Enchantée Julia. Un nom facétieux, à l’image de la jeune femme qui le porte. Pleine d’humour et de spontanéité, la chanteuse et compositrice dépoussière la néo-soul et ce qu’elle refuse d’appeler le « RnB » à la française. Trop cliché, pour qui n’a pas les codes du genre. On la comprend. Petite, alors que ses camarades écoutent les tubes à la mode, elle se prend de passion pour les divas soul et les pointures du jazz. Sa voix suave et son écriture poétique rendent hommage à ses idoles, d’Erykah Badu à Claude Nougaro, en passant par Ella Fitzgerald.
La première fois qu’on a vu sa frimousse à l’écran, c’est côte à côte avec Prince Waly. Le binôme n’a rien d’anodin, puisque ces deux-là partagent plus dans la vie qu’un talent inné pour la mélodie. Boostée par son entourage, qui compte des talents comme Luidji, Julia a fini par ouvrir la porte de son univers dans Boucle, son premier EP. Rebelles et bouclés, ses cheveux ont longtemps été un complexe pour la jeune fille. Mais au diable les apparences. Son identité, elle la revendique pleinement, le long d’un voyage de cinq titres langoureux et résolument modernes, toujours interprétés en famille.
D’une interview qui débute façon « nos régions ont du talent », on finit par évoquer les dérives narcissiques de l’ère digitale. Rassurez-vous, on a réussi à canaliser l’énergie contagieuse d’Enchantée Julia, qui dévoile chacune de ses facettes au fil de digressions instructives. Jugez plutôt.
BACKPACKERZ : Salut Julia, on t’épargne la blague sur ton nom d’artiste.
Enchantée Julia : Ah, on me la fait tout le temps ! (rires)
Partons du début : tu as grandi dans le Luberon avec tes parents et ta grande sœur. Qu’est-ce que la jeune fille que tu étais est venue chercher à Paris ?
J’ai une grande soeur qui habitait à Paris. Moi, je voulais faire de la musique. La condition, c’était d’avoir le bac et je devais faire des études à côté de la musique. Alors j’ai eu mon bac et j’ai fait une licence d’anglais. Il y a rien à faire dans le Luberon, je me faisais chier, donc je suis venue à Paris pour faire de la musique.
Est-ce que ta grande sœur, ou tes parents, ont influencé tes goûts musicaux à l’époque ?
Mes parents ont monté un festival de musique classique et baroque. Très jeune, j’ai pu assister à des concerts et j’adorais ça. J’ai vu beaucoup d’opéra, de concerts de jazz, parce que mon père en écoute. Ma mère est sicilienne et elle écoute de la musique napolitaine. Pavarotti, les grands opéras. Et ma sœur est une fan de rap, de RnB et de soul. Très tôt, c’est ça la musique qui m’a parlé, mais pas que. J’ai écouté Gainsbourg et Claude Nougaro, le patron. Quand je parlais d’Erykah Badu à mes amis au collège ou au lycée, personne ne connaissait. Ils n’écoutaient que du rap marseillais. Moi, Ella Fitzgerald, des classiques du jazz. Parce que techniquement, j’avais envie d’apprendre des choses, comme le scat.
Le terme « RnB », on sait plus trop ce que ça veut dire. En France, on en a une image cheesy, old school ou légère. Or, ma musique n’est pas légère.
Déjà à cet âge, tu cherchais à reproduire la musique que tu écoutais ?
En fait, je ne créais pas encore, mais je les chantais dans ma chambre, j’essayais de rejouer des trucs au piano. La musique, c’est le seul truc qui me passionnait. Lauryn Hill, Missy Elliott. L’école, c’était un calvaire pour moi. Je me sentais très incomprise, j’étais rebelle, je falsifiais les bulletins. Mon père me punissait tout le temps parce que je ramenais des mauvaises notes. À côté de ça, il voyait qu’il se passait quelque chose avec la musique, donc il se disait que peut-être, j’allais faire quelque chose de ma vie. Mes parents et mes sœurs m’ont toujours poussée. Même encore aujourd’hui.
Alors, est-ce que tu te considères comme une artiste plutôt RnB ou néo-soul ? Tu sais comment sont les journalistes, on aime bien mettre des étiquettes (rires).
Le terme « RnB », on sait plus trop ce que ça veut dire. Moi, je me considère pas comme une artiste RnB. Parce qu’en France, on a pas les bonnes références et on en a une image cheesy, old school ou légère. Or, ma musique n’est pas légère, ni mes textes. Les artistes des années 2000, je ne m’y retrouve pas. Ma vibe, c’est plus Ari Lennox, Kali Uchis et compagnie. Quand je dis RnB à des gens qui n’écoutent pas cette musique, ils ne comprennent pas. Ils s’imaginent que ça ne parle que d’amour. Le titre « 45 Tours », on y est allé à fond, mais je ne fais pas du RnB façon 90’s.
Qu’est-ce qui t’a touché chez une artiste comme Erykah Badu, dont on sent désormais l’influence dans tes chansons ?
Sa voix. Son placement et puis ses influences. Le mélange de jazz et de soul. L’album qui m’a le plus touchée, c’est Mama’s Gun. Cet album, je l’ai disséqué. Les couleurs, l’organique, les invités qu’il y a, c’est énorme. Il est très avant-gardiste et il n’a pas pris une ride. Tout est beau, je trouve que c’est un chef d’œuvre. C’est intemporel. Le premier album de Lauryn Hill, et D’Angelo. Pour moi, c’est des grosses références qui m’ont marquée.
Effectivement, ton écriture est recherchée. D’ailleurs, tes textes ont plusieurs niveaux de lecture, avec pleins de sous-entendus. Est-ce par pudeur ?
En fait, je suis incapable d’écrire les choses frontalement. J’aime les images, la poésie, qu’il y ait plusieurs interprétations possibles. C’est même pas fait exprès. Juste, je trouve ça plus élégant. Sûrement parce que j’ai trop écouté Nougaro, Henri Salvador et Mathieu Chedid. Écrire comme un rappeur ou comme dans la variété française, je ne sais pas faire ça. « Éteins la lumière », par exemple, c’est de l’introspection : j’éteins la lumière pour mieux retrouver la lumière. C’est aussi : je t’aime, moi non plus.
Tes boucles sont un symbole. Avant, tu en avais honte et tu les cachais. Maintenant, tu les portes avec fierté. Quel a été le cheminement avant d’oser être toi-même ?
M’assumer, c’est d’abord oser être artiste et sortir un projet. Si j’avais encore les cheveux raides, je n’aurais jamais fait ça. Il m’a fallu passer un cap, une étape dans ma vie de femme et d’artiste. Parce qu’à la base, c’est un vrai complexe. Ils sont très frisés et c’est pas tellement la mode. Quand j’étais petite, ils étaient crépus. Ma mère ne savait pas quoi en faire, donc elle les défrisait carrément, avec du suif qu’elle achetait à la pharmacie. Dans ma tête, je n’étais pas jolie si j’avais les cheveux naturels. Voilà comment traumatiser ses enfants. Merci maman. (rires)
Mon constat, c’est que se vendre, vendre son image et sa voix, c’est un peu de la folie.
Tes posts sur les réseaux sociaux montrent que porter ce projet a été un combat. Quelles sont les difficultés que tu as eu à traverser ?
J’ai mis du temps à sortir le projet car je n’étais pas prête à être jugée. Aujourd’hui, je m’en fous. Il y a des trucs qui me touchent, d’autres moins. Certains me passent complètement au dessus. Le plus difficile, c’était de trouver des moyens financiers. Au départ, tu n’as pas de label, pas de manager, pas d’éditeur, pas de tourneur et tu te lances à l’aveugle. Quelque part, j’ai eu de la chance, des gens se sont intéressés à moi, c’est allé assez vite et ça m’a donné de la force.
En plus, il me semble que ton entourage artistique s’est développé très vite.
J’ai un petit groupe d’amis avec qui j’aime bien faire des chansons. Terrenoire, Saintard, Luidji, Oscar Emch, Filscara, Prince Waly, c’est mon entourage proche. Heureusement qu’ils étaient là pour m’épauler. Sans eux, je ne l’aurais pas fait. Seule, non. De toute façon, ça ne m’intéresse pas de faire de la musique toute seule. Tout s’est fait naturellement.
Effectivement, on sent que tu préfères les collabs. D’ailleurs, d’où vient ta passion pour les duos masculins/féminins ?
C’est juste des coups de cœur. Prince Waly, je lui ai dit : « J’aimerais bien faire une chanson où tu chantes » et ça l’a grave intéressé. Il est ouvert et il a un groove particulier. C’est un musicien. Donc j’avais envie de l’emmener vers ça. Luidji, sa musique me parle et son album défonce. En plus, il chante super bien. Il y a un esprit cainri qui me parle. Et Oscar, c’est un super chanteur et producteur, il y a eu un feeling immédiat entre nous et on va faire beaucoup de choses ensemble.
Prince Waly est quelqu’un de très important dans ta musique et dans ta vie. Qu’est-ce qu’il t’a apporté ?
Il m’a beaucoup inspiré. C’est une personne très positive. Il a ce truc toujours chill, très rassurant, avec une solution à tout. Quand tu es artiste, tu as des doutes, de toute façon. Tu ne fais que douter. Il y a une part de folie. On est fou ! J’ai une maîtresse qui disait que j’étais folle. En fait, elle a raison. Mon constat, c’est que se vendre, vendre son image et sa voix, c’est un peu de la folie. Parfois, je me dis : « t’es folle ». Et puis quand je suis sur scène, je me dis : « Quel kiffe! ». Il n’y a que la musique qui me procure ce genre d’émotions, c’est galvanisant. Tu fais des morceaux dans ta chambre et tu les présentes sur scène, tu échanges avec le public. Avant tout, ce que j’aime, c’est chanter en live avec des musiciens.
À ce propos, te mettre en scène dans tes clips, ça a été difficile ?
Le premier, on l’a fait avec Lokmane. C’était la première fois que je tournais un clip. La première fois que je me suis vue, je lui ai dit : « On ne va pas sortir le clip. » Je me trouvais horrible, ridicule, ça n’allait pas du tout. J’étais trop mal. Après, j’ai accepté, mais c’était bizarre. Maintenant, je m’en fiche. J’ai appris à me regarder. Mais avant, c’était horrible. Déjà sur les photos… Alors que c’est figé.
Est-ce que tu as été très impliquée dans la création de ton univers visuel, ou est-ce que tu as laissé Lokmane te guider ?
En fait, je lui ai fait confiance. Je savais qu’il avait une vision que je n’aurais peut-être pas. En général, c’est moi qui choisis. Là, je lui ai dit : « Mon EP s’appelle Boucle pour telle ou telle raison. J’aimerais avoir des filles frisées autour de moi. Propose moi quelque chose. » Il m’a proposé de travailler la pochette comme une peinture, comme un tableau. D’ajouter un côté fantastique, nymphe. Chaque fille allait représenter un morceau de l’EP. J’ai trouvé ça génial !
Parfois, j’aimerais retourner dans les années 90, sans Internet.
Le titre de l’EP, « Boucle », fait bien sûr référence à tes cheveux. A-t-il d’autres sens ?
Il y a plein d’autres sens à ce mot là. Le cycle de la vie, les aiguilles du cadran qui tournent, le temps qui passe. J’ai mis du temps à vouloir et pouvoir sortir ce projet. Il a fallu digérer chaque chose. En musique, c’est aussi la loop, dans une prod. Tous les morceaux finissent par quelque chose de redondant.
En parlant de choses liées à la prod, tu es à la fois compositrice et chanteuse. Quel est le point de départ de tes morceaux ?
Il n’y a pas de règle. Tout dépend des titres. J’ai tout le temps des mélodies qui me viennent en tête, c’est hyper instinctif. Surtout la nuit, c’est bizarre. Parfois, ça m’arrive de me réveiller pour les enregistrer. Souvent, j’entends la mélodie, les accords, tout vient en même temps. « Éteins la lumière », j’ai commencé à gratter la nuit. Ensuite, on a cherché les accords et on a fait la chanson comme ça. « L’au-delà », c’est pareil : je me suis réveillée avec « Oh c’est beau l’au delà. » En général, j’ai des idées qui viennent quand je suis toute seule, mais je préfère collaborer. J’ai toujours fait de la musique comme ça. Je suis pas super geek. Ableton, je capte rien. Pour faire des beats, je suis nulle. Par contre, même si c’est pas moi qui touche les boutons, je réalise. Et j’aime bien faire les lignes de basse.
Attention, question métaphysique (rires). Finalement, qu’est-ce que tu attends de la musique ?
J’ai besoin de faire de la musique, c’est vital. Mon but, c’est pas de faire passer un message. C’est sûr, j’aimerais bien qu’on me comprenne et qu’on m’entende. Parce que je me sens incomprise dans mon style. Après, si on m’entend pas, c’est pas grave. La musique, c’est super important, j’en vis, je suis intermittente du spectacle. Même si, avec le temps et les épreuves de la vie, je comprends qu’en vivre n’est pas essentiel. Si un jour ça s’arrête, je ferai autre chose. Par contre, je chanterai toujours. Je chante tout le temps, même sous la douche. Si je fais pas de carrière, tant pis. Il y a plein d’autres trucs qui m’intéressent. Il ne faut pas oublier que ça reste de l’art. Notre société me fait peur par moment. La tournure que prennent les choses : le business, Instagram, Facebook. Parfois, c’est trop et j’ai besoin d’éteindre.
La lumière ? (rires) Pourquoi, de quoi as-tu peur ?
Devoir se mettre en avant. Moi, je fais pas de stories où je me filme. Il y a des gens qui le font très bien et je me dis : « Whaou, comment ils font ? » J’arrive pas à me regarder parler à mon écran. C’est bizarre, ça va trop vite. Notre société devient étouffante. Pas que dans la musique. Parfois, j’aimerais retourner dans les années 90, sans internet. En même temps, je dis ça, mais je n’existerais pas. Par contre, ça serait plus simple, plus vrai, plus réel. Les meufs avec leurs filtres, qui mettent des filtres sur les bébés, ça me rend ouf ! Arrêtez, vous allez rendre vos enfants fous. J’ai des nièces et des neveux et c’est no way, ça les perturbe les enfants, de faire ça. Ils ont une autre gueule !
C’est vrai que les filtres agissent comme un miroir déformant et qu’à l’ère du narcissisme, il faut s’exposer pour réussir.
Tout le monde devient musicien ou photographe. Plein de gens s’inventent une vie. Après, il y en a qui arrivent à faire autrement. PNL, ils ne s’exposent pas. Personne ne les voit, ils sont hyper mystérieux. Bravo, les gars. Même si, bien sûr, ils ont des moyens financiers qui compensent. Sur Instagram, les gens me disent : « Pourquoi tu nous parles jamais ? ». Ils me posent plein de questions. Bah, je ne sais pas faire ça. Juste partager mes trucs et mettre des photos de mon chat, parce que c’est rigolo.
Et comment s’appelle-t-il, le chat ?
Notre chat s’appelle Tommy.
Il ne reste plus qu’à lui créer un compte. (rires)
L’interview a été menée avec Benjamin Boyer.
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