Faktiss, le Joga Bonito du rap français

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Faktiss, le Joga Bonito du rap français

« Si t’as envie de parler d’une poule qui picore du pain dur et que ça marche, tant mieux. Si tu veux parler de réussite, de détermination ou de la faim dans le monde ; vas y, mais fais-le bien ! ». Y a-t-il un meilleur moyen d’introduire et de présenter l’univers de Faktiss qu’en citant ce dernier ? Travailleur acharné à la plume follement métaphorique, le Montpelliérain a récemment pris son émancipation du groupe Set&Match, ambassadeur d’un rap décontracté, et a sorti son premier album solo P.O.V en août dernier, jonglant entre bangers et poésie.

Des débuts en crew

Vous aviez probablement déjà eu vent de cet artiste alors qu’il était encore membre du groupe Set&Match. Son grain de voix particulier, ses lyrics travaillés et son flow appuyé témoignaient alors dès ses débuts d’un artiste complet à qui le succès tendait les bras. Pendant des années durant il a donc travaillé avec ses compères de rimes Jiddy et Bunk, incarnant un rap « fumette » estival, juvénile, plein d’insolence. La véritable alchimie et la grande complémentarité qui unissaient les membres du groupe ont garanti un succès aussi bien commercial que critique au trio sudiste dont les chemins se sont aujourd’hui séparés, privilégiant les carrières solos de chacun. Cette séparation apparaît comme une pause (en témoignent les nombreux featurings sur leurs projets respectifs) plutôt qu’un adieu et le groupe n’exclut pas de se reformer un jour ou l’autre.

L’émancipation à travers ses origines

Lâché dans la jungle du rap-game, Faktiss a très vite su prendre ses marques fort de son expérience. Rapidement on a vu son nom associé à des projets d’artistes d’un certain pedigree comme Gracy Hopkins ou encore le producteur Sango, dont l’univers brésilien décontracté, éclectique, vibre à la perfection avec les origines pleines de samba de Valério De Lima Rosa dit Faktiss qui a vu le jour dans le pays du football, à Bélem. Chose surprenante; lorsqu’on lance le titre, on s’attend à ce que logiquement, le rappeur balance ses rimes en français, ce à quoi il nous avait habitué mais loin de là. En effet, c’est dans la langue de Ronaldinho qu’il va livrer ses rimes, une langue aux sonorités bien plus rondes, plus colorées et virevoltantes que le français. La complicité avec Sango est totale : à travers un rap mélodique, les deux artistes nous transmettent une musique dansante qui s’infiltre dans le corps et donne une furieuse envie d’enflammer le dancefloor.

Le featuring avec Gracy Hopkins s’inscrit dans un style bien plus contemporain. « The Cançao: Family » est ainsi le fruit d’une production orientée trap, caisse claire en rafale, notes de piano lourdes qui donnent une atmosphère pesante, contrastées toutefois par un doux fond de percussions qui ne sont pas sans rappeler les batucada (grand groupe de percussions, typiques du Brésil). Après que son homologue français qui rappe lui dans la langue de Shakespeare a posé son couplet avec incision, Faktiss arrive tout en joie et livre un couplet haut en couleur alliant français et brésilien.

De l’importance et de l’obsession pour l’écriture

« Entre le noir de mes ratures,
Le blanc de ma feuille
J’fais des nuits blanches épileptiques »

Une volonté telle d’atteindre la perfection qui éteint toute lueur d’inspiration, étouffe chaque once de création et annihile toute idée la jugeant fatalement médiocre et sans intérêt. Faktiss n’y échappe pas, victime de son côté perfectionniste, le rappeur montpelliérain attache une importance capitale à l’écriture et balaye d’un revers de main les textes bâclés sans poésie. Loin d’être condamné, le MC se bat contre ce syndrome pour faire danser sa plus belle plume sur le grain d’une page blanche prête à être malmenée entre ratures et froissements.

Il l’affirme lui-même dans un échange que nous avons eu par mail, en nous répondant sur la place qu’a l’écriture pour lui : « le texte est primordial pour moi ! ». MC Solaar nous parlait du « poids des mots », Faktiss s’inscrit pleinement dans cette mouvance là, du poids des mots, du choix du bon mot, de la bonne expression, puisque pour lui, » on s’en bat les couilles que tu passes ton temps à gratter, que tu couches avec plein de femmes […] mais la manière dont tu en parles et la façon de le dire ferons la différence. ». On en revient donc à cette fameuse histoire de la poule qui picore, exemple symbolique de la philosophie d’écriture du rappeur, qui se veut imagée, parfois légère, parfois pesante, toujours métaphorique.

 « Midgard », titre 0

Le patient 0, c’est cet individu considéré comme le premier contaminé d’une épidémie. En appliquant ce principe à la musique et à l’album P.O.V , on peut tenir « Midgard » comme « titre 0 »; point de départ de tout le projet. C’est en effet après avoir enregistré ce titre que Faktiss a su quelle direction artistique suivre, et dans quel univers allait s’inscrire sa première aventure solo. Mécontent des premiers essais, il lui tenait à cœur de mettre au monde un projet qui soit le reflet de son âme, de son état d’esprit, et ce n’est seulement qu’après la réalisation de ce morceau qu’il fut satisfait de la façon dont se présentait son album.

P.O.V, une introspection partagée

Le POV, ce style cinématographique qui consiste à filmer une scène du point de vu du protagoniste, permettant de s’immiscer plus intensément dans l’action, rendant le résultat bien plus personnel et plus captivant. C’est de cette manière que Faktiss a construit son album au titre éponyme de cette technique. À l’instar d’un tableau laissé dans un grenier et sur lequel on souffle pour enlever la poussière accumulée cachant sa vraie beauté, l’ancien de Set&Match se débarrasse de toute la crasse déposée par ses sentiments pour nous offrir un album où il s’expose, sans nul autre artifice que la poésie. Jouant le rôle du patient et du thérapeute, sa musique est un dialogue qui a la particularité d’être d’une intimité universelle. Il réussit cette prouesse de rendre son univers identifiable sans parler de généralités mais bien de situations personnelles, de son propre vécu, de ses déboires et aventures.

L’authenticité

« Je préfère plutôt la vraie haine que de faux amours« 

S’il y a bien un point sur lequel Faktiss insiste, c’est celui de l’authenticité, de l’honnêteté. Persuadé que ce devrait être le fil directeur de tout un chacun, « Pour moi, si t’es fidèle à toi même, tu ne peux qu’être dans la bonne direction.« , cette honnêteté se manifeste à travers la sincérité de ses textes et les sentiments mis à nus qu’il y exprime. L’écriture, et plus généralement la musique, il la vit comme une thérapie, un échange profond avec son for intérieur avec lequel il traite des sentiments enfoui au plus profond de lui. En dépit de ce que son nom de scène laisse paraître, l’univers de Faktiss est fortement ancré dans la dure réalité de la vie, tentant de se faufiler un chemin vers la lumière.

Chevalier au cœur tendre

« Elle me donne de l’amour comme jamais,
jamais on me l’a donné« 

Écrit dans une période de bouleversements aussi bien sentimentaux qu’amicaux, cet album laisse transparaître une certaine fragilité, une certaine sensibilité, derrière un flow d’une grande assurance. L’amour laisse sur lui des traces indélébiles, incarnées par cette singulière tradition qu’il a de se tatouer un trait de bagnard pour chaque femme qu’il a aimée. Cette profondeur d’esprit se manifeste dans des textes mettant la beauté de la femme à l’honneur, une ode à l’enveloppe charnelle. Dans de nombreux morceaux, Faktiss évoque ses sentiments amoureux, parfois cyniquement, parfois passionnément, liant de manière fusionnelle l’amour à la sexualité, toujours sur un fond de poésie d’une légèreté cotonneuse. Loin d’être une vérité générale, dans le monde du rap, le sexe a souvent cette image de rapport purement physique. A des kilomètres de ça, Faktiss évoque lui des relations charnelles passionnelles, pleine de fougue et de tendresse, comme sur le morceau « Voodoo ». Ici, le sexe apparaît comme la suite logique de l’amour qu’il porte pour une femme à « la peau si douce au touché ».

Un brin d’égotrip

« Jsuis le troisième le second et le premier »
« J’ai que mon ombre comme adversaire »

Soldat déjà décoré du rap game, le MC montpelliérain est loin d’être un bleu. Même s’il s’agit là de partir à l’aventure, seul, avec ce premier album sans la compagnie de ses compères de presque toujours, Faktiss est gonflé à bloc, plein de confiance. Cette confiance se traduit par l’un des domaines si cher à ce bon vieux hip-hop: l’ego trip. Légitimé avec un magazine au nom éponyme spécialisé dans le rap, l’égotrip c’est cette façon de se mettre en avant en exagérant son importance ou son talent. Cet auto-placement sur piédestal, il le manifeste à travers quelques punchlines par-ci par-là tout au long de l’album, mais il y a surtout dédié un morceau: « Cowboy ». Véritable bras d’honneur à toute concurrence, il entasse les lignes enflammées à l’égard des autres rappeurs, n’oubliant toutefois pas de faire sa propre apogée « Mon ego est mon miroir pour m’admirer ».

Des effluves de samba

S’il a vécu la très grande majorité de sa vie en France, il n’est pas inutile de rappeler une fois de plus que Faktiss est né au pays « Auriverde », la samba et la bossa nova coulent donc dans ses veines. Ses origines, il les arbore fièrement et n’hésite pas à prendre le risque de s’exprimer dans sa langue natale, proposant ainsi un rap aux sonorités inhabituelles, employant un dialecte que nous sommes peu habitués à entendre. Placés à la fin de l’album, les deux morceaux « Ela E Eu » et « Mechi » viennent apporter une diversité supplémentaire avec deux atmosphères très distinctes. « Ela E Eu » est très calme, il est une vraie bouffée d’oxygène dans un album à l’ambiance étouffante : sur une production minimaliste composée de percussions et de quelques notes de piano, Faktiss nous prend par la main et nous emmène planer avec lui. Le second morceau aux sonorités brésiliennes est bien plus dansant. Rythmé par une guitare frénétique, accompagné par de nombreuses percussions entraînantes, « Mechi » dégage une énergie débordante et invite à se lever et à se trémousser.

Le flow sur courant alternatif

Une des forces de Faktiss, c’est sa capacité à varier les flows, permettant par cette occasion une diversité de l’univers et des ambiances proposés tout au long de P.O.V, scindant le projet en deux parties bien distinctes. Il ouvre ainsi son album avec un banger à la production surpuissante: « Midgard », suivi de 4 autres sons tous aux sonorités trap. Rythmé par des percussions énergiques et une 808 vrombissante, Faktiss débite son flow incisif en martelant chaque beat, n’hésitant pas à hausser la voix pour en venir presque à crier. La seconde partie est bien plus douce, c’est dans cette seconde moitié que se situent les morceaux plus sentimentaux et ceux en portugais, plus chauds, contrastant avec le froid de la première partie. Ce côté léger se manifeste par un flow plus chanté, moins saccadé, où les mots sont connectés les uns aux autres par sa chaude voix.

La route est tracée

Une fois l’écoute du projet terminée, on prend pleinement conscience de sa dimension personnelle avec cependant cette qualité qu’il est on ne peut plus facile d’identifier aux émotions ressenties par l’ancien de Set&Match. L’album se présente comme le porte-étendard des aléas de la vie sentimentale humaine, des hauts et des bas que tout un chacun va rencontrer au cours de sa vie. Inspiré par des artistes comme Kendrick Lamar, André 3000 ou encore ScHoolboy Q, Faktiss parvient habilement à ne pas rendre une pâle copie de leur travail, mais bien à créer son propre univers, ses propres sonorités, emmenées par ses origines brésiliennes.

En espérant que ce premier album ne soit que la ligne de départ d’une longue aventure musicale, vous pouvez écouter le premier projet de Faktiss ci-dessous.

Fatkiss – P.O.V