Il est toujours difficile pour un fan du Loopdigga comme moi de parler du « nouveau Madlib » sans laisser peser dans son discours l’anticipation qu’une telle sortie peut engendrer. Et autant dire que pour Piñata, Madlib et son nouvel acolyte Freddie Gibbs ont su faire monter la pression ! Certains des titres de l’album étaient déjà disponibles dans des EPs, au nombre de trois, produits ces trois dernières années. Nous avions donc été gratifiés de Thuggin’ en 2011, Shame en 2012. « Deeper » et « Harold’s » sont sortis dans un même EP en 2013. L’attente en valait-elle la peine?
Soulignons d’abord que toute la production de Madlib sur cet album est neuve. Le virtuose du sampling n’a pas réutilisé le travail fourni dans ses Beat Konducta, et c’est un très bon point. Et qu’est-ce que ça donne ? Pour une bonne moitié des instrumentaux, on reconnait la patte du maître. Les titres comme « Lakers », « Broken » ou encore « Robes » rappellent les meilleurs moments de l’hommage que Madlib avait rendu à son frère d’armes J Dilla (The Beat Konducta Volume 5-6). Les fans ne seront pas déroutés. Mais sur Piñata, Madlib montre à l’auditeur une autre facette de son talent versatile. Il laisse de côté les piles de samples puisés dans les vieux disques de jazz pour créer des beats à partir de boucles enregistrées au synthétiseur. L’ambiance distillée dans certains titres comme « High », « Shitsville » ou « Uno » est alors plus proche du Thug Rap du début des années 2000 que du Hip-Hop teinté de soul auquel le Beat Konducta nous avait habitué. Dans cette veine là, Madlib ne déçoit pas et livre de solides instrumentaux.
Qu’en est-il de la prestation de Freddie Gibbs sur Piñata? Ce rappeur natif de l’Indiana a fait ses armes dans le rap gangsta, certainement influencé par 2Pac ou Bone Thugs-N-Harmony. Rien de surprenant alors à retrouver les thématiques habituelles du thug rap dans Piñata. Trafic de stups, déboires avec la justice, armes à feu de tous calibres, grosses décapotables, Freddie Gibbs coche toutes les cases. Cet album pourrait être un énième condensé de clichés, un exercice de style un peu ennuyeux sans le talent d’écriture de Gibbs. C’est quand il parle de weed et de guns qu’il est le plus à l’aise. Le lexique qu’il déploie sur ces thèmes est absolument faramineux. Pour notre plus grand bonheur, ses textes sont aussi truffés de références culturelles qui sentent bon l’Amérique, et particulièrement la Californie. Ma préférence va à la chanson « Harold’s », en référence à Harold’s Chicken Shack, une chaine de fast-food spécialisée dans le poulet :
« Extra sauce with the bread stuck to the bottom, Freddie Forgiato, all my bitches spoiled rotten. »
Même si Gibbs n’est pas un tendre, ses rhymes sont riches et bourrées d’humour… Et tant pis pour ceux qui en font les frais car bien sûr, « Freddie Forgiato » n’oublie pas d’envoyer quelques bastos bien senties. La chanson « Real » est une véritable charge contre CTE et plus particulièrement Young Jeezy qu’il considère comme un lâche :
« Seen Gucci by himself while we was 30 deep at Magic, and you didn’t bust a grape, was shook from the gate. It make it seem to me the gangsta shit you kick be fake. »
Pour ce qui est des femmes en revanche on repassera. Il n’est pas question d’amour dans les couplets de Freddie, ni même de sensualité. Il donne l’impression de ne côtoyer que des groupies qu’il apprécie surtout pour leur talent à l’oral. Malgré un côté hyper macho qui n’est pas inhabituel chez ce type d’individu, force est d’avouer que Freddie Gibbs compte parmi les meilleurs lyricists du moment. Son point faible, sur lequel il est difficile de faire l’impasse, est sont flow. Même s’il rappelle celui de 2Pac, il est nettement moins vitaminé. Gibbs gagnerait à être moins carré, moins monocorde, ce qui rendrait plus facile l’écoute du disque d’une seule traite. Heureusement, certains featurings bien sentis viennent enrichir la collaboration entre Gibbs et Madlib. Le couplet de Danny Brown dans « High » est des plus rafraichissants et apporte un contraste intéressant avec l’effort du MC en vedette sur Piñata. La contribution de Domo Genesis et Earl Sweatshirt sur « Robes » est aussi tout à fait remarquable. Les nostalgiques des années 90 apprécieront la présence sur l’album de Raekwon et Scarface, même si leur performance est un peu en deçà de ce qu’ils nous ont offert par le passé. Mais c’est comme ça, le temps passe…
On est d’accord, Piñata ne représente aucunement une révolution dans le rap, on peut même qualifier ce disque de nostalgique. Nostalgique de l’époque où l’on portait une paire de Jordans, où l’on n’avait pas de portable et où Biggie était vivant. Mais ne boudons pas notre plaisir, Piñata reste un disque très réussi, tant au niveau de la production qu’au niveau de la performance de Freddie Gibbs. Le duo fonctionne très bien, même si l’écoute de Piñata ne parvient pas à faire oublier l’association de Madlib avec DOOM sur Madvillainy, ou encore Jaylib et son Champion Sound. Ce nouvel album est à conseiller aux fans de Madlib qui auront l’occasion de se mettre sous la dent de tous nouveaux beats du Loopdigga, mais il pourra aussi satisfaire les auditeurs à la recherche d’un gangsta rap de qualité. Comme le dit Gibbs lui-même en ouverture de « Thuggin » :
« Niggas be like « Fred, you ain’t never lied », Fuck the rap shit my gangsta been solidified. Still do my business on the side »
Piñata est disponible en : Digital | Vinyle | CD
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