Rappeur sans concession, Fadah nous offre aujourd’hui un troisième projet qui vient clôturer une longue analyse de la condition humaine, de nos névroses et contradictions. Entre colère, critique acerbe et mélancolie, le toulousain ne semble pas encore avoir trouvé la paix. Comme pour adoucir ces 12 titres enragés, la très belle cover de l’album, réalisée par David Delaplace, apporte un brin de douceur et de poésie à l’ensemble. Rencontre.
BACKPACKERZ : Revenons d’abord sur les deux releases que tu as faites à Paris et Toulouse. Quel est l’accueil que tu as reçu lors de ces deux événements ?
Fadah : Paris assez surprenant, les gens ont répondu présent et la salle était blindée. J’avais invité pas mal de gars à venir partager la scène avec moi: Youss MC mon backeur, Coms et Youri qui bossent tous deux dans le studio dans lequel j’ai enregistré l’album.
Et pour Toulouse, ma ville de coeur, on avait pris une salle plus grande et on a aussi bien rempli, le public était au rendez-vous, j’y avais invité le groupe Dame Blanche ainsi que Furax. Un beau moment familial comme dans les belles années sur Toulouse en 2014 où il y avait vraiment une belle ambiance sur la ville.
Parle-nous de ta rencontre avec Furax. Qu’apprécies-tu chez cet artiste ?
C’était par l’intermédiaire d’Omerta Music (un groupe auquel j’appartenais il y a quelques années) et lui c’était un peu le grand frère d’un des gars. On s’est énormément croisé et puis voilà ! Dans l’approche textuelle nous avons les mêmes bases mêmes si nous avons des délires un peu différents.
Un mot sur Youss MC ?
Il m’accompagne depuis mon retour de Montréal en 2017. On se connaissait depuis longtemps en évoluant dans le même collectif. C’était donc tout naturel de partager la scène à deux avec lui, je trouve ça très important la performance sur scène.
J’aimerais revenir sur tes clips qui ont toujours des visuels forts. Quelles sont tes influences principales ?
Plein de choses, sur le premier extrait “BPM” c’était clairement inspiré de la série Black Miror. J’aime bien mettre mal à l’aise et faire poser des questions. Ce clip est réalisé par Skip, un gars de Toulouse, qui m’a proposé cette idée de livraison Amazon revisitée à notre sauce. A la base ce n’était pas forcément une histoire suivie mais plutôt des saynètes mais cette idée sortie de son chapeau m’a complètement séduit. Pour le second extrait, la référence principale c’est le film Notre Jour Viendra de Gavras. Le lieu où on a tourné à Dunkerque c’est dans le même coin que pour le film. Gavras a vraiment une patte qui me touche particulièrement, autant dans ses clips que dans ses films, on voulait donc faire sortir ce côté gris et froid.
Tu sembles plutôt à l’aise à être devant la caméra. C’est un truc qui te plait ?
Je suis forcément à l’aise de base mais pour ce projet je voulais vraiment m’impliquer dans un acting un peu plus poussé.
Dans le « Fadah 5 », comment s’est passé le plan séquence du clip ?
C’est la première prise qu’on a gardé même si on en a fait trois par sécurité. Ce n’était pas l’idée de base du clip mais le jour du tournage il pleut à mort sur Paris donc on cherche un plan B dans un lieu couvert. On a trouvé ce parking et en une heure c’était fait. Toute la série de ces freestyles a été enregistrée et clippée en une semaine.
L’écart entre ce projet et celui d’avant s’est resserré par rapport au précédent. Est-ce un pur hasard ou tu as changé quelque chose dans ta manière de fonctionner ?
C’est le hasard de la vie. Avant je partageais ma vie entre la musique et le taff mais à présent, depuis ma signature avec Pias, je me consacre entièrement à mon art sans avoir un patron sur le dos à qui je dois demander de me libérer toutes les deux semaines.
Comment s’est passé le processus créatif autour de ce projet ?
Le moment où je suis vraiment rentré en studio, c’était début 2018. Le premier texte a été écrit mi 2017 au Canada puis après j’ai amassé de la matière. Le travail sur l’album a duré un an et demi en tout. Je peux écrire un texte sur une prod qui ne m’appartient pas puis après je repose sur ma prod. Là pour le coup j’avais fait un appel aux prods en 2017 sur les réseaux, j’ai eu beaucoup de retours, c’est là que j’ai fait la connaissance de BLD qui est présent sur plus de la moitié de la tracklist. On aime bien bosser ensemble, décider des sonorités qu’on va donner, créer les prods ensemble.
Cette notion de reproduction sociale ça me touche depuis toujours donc je trouvais ça important d’en parler
Venons à présent sur la trame de fond de l’album : l’aliénation, la folie contenue. Qu’est-ce qui t’attire dans cette folie ? Est-ce de la peur ou au contraire une certaine fascination ?
Un peu des deux je pense. C’est quelque chose qui a été présent dans ma vie, dans mon entourage. C’est aussi ce rapport à la marginalisation, de ne pas répondre aux codes d’une société. C’est au final quelque chose d’universel, nous avons tous une part de folie en nous et paradoxalement c’est souvent un sujet tabou, qui effraie et que la société tente de camoufler. Sur Paris, des gens flingués on en croise tous les jours. A la base, lorsque j’ai lancé mon premier projet Les Loges De La Folie, c’était pour donner ses lettres de noblesse à cette pathologie, de casser un tabou d’un sujet qui rebute.
Tu y abordes aussi de nombreux sujets de société. L’actualité c’est quelque chose qui nourrit aussi ton inspiration ?
Pour le coup, par exemple cette question du genre, je sais que c’est un sujet qui est présent dans les médias mais pour autant j’ai écrit ce texte avant que ça devienne à la mode à la télé. C’est un sujet qui me touchait donc j’ai voulu en parler. Cette notion de reproduction sociale ça me touche depuis toujours donc je trouvais ça important d’en parler.
Tu te livres aussi beaucoup dans ce projet ? Est-ce que c’est dur de parler de son intimité ?
Ecrire ce n’est pas si difficile car à la base tu écris pour toi. Quand tu es en studio, à part l’ingé son personne ne partage cette intimité. Le plus dur c’est de passer l’étape où ta musique est entre toutes les oreilles. Mais à force d’avoir répété le texte, mixé etc tu n’abordes plus le texte de la même manière et ça rend la chose plus facile. Je suis parti de l’idée que la meilleure manière de parler aux gens c’était de parler de soi car c’est dans des détails qu’ils vont se reconnaître. Il y avait aussi une volonté de fermer avec ce projet une porte ouverte avec Les Loges de la Folie avec déjà ce projet très introspectif. Je m’inspire autant de moi que de ce que je peux voir autour de moi au quotidien.
Tu as vécu dans différents endroits dont au Canada. Penses-tu que ces lieux t’ont forgés ?
Forcément ! Ça ne peut qu’être bénéfique, tu te mets en danger en cassant ta routine.
Dans les couleurs musicales qu’on retrouve sur le projet, la part belle est faite à l’electro. C’est une volonté de ta part de sonner ainsi ?
Ça s’est fait naturellement même si c’est une transition qui s’est déjà amorcée dans mes précédents projets. Puis la rencontre avec BLV, qui vient de l’electro à la base, m’a poussé vers ces sonorités en me faisant sortir de mon carcan habituel. Au final ça tombait bien car j’avais envie de proposer ce genre de sonorité donc la rencontre tombait à pic.
Tu t’essaies à la chanson. Est-ce qu’à l’avenir on pourrait être amené à t’entendre encore plus sur ce registre ?
Effectivement il y a un truc qui s’est débloqué et ça donne à présent envie d’aller plus loin même si la manière d’écrire et de placer est bien différente. Après je marche à l’instinct, donc si à un moment j’ai l’impression que je me force dans mon travail je partirai sur autre chose. J’ai toujours chantonné dans mes projets mais ce morceau “Première Fois” a vraiment débloqué quelque chose, ça donne de l’air.
Tu te moques aussi un peu des MCs qui placent des gimmicks à tour de bras. C’est vraiment quelque chose qui t’agace ?
Pas vraiment, je me moque plus des gens qui réutilisent des gimmicks. Comme le “TchTch” d’Arsenik, il n’appartient qu’à eux et personne n’a à le réutiliser. A mon goût ça manque donc d’originalité mais c’était avant tout une manière aussi de faire un peu d’egotrip. Après je suis un gros auditeur de rap et je peux, bien entendu, kiffer des morceaux qui, à première vue, peuvent paraître “idiots”.
Justement quels sont les projets récents qui t’ont mis une claque ?
Dernièrement j’écoute pas mal le Lefa qui est très très bien fait, c’est un gars que j’écoutais déjà à l’époque donc ça me fait plaisir de voir qu’il reste sur la même lignée. J’écoute beaucoup mes potos sinon, ceux que j’ai pu inviter à mes releases. Après des mecs comme Damso ou Vald me parlent vraiment beaucoup.
La meilleure manière de parler aux gens c’est de parler de soi car c’est dans des détails qu’ils vont se reconnaître
Que souhaiterais-tu que tes auditeurs retiennent de ce projet ?
J’essaie de travailler les choses de manière assez intemporelle, je n’aime pas parler d’un fait précis daté, ça casse justement ce côté intemporel. On me parle toujours de mon premier projet qui est pourtant sorti avec des sonorités bien différentes de ce qui se fait actuellement donc c’est cool de pouvoir faire perdurer mes projets. J’ai vraiment abordé ce projet comme un premier album, avec des nouvelles sonorités, une nouvelle façon de travailler donc le but c’est de montrer aux gens que c’est le début de quelque chose.
Mais pour autant tu sembles boucler sur les thèmes abordés dans tes précédents projets. Est-ce qu’on peut s’attendre pour la suite justement à ce que tu proposes des thèmes plus lumineux ?
Bien sûr, il y aura de l’ouverture. Il y a des auditeurs qui me suivent depuis 2013 et qui sont assez précis dans leur goût, mais au risque d’en perdre certains en route je veux vraiment proposer quelque chose de nouveau. Sur Furieux, j’ai vraiment beaucoup intellectualisé les choses et depuis ma série de freestyles, j’ai de nouveau l’envie de bosser de manière beaucoup plus spontanée, sans me poser de questions. Les réactions ont toujours été très bonnes même dans les changements que je proposais, c’est humain de vouloir toujours ce que l’on a pris l’habitude d’apprécier mais pour un artiste ce n’est vraiment pas intéressant.
Une fois que j’ai testé quelque chose, j’ai envie de passer à autre chose. J’évolue logiquement car je suis un auditeur moi-même et que je bosse avec des musiciens qui sont toujours en recherche d’évolutions et d’innovations. Mes kiffs ne font qu’évoluer donc je ne vais pas m’arrêter à un certain truc même si cela aurait été plus facile pour moi de me nicher sur mon créneau mais j’aurais alors nourri de grandes frustrations et ça c’est hors de question.
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