Atlanta, 1993. La vie offre des rencontres insolites qui vous font prendre des trajectoires inattendues. Alors que le hip-hop est en plein développement et frappe la jeunesse américaine en plein visage, le jeune Rico Wade regarde avec des yeux écarquillés ce qui pourrait bien devenir son futur. De Los Angeles à New York, le mouvement hip-hop devient omniprésent et monopolistique. Chaque côte tire la couverture au détriment d’autres territoires pourtant enclins à des perspectives de folie. Sur la carte du rap US, Atlanta ne fait pas encore figure de proue pour une bonne partie du game. Le chemin pour faire de cette ville une place forte du hip-hop parait insurmontable. Mais du haut de ses 20 ans, l’adolescent Rico Wade décide de s’entourer de ses amis pour préparer une contre-attaque qui marquera tout le rap et qui 20 ans après continue d’influencer l’ensemble du game. Il aura surtout permis à une ville de devenir hip-hop. Atlantla, le nouvel eldorado pour jeunes rappeurs en mal de reconnaissance.
Dans tout bon plan de kidnapping, il vous faut un kidnapper – le hip-hop, un lieu d’extraction – Atlanta, mais surtout une équipe de gars sûrs prêts à vous défendre si jamais cela devait mal tourner. Cerveau de l’équipe, Rico Wade va au grès de ses rencontres constituer une véritable Dream Team pour l’accompagner dans cette quête.
Pote de longue date avec T-Boz (membre du groupe TLC), Rico Wade va très vite se rapprocher d’un certain Sleepy Brown avec qui il commence à collaborer. L’alchimie entre le trio fonctionne plutôt bien et au lieu de trainer dans le hood, les trois amis fans de musique décident de former un petit groupe de musique : The Uboyz. Par chance, le père de Sleepy est musicien et possède son propre studio. Les trois adolescents passent ainsi tout leur temps libre enfermés en cabine pour travailler et enregistrer leurs premières démos. Les titres mis en boite, le trio décide de prospecter différents labels pour gratter un premier cachet. T-Boys va se charger de transmettre à Pebbles (chanteuse-compositeur-interprète d’Atlanta) les premières maquettes. Les retours de Pebbles sont assez mitigés, il faut dire que la justesse vocale de notre groupe laisse à désirer. En revanche, elle remarque que malgré leur jeune age, le travail fait sur la production est tout simplement bouleversant. Pebbles va inciter nos jeunes musiciens à délaisser les vocalises pour pousser du côté du beatmaking. L’avenir des Uboyz en tant que groupe parait donc assez compliqué et plutôt que d’insister dans cette voie, Rico Wade et Sleepy Brown se tournent vers la production. C’est alors qu’ils font la rencontre d’un autre personnage importantissime pour le développement de leur carrière : Ray Murray. Producteur de Greenbriar, il travaille déjà avec différent groupe de hip-hop. À l’époque Ray est assez bien implanté au niveau local, il appartient même à un groupe nommé Sixth Sense avec son ami Cameron Gipp. Le trio Rico, Sleepy et Ray s’est réuni pour la première fois grâce à une connexion en commun : Joseph Carn. Fils d’une des choristes de Earth, Wind & Fire, Joseph possédait chez lui un magnifique studio d’enregistrement. Les sessions en studio s’enchainent, les premiers morceaux sortent et les MC du quartier commencent à rapper dessus. Le trio était donc formé et malgré de nombreuses galères (plus de tunes, plus de studio) les trois amis restent soudés et continuent de faire de la musique. Il était temps d’officialiser les choses en créant un groupe clairement identifié, ce sera Organized Noize.
Le mouvement était parti, Organized Noize avait pour ambition de marcher sur le game. Commencer par Atlanta pour ensuite manger le reste des US. Les rôles entre le trio étaient assez clairs dès le début. Sleepy amenait son expérience R&B et Ray sa maitrise du hip-hop pendant que Rico orchestrait le tout. Postée dans le sous-sol de la mère de Rico, la légende du Dungeon était en train de se disperser dans toute la ville d’Atlanta. Niché dans Lakewood Heights, le sous-sol de la maison de la mère de Rico Wade a servi de laboratoire d’expérimentation musical et d’espace de création pour qui voulait faire de la musique. Il était le lieu central de travail de Organized Noize.
La porte de la maison à peine poussée, une forte odeur de weed venait submerger le hall d’entrée. En léger contre-bas, un escalier fissuré et vétuste s’enfonçait dans la maison en direction de ce qui s’apparentait aux limbes de l’enfer. Le bois de l’escalier craque sous les semelles, cet escalier mène à un sous-sol non fini, derrière la porte, un plancher en terre battue et une forte odeur d’humidité. A l’abri du monde extérieur, le studio de Organized Noize résidait là, sous terre, un endroit lugubre et sordide digne d’un mauvais rêve. On aurait pu y enfermer des fous, des truands, des voleurs, mais non, ce sont bien des rappeurs qui vous investir ce véritable cachot (dungeon).
Exigu, voûté, sombre, étroit, humide, cet endroit ne s’apparentait en rien à un lieu propice à la création et pourtant… Comme dans un véritable château fort, on y installa les appartements du seigneur et de sa famille (Dungeon Family), des réserves stratégiques de nourriture (Weed) et des armes (MPC). Entre délires musicaux, montages et démontages de machine, défonces à la weed, le cachot laissait libre court à n’importe quelle forme d’art. Se rapprochant d’un squat, il se dit que certains se sont enfermés comme prisonnier du Dungeon pendant de longue semaine sans voir la lumière extérieure, entassés les uns sur les autres.
Au fur et à mesure des années, la Dungeon Family a pas mal navigué de studio en studio mais la légende est restée et pour beaucoup le dongeon reste cet endroit incroyable quasiment mystique ou des artistes comme Outkast ou Goodie Mob ont pu voir le jour.
La rencontre qui va faire prendre une tournure tout autre à Organized Noize va être la connexion avec Big Boi et Andre 3000. Le duo Outkast va porter la Dungeon Family au rang d’incontournable. Amis depuis la High School, Andre et Big Boi ont de suite cliqué ensemble. Influencés par les mêmes groupes (Brand Nubians, De la Soul, A Tribe Called Quest…) ils sont très vite sur la même ligne artistique. Ayant un passif assez différent, les deux compères ont de suite été complémentaires dans la musique.
Au début de leur carrière, les Outkast vont se rapprocher d’un certain Cee-Lo. Ami d’Andre 3000, Cee-Lo se lance également dans le hip-hop de façon plus sporadique, mais suit de très près le parcours d’Andre et de Big Boi. A eux trois ils commencent à monter des petits concerts et se produisent dans Atlanta. En 1992, Andre et Big Boi qui forment officiellement Outkast envoient leur première maquette à différents labels. C’est a ce moment-là qu’une connaissance à eux, une certaine Bianca leur propose de rencontrer un ami à elle qui est producteur de hip-hop, un certain Rico Wade… Après cet épisode, les Outkast et Cee-Lo se retrouvent emprisonnés, enfermés dans l’antre du dungeon. Par la suite, Organized Noize produira leurs plus grands succès : Southernplayalisticadillacmuzik, ATLiens, Stankonia, Speakerboxxx/The Love Below…
Parallèlement à l’aventure des Outkast, les Organized Noize vont également travailler de manière intensive avec les Goodie Mob, autres forces vives de la Dungeon Family. Selon Cee-Lo, le premier enregistrement de Goodie Mob ( « the Good Die Mostly Over Bullshit ») a été conçu à l’origine comme une compilation. À l’époque, Cee-Lo et Big Gipp étaient des artistes solos et T-Mo et Khujo était un duo et officiait sous le pseudonyme Lumberjacks. Les quatre MC se croisaient régulièrement au dongeon, ils ont très rapidement décidé de devenir un groupe – Goodie Mob.
Chaque soir, des futurs supergroupes comme OutKast et Goodie Mob venaient au sous-sol, pour travailler leur musique. En avance sur leur temps, Organized Noize avait la main mise sur des jeunes artistes tous les plus talentueux les uns des autres.
Le boombap de New-York, le gangsta rap de Los Angeles, la G-Funk de la Bay Area, Atlanta devait maintenant se trouver une identité. Ce sera chose faite avec les artistes de la Dungeon Family qui vont développer le son Dirty South à son apogée. Le mot d’ordre de la Dungeon family a toujours été de se différencier, de faire quelque chose d’unique et authentique. En 1989, le groupe de Scarface, Geto Boy, trio de Houston a déjà commencé à faire connaitre le Dirty South avec la sortie de leur album Grip It! On That Other Level. Le mythique duo UGK amené par la fourrure de Pimp C (RIP) et le cigare de Bun B va également tirer la couverture du Sud vers eux avec un son très Dirty. Ces premiers groupes du sud vont se distinguer sur la scène rap au niveau national, mais, ce sont bien les lascars de la Dungeon Family qui vont accélérer le mouvement South. Amenée par Rico Wade, la petite famille du cachot va tout simplement écrire l’histoire. Bien avant la trap, le Sud va se démarquer du reste des États-Unis avec des artistes incroyable comme Outkast ou encore Cool Breeze. En pleine émancipation, Atlanta a enfin la place qu’il mérite dans la culture hip-hop. La Third Coast était née.
Plus exubérant que le boombap de la côte Est et bien plus fou que le son de la côte Ouest, Atlanta a su se placer sur la carte du rap américain. Très ancré dans la culture du Sud des États-Unis, le Dirty South est un long voyage vers les abimes de la débauche. Au volant d’une grosse cylindré, les rappeurs du sud vous baladent de stipclubs en stripclubs, le tout sous un soleil de plomb ou seule une forte dose de sizzurp pourra venir vous réconforter.
La Dungeon Family va à la fois servir de tête d’affiche pour les gros mastodontes que vont devenir Outkast ou Cee-Lo mais aussi permettre à de jeunes artistes d’Atlanta comme Killer Mike de sortir de l’underground. Mais ce qui fait la force de la Dungeon Family est aussi l’emprise que le collectif a pu avoir sur la nouvelle génération.
Fini le Dirty South, Atlanta a su se réinventer avec la trap qui aujourd’hui est devenue le son hip-hop à la mode. Des artistes comme Future sont en train de dominer le game de la tête au pied. Mais si je vous disais que Future et la Dungeon Family étaient liés, vous me croiriez ? Eh bien oui, ce bon Future est étroitement lié à la Dungeon Family car Rico Wade n’est autre que son cousin. Et bien que Rico n’ait jamais produit de titres sur les différentes mixtapes ou albums de Future, ce dernier lui a apporté quelque chose de plus précieux : la connaissance de l’ industrie musicale. Lorsqu’il avait environ 17 ou 18 ans, Future passait son temps à venir dans le dongeon pour observer ses idoles au travail. En tant que fan d’Outkast, il a pu ainsi observer depuis les coulisses le processus artistique et commercial de la fabrication d’un disque. Il a même eu l’occasion, par la suite, d’enregistrer un titre avec Andre 3000 : Benz Friendz
Future feat. Andre 300 – « Benz Friendz »
Pouvoir se plonger dans la musique et s’enfermer dans le dongeon était également la possibilité pour Future de s’éloigner de la rue et de ses problèmes. Future a passé une grande partie de sa jeunesse à fantasmer sur les modes de vie des gangsters et des trafiquants de drogue de son quartier. Mais quand il a eu la chance de voir la manière dont Rico menait sa vie, il a changé son point de vue :
Going over to Rico’s I had never seen a mansion or went in a mansion. A dope dealer could have a Benz and come in the projects, you could have these fancy cars, they could dress good, but they still come to the hood. But you don’t know they personal life. So when I started getting into the personal side of Rico, [I was thinking], ‘He got a mansion from doing music. You producing, got all these Porsches, you got nannies in your house, and you don’t got to watch your back? There’s no reason for police to come to your house, 100 deep, and kick your door down.
Pour la petite histoire, c’est Rico en personne qui a soufflé à Future son nom de scène. De Organized Noize à aujourd’hui, Atlanta a su fortifier sa place sur l’échiquier du game.
Le hasard du calendrier nous apprend qu’en même temps que nous écrivons ces lignes, un documentaire qui retrace l’histoire d’ Organized Noize et de la Dungeon Family devrait bientôt sortir de boite. On y retrouvera des interviews d’ Andre 3000, Big Boi, Puff Daddy, Future, Ludacris, 2 Chainz, Peebles, Cee-Lo… Ce documentaire retracera l’ histoire de l’ascension et de la chute des héros méconnus les plus prolifiques de la musique South.
Pour continuer votre voyage dans l’univers de la Dungeon Family, nous vous avons concocter un petite playlist de 15 titres. Welcome to the South !
Source : Third Coast: Outkast, Timbaland, and How Hip-Hop Became a Southern Thing
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Il faut faire une distinction entre ce qu'ils appellent "dirty south" en tant que lieu géographique (comme le Wu appelle Staten Island "Shaolin Land") et le dirty en tant que style musical, qui est plus un hybride de "miami bass" ralenti et de ce qui se faisait dans la région, Nouvelle Orleans, Memphis (liste non exhaustive..) ambiance TR808. Bref, ce n'est pas la même chose. Organized Noise a amené la lumière sur ce qui se faisait dans le sud, parce qu'ils avaient leur style à eux, mais n'a jamais vraiment fait de "dirty" en tant que style. suis-je clair ?
Salut Greg
Autre que le côté géographique, la Dungeon Family a largement contribué à la prolifération du "dirty South" en tant que style. Ils en sont quasiment les précurseurs. En revanche, on est bien d'accord que le son de la Dungeon Family est moins "rugueux" qu'un Three 6 Mafia mais il n'en est pas moins "dirty south". Quand on parle de son Dirty, on pense de suite à des groupes comme Young Jeezy, Lil Jon ou le label Cash Money Records, mais à l'origine, ce son "Dirty South" ressemblait plus à ce que pouvait produire Organised Noize ou encore les Geto Boys. Il a juste évolué avec le temps. Chaque territoire du Sud a pris le son "dirty South" pour le faire évoluer en fonction de ses spécificités propres (Memphis, Nouvelle Orleans...) en allant même jusqu'à créer de nouveau style comme la trap ...
alors :
oui ils "représentent" l'origine du "dirty south" parce q ils font du rap et qu'ils viennent du sud, mais au même titre q tous ceux de leur génération habitant la région.
tu dis toi même qu'ils n'ont pas le même son que ceux auxquels on pense quand on parle du style "dirty south" et que la définition de celui-ci a évolué avec son temps. d'accord.
mais je ne pense pas que les beatmakers des Rick Ross, Lil Jon ou Young Jeezy se soient plus particulièrement inspirés des prods d'Organised Noise. c mon avis.
Pour faire un parallèle, je pense qu'on peut se rappeler qu'à une époque on faisait la différence entre un style "east coast" et "west coast" mais qu'on a vite laissé tombé cette distinction parce qu'elle ne correspondait pas à la réalité musicale. c'est un terme géographique qui a collé à court terme au marketing et à la création de petits groupes d'artistes médiatisés.
tout ça pour dire quoi ? que "dirty south" n'est pas un style ? probablement.
En fait, cela va sans doute plus loin que la musique. La question n'est même pas de se demander si Organized Noize fait du son "dirty south" ou non (même si pour moi le son fin 90’s des Outkast et des Geto Boy sont a classer dans ce style) . Mais plutôt de mesurer l’impact qu’ils ont eu sur le sud. Grâce à eux et au succès d'Outkast, le sud peut aujourd'hui être fier de son passé et continuer d'avancer. Il faudrait plutôt parler de vague. Les Organized Noize ont ouvert une porte qui jusque là était close à Atlanta. Quand ils ont débarqué, ils ont tout cassé et commencé à écrire l'histoire des futures générations. Je pense que tu sous-estimes un iota leur héritage. Car même si le son pratiqué par des Future ou Metro Boomin peuvent sembler loin de l'univers de la Dungeon Family, ces artistes connaissent le chemin parcouru. D'ailleurs ils citent souvent Organized Noize comme référence. Sinon oui, je suis complètement d’accord qu’il est très réducteur de lier une zone géographique à un style de musique (surtout aujourd’hui). Après il y a une espèce d’ADN qui colle à chaque territoire et à l’époque il était important de se démarquer des autres pour exister et ainsi avoir un vrai avantage comparatif . Aujourd’hui les barrières sont tombées et tu peux faire du boom bap à LA on s’en cogne mais à l’époque il fallait bien se démarquer. Le sud l’a fait par son excentricité, sa folie et son énergie et continue de surfer là-dessus.
Those early years set a high bar, yet there was something original and exciting about every new, battle-tested rapper or singer who went from a cameo verse to their own record. Those collective dreams eventually outgrew the basement; they had to. The dozens of directions the Dungeon Family took — and, notably,