Après avoir livré un EP prometteur en 2020, le jeune rappeur belge vient enfoncer le clou avec sa première mixtape colorée.
Frenetik est un de ces jeunes artistes sur qui il faut compter dans la scène rap francophone. Son EP nommé Brouillon a fait l’effet d’une bombe tant son écriture et son explosivité s’allient à la perfection. Ce premier essai est d’autant plus remarquable qu’il n’était initialement pas prévu.
Ce qu’il considère à l’heure actuelle comme une simple cartouche de secours lui a permis de faire circuler son nom dans toutes les oreilles des auditeurs à l’affût de la moindre pépite. Comme quoi les brouillons ne sont pas bons qu’à être jetés.
C’est ainsi que le destin poussa le natif de Bruxelles à tester son art auprès du public avec des morceaux qui rencontreront un certain succès tels que « Virus BX-19 » et « Désordre ». Néanmoins la sortie du single « Infrarouge », le premier extrait de son nouvel opus, l’a définitivement installé comme rookie. La fougue et la densité de sa prestation génèrent de la fascination autour de l’artiste qui voit sa fanbase s’agrandir et nourrir des attentes autour du projet.
Ce dernier est donc agrémenté de couleurs afin d’aborder diverses émotions tout en jouant sur les nuances. Si dans un tout autre registre J Balvin l’a devancé quelques mois plus tôt avec un album sobrement appelé Colores, Frenetik propose sa version beaucoup plus sombre à ce sujet.
Une palette obscure
En observant la tracklist, on aperçoit une dominante de couleurs chaudes, pouvant à la fois refléter son tempérament ainsi que l’animosité qui se dégagent de ses textes.
La pochette, quant à elle, est plongée dans l’obscurité de la nuit qui laisse apparaître la silhouette orangée de Frenetik dans une flaque d’eau. Le fameux jeu démarre dès le visuel et rien n’est laissé au hasard par cette direction artistique qui nous indique que la température est instable.
On démarre dans le Chaos total avec une introduction enflammée. Frenetik est inarrêtable et crache ses lyrics comme galvanisé par sa rage et sa motivation sans failles. Sans faire partie de la palette, ce morceau a le mérite de présenter toutes les thématiques du projet à savoir la rue, la tentation, la souffrance et l’amour. L’urgence et la réussite du rappeur dépendent de sa manière de survivre dans son environnement.
Les fans de la première heure pourront observer une nette amélioration de la part de l’artiste dans la tonalité de sa voix, ce qui ajoute une dimension beaucoup plus grave dans ses sujets et laisse la part belle à une introspection un peu plus poussée. De plus, quelques liens semblent s’établir entre ses deux projets par le biais des titres « Désordre/Ombre » et « Chaos/Lumière ». Ce souci du détail est d’autant plus fort que les morceaux se répondent malicieusement et témoignent d’une maîtrise de son art.
Sa débauche d’énergie est hors de contrôle dès les premiers morceaux et se trouve magnifiée lorsque les injustices et la violence sont abordées. Le rappeur décrit une certaine représentation du succès par la survie, intimement liée à des risques conséquents, comme l’illustre le morceau « Rouge ».
Un tel mode de vie apporte également une mélancolie que le rappeur préfère dévoiler plutôt que de l’avouer à demi-mot. Blessé par des relations superficielles, Frenetik établit un constat poignant sur la concurrence omniprésente et destructrice. Le contrepied est parfaitement exécuté lorsqu’il se met à pousser la chansonnette pour mieux atténuer ses plaies (notamment sur l’excellent bleu et un peu plus timidement sur Lumière).
Son état d’esprit est bonifié grâce à ses producteurs (principalement Chuki Beats et Twinsmatic) qui parviennent à capturer son explosivité, mais plus étonnamment, sa sensibilité avec un invité spécial.
En effet, son spleen éclate au grand jour lorsqu’il fait appel à l’immense talent de Sofiane Pamart pour créer le brillant Noir sur blanc, un morceau aussi puissant qu’introspectif. Ce qu’il considère comme sa “propre interview” est surtout le pilier de cet album par sa capacité à faire preuve de transparence et inviter l’auditeur à s’identifier sur certains aspects. La pureté du piano se heurte aux propos du rappeur qui s’appuie sur sa conscience pour ne pas flancher et ainsi délivrer le meilleur morceau de sa jeune carrière.
Néanmoins, la ferveur retombe en offrant une parenthèse bienvenue du nom de Frérot. Le ton se veut léger, doux et plus chaleureux avec l’apport de Twinsmatic à la production qui vient éclaircir la palette. Cependant, on peut regretter que Frenetik ne réitère pas un morceau de ce type afin de varier les thématiques bien trop similaires sur la durée.
Un tableau “engagé”
Si quelques thèmes reviennent régulièrement au sein de ce projet, celui des forces de l’ordre est un élément important. L’année 2020 – au-delà du Covid-19 – a surtout été frappée par le meurtre de George Floyd qui a fait naître bon nombre de manifestations pour réclamer la paix et la justice dans un pays en proie au doute.
Beaucoup d’artistes à travers le monde ont ainsi dégainé leur plume pour écrire des manifestes sous forme de chansons. Frenetik ne déroge pas à la règle et tient à partager sa vérité, celle des siens. Dans le morceau Blanche Neige, le rappeur met un coup de pied dans la fourmilière:
“Quand ils tapent nos blases dans les fichiers, ils paniquent car pour toutes sortes de choses on est fichés […] Y’a pas photo, les idées sont négatives lorsque tu nous vois à travers les clichés”
Puis fait part de sa frustration vis à vis du traitement de ces événements par l’opinion publique:
“Ils ont attendu bavures, violences gratuites et règlements d’compte pour se rendre compte que d’puis toujours la vie des noirs compte” (Mauvais oeil)
Son habileté à glisser de tels messages fait mouche grâce à son écriture aiguisée influencée par ses idoles, et désormais collègues, Youssoupha ou Lino.
Pour sa première carte de visite officielle, Frenetik marque un très grand coup. Ses textes et sa plume sont impressionnants de maturité. Néanmoins, les thématiques peinent à se renouveler et peuvent lasser l’auditeur sur la totalité du projet. Il demeure malgré tout très qualitatif dans son ensemble et démontre que Frenetik n’a pas encore dévoilé son plein potentiel. Et ça on s’en réjouit.
Ecouter Jeu de couleurs de Frenetik
Cette chronique est une contribution libre proposée par Steven De Bock.