En voilà un qui mérite depuis longtemps son chapitre sur notre magazine. D’abord parce qu’il est connu de toute la rédac’, ensuite parce que même si les degrés d’appréciation sont différents, il parvient toujours à faire l’unanimité. A croire qu’il est de ceux que tout le monde apprécie mais dont on s’excuse de repousser notre prose à son sujet pour se focaliser sur des sujets plus brûlants. Pas de problème, le sieur est patient et pétri de talent, il attendra son tour en préparant un projet encore plus abouti que le précédent. Si THE FALLING MAN est un EP, il vient compléter la discographie hétéroclite dans la forme et dans le fond du natif de South Los Angeles.
Duckwrth refuse de laisser une étiquette définir le parcours artistique qu’il réalise… ou qu’on attend de lui qu’il réalise. S’il ne reconnaît aucune frontière aux genres musicaux qui font sa culture et son inspiration, ce credo se décline aux expressions artistiques qu’il déploie. En le voyant beatmaker, rappeur, producteur, chorégraphe et vidéaste, on se dit que la palette de supports sur lequel il est susceptible de surprendre est vaste!
Ne serait-ce que sur ce projet relativement court composé de huit titres qui offre en 21 minutes un panel de références musicales et d’écriture poétique tellement riche qu’on saluerait presque l’esprit avisé de Duckwrth qui n’a pas souhaité le créer plus long. Pourtant, de la matière, il y en a. De la manière aussi puisque Duckwrth a accompagné la sortie de cet opus de singles sortis de longue date (« FALL BACK » et « SOPRANO » en 2018) aux clips léchés et d’un court métrage de presque 7 min dans lequel il illustre de saynètes ses morceaux. La réciproque étant vraie.
Si tous n’y sont pas présentés, et le mixage de l’EP pas respecté, on y découvre le discours ambivalent d’un artiste prisonnier de ses inspirations musicales quasi-schizophrènes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Duckwrth a choisi une mise en scène théâtrale qui s’inspire de drames Shakespeariens (l’ouverture sur « KING KING » et l’arrivée du troisième personnage qui rappelle tous les talents déployés par Iago dans la pièce Othello). Le dramaturge appréciait particulièrement de donner beaucoup de beauté et d’humanité à ses protagonistes tout en leur faisant commettre les pires souillures de l’âme humaine.
Le grand écart qu’entreprend Duckwrth entre sa musique, les images et les textes qu’il prose emmène l’auditeur/spectateur dans un monde interlope fait d’illusions, d’amour, de violence, de douceur et de mort. Le repos n’existe pas ici, il sera la fin. Duckwrth nous guide dans une succession d’états transitoires. Allégorie parfaite de la chute. THE FALLING MAN.
Sorti le même jour que le coup de maître de Tyler, the Creator et son IGOR, il est assez intéressant de constater que ces deux opus agissent presque en écho dans la manière dont les idées sont amenées et par l’hybridation de leurs productions respectives. Même s’il est presque criminel et profane de s’étonner de l’hybridation dans le hip-hop tant le genre a montré depuis ses débuts son appétence pour le syncrétisme musical, il reste rare (et agréable) d’être confronté à des opus proposant une telle richesse d’inspirations.
« KING KING » est un beau morceau pour illustrer l’ambivalence qui régit cet opus. On a souvent l’impression, réussie, que le projet soutient une tension qui s’échappe tantôt dans les prods, tantôt dans les textes et que cette tendance est contrôlée, à défaut d’une maîtrise totale, par une prison faite de notes délicates de piano qui soutiennent un texte plus profond. Un excellent exemple est le contraste entre la délicatesse des premières notes de « SOPRANO » et le venin distillé dès la première phrase :
My tongue is a (what?) Weapon
L’urgence de vivre et la douleur qu’elle procure ne semblent pas être des chimères pour Duckwrth. Bien que sa prose soit empreinte d’histoires finalement assez banales, il sait leur donner une saveur narrative unique que façonne le talent de son inspiration. C’est un thème assez récurrent dans la carrière de cet artiste qui, comme nous le disions, se borne à ne pas se voir apposer des étiquettes qui ne rendraient que plus étroites ses formes d’expression. S’il se revendique volontiers punk, cette déclamation dépasse la simple posture quand on écoute THE FALLING MAN. L’opus semble être un patchwork de styles musicaux qui s’écrit dans chaque morceau.
« SOPRANO » ou « NOBODY FALLS » (qui accueille d’ailleurs la délicatesse des producteurs Terrace Martin et Medasin) ne pourraient pas mieux épouser cette description.
C’est d’ailleurs un tour que Duckwrth aime jouer pour exprimer l’ambivalence des situations ,ou leurs revers, en teintant sa narration d’univers musicaux différents (changement de beats, de voix, de tonalité). La musique sert le récit et la production d’un disque ne se limite finalement pas à une matière abstraite ou à un simple voyage auditif.
Indubitablement, avec THE FALLING MAN, Duckwrth poursuit son chemin. S’il ne renouvelle pas forcément son expression artistique, il continue, au fil des opus, à enrichir cette dernière et à conjuguer au sein d’un même projet plusieurs déclinaisons musicales dont le but est d’amener son auditeur dans un état de déséquilibre permanent. A l’accompagner dans le mouvement. Dans sa chute vers l’avant. Reste à voir s’il parviendra à fournir une telle densité de matière artistique sur des projets un peu plus longs. Parce qu’on en redemande.
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