Si on m’avait dit il y a quelques années que j’écrirais en 2019 une chronique d’un « album » de Gang Starr, certainement que je ne l’aurais pas cru… 30 ans après la sortie de leur premier projet No More Mr. Nice Guy, DJ Premier tenait à refermer comme il se doit cette aventure qui aura marqué à jamais l’histoire du Hip Hop. Dans les années 90, le duo iconique nous a gratifié de quatre projets de haute volée avec les Step in the Arena (1991), Daily Operation (1992), Hard to Earn (1994) et Moment of Truth (1998), sans oublier cette excellente compilation best of Full Clip: A Decade of Gang Starr parue en 1999.
De ces années, on retiendra surtout l’alchimie entre les deux protagonistes avec une fin malheureusement un peu amère qui aboutira à un divorce très compliqué. Leur dernier album en commun, The Ownerz en 2003, marquera le début de la fin notamment pour Guru : « Quand nous avons débuté l’enregistrement de The Ownerz, la situation générale était déjà très frustrante. Durant la création de cet album j’étais déjà à la recherche d’autre chose… ». Cet autre chose sera une rupture définitive avec DJ Premier et le début de son association avec le producteur Solar.
Ce nouveau duo travaillera ensemble sur 3 projets à la qualité assez aléatoire, dont le volume 4 de la fameuse série Jazzmatazz. De ces nombreuses collaborations naîtra finalement plus tard ce nouveau projet de Gang Starr suite au rachat en 2016 par Premier de morceaux jamais sortis de son ex-acolyte. « Je me doutais que Solar avait certainement des inédits quelque part. Guru était comme Tupac, il ne s’arrêtait jamais d’enregistrer. Et peu importe le prix demandé, il me les fallait absolument ». C’est donc avec une trentaine d’enregistrements partiels que Preemo se lança comme grand défi de recréer minutieusement des morceaux inédits de Guru.
Il aura fallu quasiment 2 ans de travail acharné à DJ Premier pour finaliser ce projet de 37 minutes. Une démarche sous forme d’hommage posthume qui questionne sur quelques points. En effet, les sessions d’enregistrement récupérées par Preemo comportaient toutes déjà une instru produite par Solar. Et quand ce dernier a accepté de les céder au beatmaker de Gang Starr, il n’imaginait pas une seconde que toutes ces productions seraient intégralement remplacées…
Si sur le fond l’hommage est légitime et a de quoi créer l’événement. La forme, elle, peu paraître un peu gênante quand on sait que Guru n’a pas enregistré ses textes dans une optique d’un album de Gang Starr, puisque les 2 ex-partenaires ne se parlaient plus du tout… Derrière cette problématique où chacun se fera son propre avis, l’excitation de retrouver Guru sur des prods de DJ Premier prend quand même rapidement le dessus.
En nommant ce projet One Of The Best Yet, Preemo rappelle à toute une génération l’importance de l’héritage de Keith ‘Guru’ Elam dans le rap game. Le MC né en 1961 a fait parti au début des années 90 de ces rappeurs qui ont installé un standard derrière le micro, à l’instar des Rakim, Ice Cube, Scarface, Kool G Rap et autre KRS-One pour ne citer qu’eux. Un nom de projet qui par la même occasion est aussi un joli clin d’œil à ce mythique morceau « Full Clip » qui fait toujours son effet 20 ans après sa sortie.
Ce qui définit finalement le mieux l’univers Gang Starr, c’est sans aucun doute le charisme imposant de Guru au mic et cette signature sonore si caractéristique des prods de DJ Premier. Cet album nous rassure assez vite de ce côté là avec un contenu fidèle à la légende et à ce qu’on est en droit d’attendre de cet événement.
Pour commencer l’analyse de ce projet, le premier titre dont j’ai absolument envie de vous parler est ce single « Bad Name ». Un titre qui s’inscrit dans son temps et qui s’ouvre par ces mots : « Word to God, if Big and ‘Pac were still here / Some of these weirdos wouldn’t act so cavalier ». Un état des lieux du Hip Hop toujours d’actualité aujourd’hui et même plus que jamais : « We all know that the game has changed / It’s crazy out here and rap’s got a bad name / Think about it, what if bling never happened / And the true artists were gettin’ rich from rappin’? ».
Un morceau qui respire l’esprit Gang Starr et qui décrochera obligatoirement un gros hochement de tête aux fans du genre ! Pour le clip de ce morceau, c’est le fils de Guru (Keith Casim Elam) qui s’occupe du playback de son père avec une ressemblance physique frappante notamment depuis qu’il a décidé de se couper les cheveux.
Ce projet porte aussi naturellement le sceau Gang Starr Foundation avec quatre titres dans le pur esprit des précédentes collaborations des différents membres de ce collectif. Placé en tête de tracklist, le morceau « Lights Out » avec M.O.P. est une ouverture marquante même si je trouve que le couplet de Guru peine un peu à trouver ses marques sur ce beat. Du côté du duo de Brownsville, le travail est fait dans les règles de l’art tout comme Big Shug et Freddie Foxxx sur ce « Take Flight », volume 4 de la série de titres « Militia ».
On ne boude pas non plus notre plaisir de retrouver Guru aux côtés de Jeru The Damaja sur ce « From A Distance ». Le God Universal Ruler Universal et le Justice Equality Ruler Universal s’élèvent dans le cosmos pour porter la bonne parole : « Three-hundred-sixty degrees, we comin’ full circle / Open the portal, now you witness God’s immortal verbals ».
Toutefois, la meilleure de ces collaborations reste pour moi ce sublime « What’s Real » avec au refrain le duo Group Home (Lil Dap & Melachi the Nutcracker) et porté par une performance sans faute de Royce Da 5’9″ : « While the smoke is in the air, feel like voodoo’s on the floor / ‘Cause we got the actual ashes of Guru on the boards / He’s sittin’ right inside an urn in the session / Lookin’ down from Heaven to Gang Starr’s current progression ». Partenaire de jeu de Preemo depuis 2013 avec leur duo PRhyme, Nickel Nine fait partie de ces dignes héritiers de Guru et lui rend hommage de la meilleur des façons.
Restons un instant avec les invités qui, dans ce genre de projet posthume, il faut bien le reconnaître, restent une variable d’ajustement importante voire nécessaire. En associant J. Cole à Guru pour le premier single de cet album, DJ Premier crée un lien entre deux générations bien différentes mais qui se rejoignent dans la vision de leur art. Le rappeur de Caroline du Nord est un descendant direct de la Golden Era et s’applique à rendre un joli hommage à son aîné dans ce très bon morceau « Family and Loyalty ».
Si J. Cole, en tant que MC, est l’un des meilleurs représentants de la génération des années 2010, Preemo a aussi eu la bonne idée d’associer son ancien partenaire avec deux autres kickers emblématiques des dernières décennies : Talib Kweli pour les années 2000 et Q-Tip pour les 90’s. Le premier sur l’engagé « Business Or Art » qui se questionne sur les intentions de certains : « Askin’ you where your heart is, but you an artist / You was never as hard as you said you was / Maybe lyin’, wasn’t the smartest decision you ever made / ‘Cause this business ain’t regulated / If you beefin’ over beats in these streets, you’ll never make it / Now you singin’ to cops, that’s your favorite tune, nigga / They ain’t got Yelp reviews for goons, nigga ».
En ce qui concerne Q-Tip, on retrouve le leader du crew A Tribe Called Quest sur le morceau « Hit Man ». L’un des moments forts de ce projet et certainement mon morceau préféré. Guru y décrit le portrait robot et le quotidien d’un tueur à gage dans lequel il se reconnaît quand il est au micro. Une rafale sonore qui vise juste bien aidée par ce refrain de Tip, véritable plus-value !
Les deux derniers guests de ce projet sont peut être ceux qu’on attendait le moins. Avec « Get Together » on évolue dans une sphère différente où la magie opère un peu moins bien avec ce rythme très ralenti (d’où la présence de Ne-Yo au refrain). Un titre placé juste après le convainquant « Family and Loyalty » et qui souffre de la comparaison. On retiendra surtout la présence de Nitty Scott qui avait seulement 13 ans lors de la sortie du dernier album de Gang Starr, un clin d’œil féminin sympa d’autant plus qu’elle est à son avantage.
Ce genre d’album posthume atteint toujours à un moment ses propres limites. En effet, au fil des écoutes il m’est un peu gênant d’entendre seulement des ‘bouts’ de Guru ici et là. Rares sont les morceaux où on a l’honneur d’entendre deux couplets complets du rappeur né à Boston. « Bring It Back Here » est très frustrant par sa durée, seulement 50 petites secondes… Et le titre final, « Bless The Mic », ne se compose que de deux mini couplets.
Il est clair que Preemo a fait avec les moyens du bord, et ce qu’on lui a cédé. Ce qui ne m’empêche pas de regretter le peu de tracks solo comme « So Many Rappers » par exemple. Dans ma vision du personnage, Guru restera toujours pour moi l’un de ces rappeurs emblématiques de la génération ‘3 couplets de 16 mesures’. La frustration de l’entendre donc partiellement est donc tenace. Même si au final, on pourrait dire que ces morceaux très courts épousent la tendance actuelle et sont à l’image de la période que nous connaissons…
I’ve been wanting this closure for a long time and I feel like this album does it
Au moment de conclure cette chronique, c’est un sentiment de satisfaction qui l’emporte avant tout. La joie de réentendre Guru prend rapidement le dessus sur les limites d’un projet posthume. Les deux artistes sont fidèles à eux-mêmes et la principale qualité de cet album repose sur cet environnement familier qui nous avait vraiment manqué.
Le pari de DJ Premier est réussi : rendre hommage de la plus belle des façons à son partenaire disparu, véritable légende de la culture Hip Hop. Toujours l’un des meilleurs à avoir maitrisé le micro, Guru le restera pour toujours !
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