L’année 2010 fut marquée par la montée en puissance d’artistes tels que Rick Ross, Drake ou Nicki Minaj. Le monde du hip hop est alors dominé par le rap mainstream qui occupe visiblement toute la place dans cette culture urbaine. Toute ? Non ! Certains irréductibles résistent encore et toujours à l’envahisseur. Parmi eux, le groupe The Left, constitué de trois extrémistes de Detroit, Apollo Brown, Journalist 103 et DJ Soko, redonne une seconde vie au hip hop des bas fonds à travers leur album Gas Mask. Cinq ans après, retour sur ce futur (ou déjà?) album classique du rap underground.
« The rap game hate it, Hip Hop I love it »
Comme sur beaucoup d’albums de rap underground, le emcee Journalist 103 est sur cet album animé par une haine du hip hop mainstream. Cette industrie musicale qui vient empoisonner tous les rappeurs d’où la nécessité de se protéger avec un masque à gaz.
Dès l’introduction cette allusion est faite à travers un sample. « Gas masks were only for the privileged ». En effet, seule une poignée d’irréductibles parviennent à résister à la pression du hip hop « commercial ». Mais le morceau éponyme est bien celui qui fait le mieux état de cette volonté de rébellion face aux lyrics faiblards et aux fausses attitudes dont la musique est désormais imprégnée.
Journalist 103 est bien entouré dans sa croisade pour reconquérir le vrai hip hop puisqu’on voit à ses côtés quelques rappeurs de marque tels que Kool G Rap (dont le morceau Frozen a visiblement disparu de la tracklist officielle à présent ndlr) et Guilty Simpson, entre autres. C’est donc en oscillant entre critique du rap actuel et critique de la société que les différents emcees nous invitent à ne pas nous laisser submerger par le flot de « détritus » qui polluent le milieu hip hop.
« Backed by Apollo Brown, the beat’s monstrous »
Après avoir fait ses armes dans les battles de beatmaking et sous les conseils de Bronze Nazareth (beatmaker au sein du groupe Wisemen, affilié au Wu-Tang Clan), Apollo Brown débute sa carrière solo en 2010 en sortant un premier opus intitulé The Reset. Peu de temps après il se lance dans l’aventure The Left avec Journalist 103. Apollo Brown n’est pas encore bien connu des auditeurs hip hop à l’époque et pourtant il impose déjà sa patte, son style, reconnaissable parmi tant d’autres.
Des drums percutants, agressifs, sombres viennent se heurter aux samples soulful plus mélodieux et plus doux qui rythment les instrumentaux. Le son est sale, le crépitement du vinyle résonne dans les oreilles et on hoche la tête presque instinctivement, en harmonie avec la musique.
L’effet est immédiat, on avait rarement entendu quelque chose d’aussi marquant ces dernières années dans le hip hop underground. Tellement marquant que les beats en viennent parfois à nous faire oublier le rap de Journalist 103 qui pose dessus. On pourrait souligner le côté répétitif, redondant dans la construction des instrumentaux, mais après tout, Apollo Brown c’est un peu comme un plat de votre grand-mère : la recette ne change pas et ça reste toujours aussi bon.
« It’s Journalist reporting live from the killing fields »
L’aspect sombre des morceaux, on le retrouve également dans les textes de Journalist 103, c’est d’ailleurs ce qui fait toute la cohérence de cet album. Cette ambiance grimy est en réalité celle de la ville de Detroit, cimetière industriel où règnent le chômage et la criminalité. Un sujet que nous avions déjà abordé sur le site dans notre dossier Detroit State of mind.
Par conséquent un rappeur n’a probablement jamais aussi bien porté son nom. Tout au long de ce projet, Journalist 103 nous livre un véritable reportage sur la ville de Detroit et sa réalité. Cette ville où on vend des armes et des âmes (« How We Live »), où on grandi avec une mère accro au crack et un père alcoolique (« Statistics »), où si tu n’est pas tué par une balle, la galère s’en chargera (« Real Detroit »). On voit tout de même des morceaux construits sur des thèmes plus globaux tels que la misère dans le monde (« Binoculars », « Fooled for Thought ») ou l’amour (« The Melody »).
La sincérité des lyrics combinée avec la voix imposante et l’air très solennel de Journalist 103 nous permettent de vivre pleinement les morceaux. A travers un rap très carré, sans être pour autant très technique, le emcee nous propose une visite guidée de Motor City tel un envoyé spécial.
En 2010, Gas Mask s’impose donc comme un album surprenant et probablement celui qui lancera la carrière si prolifique d’Apollo Brown. On retrouvera en 2013 cette sincérité et cet intérêt pour la ville de Detroit sur l’album d’Ugly Heroes, également produit par Apollo Brown. Les rappeurs Red Pill et Verbal Kent aborderont cette fois-ci le sujet du point de vue de leur quotidien : des américains lambda qui tentent de s’en sortir dans des temps difficile, face au chômage, à la crise économique, etc..
Cinq ans après sa sortie, ce petit bijou de rap underground n’a pas pris une ride et continue de faire bouger les têtes comme l’a prouvé le set d’Apollo Brown à la Bellevilloise jeudi dernier. Un album marquant pour toute une génération de rap heads, en mal de nouveautés boombap à la fin de la décennie 2000, qui mérite selon nous largement sa 14ème place dans notre classement des meilleurs albums de rap US depuis 2000. A vous de juger…
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just listen to the meloooooodyyyyy.... Enorme album. Les bases d'apollo sont posée la!