trouvais que le morceau était un peu long donc je ne l’ai pas gardé, même si je veux en faire quelque chose.
Dans cet album, on retrouve moins de storytelling et plus de textes à la première personne. Tu étais moins inspiré pour raconter des histoires ?
Il y en a qu’un seul sur “Ça Bouge pas”. Je ne les calcule jamais les storytellings à l’avance, je ne me dis pas que j’ai envie de raconter une histoire. J’ai eu ici moins cette inspiration-là, pour laisser plus de place à d’autres forme d’inspirations.
Parle-nous des invités : comment as-tu choisi tes featurings ?
Vald, ça faisait super longtemps qu’on voulait refaire un morceau ensemble. À la base on avait une prod qui était un type beat que je voulais racheter et sur lequel j’avais écrit le texte de “Dans Mon Élément”. Au final, je me suis dit que c’est sur cette prod qu’il fallait qu’on fasse un truc ensemble.
Pour Isha, j’avais fait une interview pour Konbini où on me demandait ce que j’avais dans mon téléphone comme musique. J’avais alors dit qu’en rap français il n’y avait actuellement qu’Isha qui me faisait kiffer, et il m’avait envoyé un message pour me remercier en disant qu’il était ravi que je lui donne de la force. Par la suite on s’est rencontré sur Paris, on a énormément de respect l’un pour l’autre. J’avais vraiment envie d’ouvrir sur cet album, après Héra qui n’avait aucun featuring et direct j’ai pensé à Isha. Nos visions de la musique, de l’écriture se rapprochent énormément, avec une vision assez mélancolique, à coeur ouvert, très similaires.
Enfin, il y a celui avec Victor Solf, un des chanteurs de Her avec qui s’est instauré très vite un instinct de ouf. C’est un pote qui m’a introduit, on s’est rencontré, on a fait un premier morceau ensemble qu’on a finalement pas gardé puis un second, qui est sur le projet. C’est devenu un super pote depuis.
En parlant de pote, ta relation avec Vald est-elle toujours aussi forte ? Comment perçois-tu son succès actuel ?
J’en pense que du bien, je suis super content pour lui. Ça fait plaisir quand tu vois ton pote qui perce comme ça. Un titre comme « Désaccordé », je me le suis pris de ouf. Je ne suis même pas étonné au final. D’une manière générale, quand je vois le succès de gars comme Nekfeu, Lomepal, Caba… c’est juste énorme. Caba était venu dormir chez moi quand j’avais une chambre de bonne en 2012. Quand je vois aujourd’hui qu’il fait des dates de ouf avec JeanJass, je trouve ça génial. C’est inespéré en vrai. Tout ce groupe, les gars de L’Entourage… Je viens de voir que Deen venait de faire disque d’or, ce ne sont que des mecs que l’on fréquente depuis toujours et aujourd’hui on existe tous dans le paysage musical français à une échelle différente, et je trouve ça incroyable. Sopico pareil, on a grandi à côté, quand je vois que ça commence à marcher pour lui ça me fait vraiment plaisir. On devait faire un morceau ensemble et au final on ne l’a pas fait. Il va falloir qu’on y remédie. C’est toujours difficile quand tu es trop proche des mecs avec qui tu veux bosser, au final tu ne fais que repousser le truc et ça ne se fait jamais.
Quelle est pour toi la plus grosse prise de risque par rapport à Héra ?
C’est mon morceau”J’en Sais Rien”. Il a un truc vraiment kické avec un refrain super simple et un beat très étrange. Pour ce morceau, je me suis inspiré de toute la grime que j’ai découvert dans les clubs à Londres et en même temps des trucs un peu chelou qu’on retrouve dans le Baile Funk brésilien, avec des mecs comme MC Bin Laden. Mine de rien, pas mal de personnes m’ont découvert avec Héra et je me suis dit que ces gens-là n’allaient pas comprendre ce morceau, d’ailleurs on le voit dans les commentaires sur YouTube ou autre. C’était pour moi une plus grande prise de risque de revenir avec ce morceau bien rap que de faire “Akira”, qui est pourtant complètement chanté. Et c’est pour ça que je tenais absolument que les gens me retrouvent avec ce morceau, je n’avais pas envie de faire un Héra bis, que les gens retrouvent un Georgio qu’ils connaissaient déjà.
Quel recul as-tu aujourd’hui sur ton parcours, ton travail ?
Il y a un truc dont je suis super fier : avoir sorti un projet par an depuis que j’ai 18 ans. J’ai aussi l’impression d’avoir montré à mon public que je faisais ce que j’avais envie de faire, d’avoir créé tout un univers aussi. Il y a des personnes qui étaient dans mes morceaux à 18 ans qui sont toujours là, ce sont des personnages de mon oeuvre.
« J’ai eu une évolution hyper saine »
Enfin, ce qui me fait kiffer c’est de monter le truc marche par marche, je n’ai jamais eu un buzz de ouf, j’ai eu une évolution hyper saine même si on peut toujours avoir envie d’aller plus vite. Tout le paradoxe de ma musique, c’est d’avoir envie d’avoir un certain propos, d’être fidèle à moi-même, de raconter certaines choses et en même temps d’avoir envie que ça marche de fou. Au final, j’ai toujours préféré rester intègre et faire des choses qui me ressemblent.
Penses-tu qu’il y ait une sorte d’incompréhension de la part de ton public quant au message que tu souhaites passer ? Tu es écouté par un large public féminin tout en ayant en réalité un discours qui transpire la rue.
J’ai toujours raconté la vie de quartier mais non pas au travers de leurs acteurs principaux ou de ceux qui font fantasmer, mais toujours au travers de la vie du mec lambda, qui est là, qui ne vend pas de drogue ni ne va en prison. Juste la vie de trois quarts des gars qui vivent dans ces quartiers. Plus des fantômes qui ne participent pas réellement à la vie de ces quartiers tout en étant indissociables de ces derniers.
Je ne pense pas qu’il y ait une réelle incompréhension, j’ai en fonction de la période de ma carrière mis en avant tel ou tel aspect de ma personnalité , je trouve ça cool de bousculer les choses, de mélanger les genres. Certaines personnes ne se retrouveront pas dans tous les morceaux mais c’est tant mieux. Ceux qui kiffent l’esthétisme pur et dur du rap pourront quand même se retrouver dans un morceau comme “Aujourd’hui”. Après j’ai toujours kiffé la chanson française et le rock, voilà pourquoi il y a toujours cette sonorité pop, pas dans le sens vulgaire du terme, mais plus dans l’effort d’être mélodieux dans les refrains par exemple. Cet album, c’est vraiment un puzzle de ma personnalité.
As-tu chassé tes vieux démons et es-tu aujourd’hui plus en paix avec toi-même ?
Disons que je dompte mieux mes démons et que je me sens aujourd’hui plus apaisé, mais j’ai toujours des grosses périodes de mélancolie, c’est pour ça qu’on retrouve quand même cet état d’esprit dans l’album. Mais je suis beaucoup moins dans un esprit veine ouverte que je ne le fus par le passé à l’époque de Bleu Noir. Je ne me sentais vraiment pas bien mais je me demandais en même temps si je serais capable d’écrire sans cet état d’esprit. Aujourd’hui je réalise que lorsque tu es capable d’écrire sur les états humains, tu peux écrire tout le temps même si c’est vrai que ça m’aide beaucoup à écrire.
L’amour a souvent été au cœur de tes textes. Aujourd’hui encore l’amour est-elle un driver pour toi ?
L’amour a toujours été un moteur dans ma vie. Les rapports humains m’ont toujours boosté et du coup, l’amour au sens du couple contient une intensité très inspirante. Donc oui, cela reste un élément essentiel de mon inspiration.
Quels sont les écrivains ou poètes qui t’inspirent en ce moment ? Quel est le dernier livre qui t’a marqué ?
J’étais sur un recueil de Paul Eluard avec des illustrations de Man Ray qui s’appelle Les Mains Libres. Il y a aussi un auteur que j’ai découvert une fois que l’album était terminé, c’est Edouard Louis avec l’oeuvre Qui A Tué Mon Père. C’est un livre hyper fort, qui parle de la transformation physique à cause de la politique en France sur les plus pauvres, qui se cassent le dos à l’usine. C’est très politisé et très puissant. J’ai lu également 1984 de George Orwell qui m’a marqué aussi au moment où on commençait à voir partout dans Paris des gens sur leur trottinette électrique et où tous les trajets sont mémorisés. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle entre ce livre visionnaire et ce que nous sommes en train de vivre.
Les événements sociaux que la France traverse depuis plus d’un mois t’ont-ils touchés ?
Je suis un peu choqué du comportement de notre Président, de son silence si long avant de réagir, son augmentation du SMIC qui n’en est pas une, son discours où pendant les cinq premières minutes, tu ne comprends pas de quoi il parle et où son vocabulaire employé semble être une manière de nous faire sentir inférieur à lui, tout ça pour ne rien dire au final. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes plus forts ensemble et j’apporte donc tout mon soutien à ce mouvement, car je pense qu’il est nécessaire de s’indigner.
Si tu devais demain choisir entre l’écriture et le rap, quel choix ferais-tu ?
Je garde l’écriture ! Les deux moments où je suis le plus heureux dans la musique, c’est quand j’ai fini d’écrire un morceau et que je sens que c’est un putain de texte, ce qui me met dans un profond bonheur, et quand je suis sur scène. La scène, c’est vraiment incroyable mais quitte à garder un des deux je garde l’écriture car c’est ma liberté, donc vivre la scène avec des textes qui ne seraient pas de moi, je ne vois pas l’intérêt.
Cette interview a été menée et préparée avec l’aide de Benjamin Boyer.
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