S’il est un groupe dont le nom s’inscrit dans la légende du hip-hop et accompagne sa destinée depuis des années, c’est bien le crew légendaire de Philly The Roots. Autour des talents de Black Thought et Questlove, le band protéiforme a sans cesse su se différencier en proposant une musique en rupture avec le hip-hop, sans jamais pour autant prétendre ni pouvoir en être mis à l’écart.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un mouvement avant-gardiste, et ce concept a-t-il du sens dans le vocable hip-hop, courant musical parmi les plus mouvants ? Les plus taquins définissent l’avant-gardisme comme la justification intellectuelle de ce qui va renouveler les goûts et les tendances et qui, par de successives expérimentations, séparera le grain de l’ivraie. En bon français : la tendance du moche. On ne compte pas les tentatives et les infractions au bon goût qui ont accouché de certaines tendances aussi agréables à digérer que l’huile de ricin de Mémé. Pourtant, dans d’autres cas, en regardant le verre à moitié plein, et parce que la vie est une question d’équilibre, l’avant-gardisme aboutit parfois à des révolutions, notamment artistiques, de tout premier ordre. La percée fulgurante du cubisme en peinture, l’improvisation géniale des musiciens noirs qui inventèrent le jazz ou la rupture de la Nouvelle Vague au cinéma dans les années 60 sont autant de transgressions artistiques que de révolutions culturelles qui ont modifié ces arts. Alors, pourquoi The Roots a-t-il toujours été un groupe avant-gardiste ?
L’industrie musicale est riche d’exemples de ce genre et finalement le cas des Roots est presque banal dans l’Histoire de l’art moderne. Pourtant, elle constitue un véritable tournant dans celle du hip-hop. Si l’avant-garde est, par analogie militaire, à la fois son défricheur et son éclaireur, il peut aussi consister en un retour aux sources. Dans notre cas, la question pertinente est : comment mettre son talent musical et son habileté instrumentale au service du hip-hop ?
A la manière d’un Dilla qui, avant d’être un beatmaker de génie respecté de tous, était un batteur hors pair, Questlove maltraite aussi la grosse caisse, instille le souffle à son compère de lycée Black Thought et les deux amis composent leurs premiers freestyles à partir de 1987. Pour la première fois, un groupe de rap ne s’appuie plus sur le talent du beatmaker ou la science du DJ mais bien sur la virtuosité des musiciens pour créer un hip-hop nouveau parce qu’incroyablement différent des processus de création habituels.
Concevoir sa propre musique confère au groupe de Philadelphie une liberté de création et de ton que les meilleurs producteurs ne peuvent que lui envier. La légende dit d’ailleurs que nos deux compères ont commencé leur carrière dans les rues de Philly, à fournir les B.O. des backpackers qui coloraient les murs, armés de leurs bombes de peintures. Même équipe, même compo : Mister Ahmir « Questlove » Thompson qui dessine le rythme sur des bidons avec ses baguettes de batteur et Mister Tariq « Black Thought » Trotter qui le décline en rimes.
The Roots, freestyle uncut original footage (circa 1992)
On ne le voit pas encore sur cette vidéo mais le duo a vocation à s’élargir et surtout à introduire des instruments dans la conception de son hip-hop. Son style ? Tout ce dont les héritiers du jazz en mal de beats séquencés pourraient s’équiper : batterie, guitare et basse. Voilà pour la base. Pour le reste, il se décline dans le premier projet studio du band : Organix.
Tout dans la carrière des rappeurs de Philly s’inscrit dans cette recherche de rupture, pas seulement pour le geste mercantile mais parce que cette démarche répond aux aspirations artistiques de nos compères. Premier indice : la pochette de l’album d’un noir intense seulement maculé du nom de l’œuvre. Cette marque de sobriété confinant à l’élégance est unique dans la discographie du groupe mais souligne surtout que l’important est le disque. Seulement le disque et la musique qu’il renferme. Et justement, sur Organix, album à l’instrumentation magnifique et aux arrangements définitivement jazzy, les Roots signent leur première sortie en indépendants, de la production à la distribution. Le succès est suffisamment significatif pour attirer les grands et les sirènes de Geffen Records. Pour ceux qui ont eu la chance de tomber sur cette opus, les rappeurs de Philly s’y éclatent et proposent leur musique en sachant qu’elle fera de leur carrière ce que possible mais avec l’impression du devoir accompli. Musicalement, le jazz y est syncopé, le rythme clairement séquencé pour imprimer le beat et c’est justement dans les paroles rappées et la rupture consommée avec le jazz, que le mouvement purement avant-gardiste s’étend.
À ce moment de l’affaire, en plus de Black Thought et Questlove, le crew s’est élargi du MC Malik B. et du bassiste Lenoard “Hub” Hubbard. Mêlant délires entre potes et morceaux aux ambitions plus cérébrales, ce disque offre notamment un morceau (« The Session« ) de plus de 12 minutes sur lequel ils invitent le grand Joseph Simmons, ou Tony Green pour des couplets qui ne peuvent pas passer en radio mais où leur verve et leur qualité rappistique ne peuvent qu’être louées.
L’album sort en mai 1993, ce qui le rend contemporain de la claque balancée par le Wu-Tang Clan avec Enter The Wu-Tang (36 Chambers) et signe le manifeste qui signale que le hip-hop est entré dans sa première révolution et que la Golden Era fait ses premiers pas. Alors qu’est-ce qui assure à cet album son caractère résolument avant-gardiste ? Définitivement le libre ton qu’il adopte pour évoquer la rue sur des titres comme « Grits », « Essawhahmah » ou « Common Dust ». Son instrumentation également, en rupture avec la conception musicale du hip-hop à cette époque. Enfin, d’avoir su offrir au hip-hop une nouvelle méthode de création et de se faire les hérauts du rap conscient en l’écartant des récits âpres du ghetto et en y intimant une science de l’instrument. Avant-gardiste également parce que les Roots ont réussi à élargir le champ des possibles dans la bipolarisation générée par la guerre entre la côté Ouest et la côte Est. En effet, le crew légendaire a orienté les phares du hip-hop sur la « paisible » Philly (comme Dilla et Slum Village pour Detroit). Avant cela, hormis Rocky Balboa et les éructations de Stallone, Philadelphie n’avait que rarement eu les honneurs des projecteurs artistiques.
En un mot, ils ont su placer leur ville sur la carte du hip-hop et différencier leur art de ce que les rappeurs de New York pouvaient proposer. Au-delà de cette empreinte géographique, les Roots ont su imposer un style dont le jazz est la plus grande et la plus reconnaissable des sources d’inspiration.
The Roots – « The Session (Longest Posse Cut In History) »
Très vite, le crew qui n’est pas encore une légende, est sollicité par Geffen Records pour sortir un premier album studio. Il faut dire que l’impact d’Organix, sans être retentissant aux yeux du grand public, a démontré le talent des Roots. Avec le confort que procure le fait de pouvoir se focaliser uniquement sur le travail artistique, The Roots ont été mis en situation d’exploiter leur inspiration artistique de manière optimale. Dès lors, leur seul nouvel impératif est de se concentrer sur leur art, et si possible de vivre de celui-ci. C’est dans ces conditions qu’a été conçu Do You Want More?!!!??! dont les premières sessions d’enregistrement datent de la fin de l’année 1993. D’ailleurs, dès l’ouverture de cet opus, Black Thought adresse un message clair.
En 16 tracks et 1h13 d’effort, The Roots écrit sa légende et grave au fil du sillon l’album de référence du jazz-rap. La plupart des morceaux ont tellement marqué leur carrière discographique qu’ils seront souvent repris et samplés à de nombreuses reprises par nos lascars eux-mêmes. Si au niveau de la prose, le message est positif et volontariste, au niveau musical, c’est le grand coup de balai des sorciers du son que sont les Grand Wizzards. Derrière ce pseudonyme se cachent Questlove, Black Thought, James Poyser, Anthony Tidd, Mel « Chaos » Lewis, Kelo. Autrement dit, une dream team de la production. Pour ceux qui découvriraient ces ombres discrètes de studio, sachez qu’ils sont collectivement ou séparément à l’origine des principaux tubes d’artistes comme Common, Erykah Badu, John Legend, Gang Starr, D’Angelo ou Lauryn Hill. Par ailleurs, au fil de cet album à l’instrumentation riche, subtile et variée (on pense par exemple à l’enchaînement « Mellow My Man » – « I Remain Calm » – « Datskat » – « Lazy Afternoon« ), on découvre également les talents d’écriture et l’humour des Roots, avec, fait unique, la seule apparition au micro de Questlove sur « You Ain’t Fly« dont le sujet est encore d’actualité puisqu’il dénonce le harcèlement de rue et discrédite les bourreaux.
Dans la lignée de cet opus empreint de messages aussi bien écrits que nombreux, The Roots laissent peu de répit aux oreilles des fans puisque leur troisième album Illadelph Halflife sort deux ans plus tard. Cette fois, la démonstration de maîtrise n’est plus à faire. Et ce constat s’en ressent sur la copie rendue par le groupe de Philly. Bien que toujours fondées sur des rythmes jazzy, les productions sont plus sombres et les textes plus acerbes envers les causes qu’ils dénoncent. Voici justement comment s’ouvre le planant « What They Do » :
« What They Do »
Si le message politique a toujours été au cœur du mouvement hip-hop, The Roots s’entoure sur cet album de soutiens de poids et de rappeurs qui commencent à se tailler une jolie place dans le jeu. La violence n’est jamais loin mais elle est surtout à la base des réflexions de ces « MC-philosophes » qui donnent au rap conscient leurs classiques à l’instar d’autres clients comme Talib Kweli ou Mos Def.
La hargne, la révolte, la dénonciation de l’environnement politique, une maîtrise croissante de son oeuvre musicale : tous les ingrédients sont réunis pour offrir au hip-hop un argument supplémentaire pour conquérir le monde. Nous sommes en 1999 et le majestueux Things Fall Apart peut sortir et marquer les oreilles ainsi que les esprits. Nous le verrons, cette fois, la transition musicale avec le précédent opus est moins marquée. Pourtant, dans la résonance de cet album légendaire se définit encore le talent et le projet du groupe de Philadelphie.
Vous l’aurez compris, les Roots ont tendance à faire évoluer les styles et les ambiances d’un album à l’autre. Comme une envie de repousser les limites, d’explorer les possibles et de multiplier les supports instrumentaux qui enrichiront leur musique et leur message. Ils ont par exemple été parmi les premiers à introduire des guitares électriques dans leurs compositions. Bousculant ainsi le boombap puriste de leurs quatre premiers opus (Organix, Do You Want More?!!!??!, Illadelph Halflife et Things Fall Apart) en lui donnant une accroche plus « rock » (dont le climax sera la sortie en 2013 de l’album collaboratif avec Elvis Costello, « Wise Up Ghost « ). Depuis, ils ne se sont plus éloignés de cette tendance. À y regarder de plus près, chacun de leur opus relève de ce constat, comme si produire un son qui existerait déjà ne leur ressemblait pas ou qu’ils exploraient sans cesse les capacités de leurs instruments. Cela semble d’ailleurs être le défi implicite qu’ils se sont lancés : multiplier les prises de risques, dévoyer des instruments du champ ou du genre dans lequel on les attend pour mieux en tirer profit. Surprendre et fidéliser l’auditeur.
Comme toute démarche novatrice, cette prise de risque est parfois hasardeuse. Aussi, au risque d’égarer leurs fans attentifs, ils n’hésitent pas à faire de chaque album un laboratoire de leurs inspirations. Par définition, toutes les expériences ne réussissent pas mais le mérite est aussi dans l’erreur. L’amoureux de hip-hop pensera forcément à l’album Phrenology dont la musicalité et la fluidité ne sont pas l’essentiel de ce que représente le projet. A l’inverse, on pourrait saluer la verve et la qualité des lyrics et de la recherche acoustique. Sorti trois ans après le monstrueux Things Fall Apart (qui d’ailleurs, consacrait la primauté artistique du collectif Soulquarians), l’album s’ouvre sur une intro vaporeuse qui laisse espérer un jazz rap dans la pure lignée de ce que les Roots avaient déjà livré. L’auditeur qui, à ce moment, s’installait au fond de son fauteuil ou de sa rêverie, vient de sursauter : « Rock You » suivi du brutal « !!!!!! » donnent le « la » d’un album qui annonce le vrai tournant musical dans la carrière du crew de Philly.
Le collectif Soulquarians et ses proches. De gauche à droite : Talib Kweli, Mos Def, Common, James Poyser, Erykah Badu, Questlove, D’Angelo, Q-Tip, J Dilla et Bilal.
Le siècle vient de s’achever et clairement, le hip-hop vendeur et aguicheur prend de nouvelles directions, qui s’éloignent d’ailleurs de l’acoustique instrumentale des Roots pour se rapprocher de compositions plus sombres, plus assistées par ordinateur et de textes commerciaux plus légers. Le hip-hop était déjà une musique pour faire la fête, et le développement de cette caractéristique va profondément modifier les attentes du public pour valoriser un rap aux productions plus « bouncy » et aux textes plus divertissants. Une tendance qui ne cessera d’ailleurs de se confirmer dans les années suivantes, avec pour résultat d’enrichir encore davantage l’un des mouvements musicaux le plus dense de l’Histoire contemporaine de la musique.
Paradoxalement, cette transition (certainement couplée à une maturité et une confiance artistiques à leur apogée) aura permis aux Roots de produire leurs albums les plus personnels et les plus surprenants. Comme si s’affranchir d’une sorte de carcan mercantile avait libéré leur créativité. Depuis le début, la direction instrumentale est assumée par Questlove et cette empreinte est le sceau de chaque projet : une rythmique limpide et très appuyée, des mélodies travaillées ou à l’inverse minimalistes (voire abandonnées), une narration réinventée (sur l’album Undun, celle-ci est inversée : le premier morceau décrit la mort du protagoniste et le dernier sa naissance).
The Roots – « Kool On »
D’audaces musicales en audaces narratives, The Legendary Roots Crew a, en quelques années, enchaîné avec des opus prompts à dérouter leurs fans. The Tipping Point repartait pourtant sur des bases moins exploratoires et regorgeait de titres plus accrocheurs les uns que les autres (« Dont’ Say Nuthin‘ », « Guns Are Drawn » ou « Duck Down« , à découvrir dans la playlist en fin d’article) mais il sera le dernier album de ce genre. La suite ? C’est Game Theory (premier album chez Def Jam) qui l’annonce avec un retour en force d’une batterie survoltée, des guitares électriques et d’une musicalité oscillant entre jazz, rock et hip-hop. Cet album est pétri de featurings et d’ambiances variées (l’enchaînement « Game Theory« , « Don’t Feel Right » et « In The Music » en est l’illustration parfaite). Le message est toujours axé sur la dénonciation des non-sens de la vie et tourné vers l’extirpation collective de la médiocrité. Parmi ces « albums OVNI », on pourra également citer Undun, Rising Down ou …And Then You Shoot Your Cousin. Même s’ils ne se suivent pas chronologiquement, les sorties de ces albums paraissent souligner la tendance irrépressible des Roots à enrichir leur musique de sonorités nouvelles, à la manière des pionniers du jazz qui, par soucis d’exploration de leur art, n’hésitaient pas à tenter l’improvisation ou les associations qui paraissent contre-nature.
Autant attaquer dur et provoquer le valeureux qui nous a rejoint jusqu’ici : leur collaboration avec Nelly Furtado sur « Sacrifice« , le premier single de Phrenology, est une réussite. Perché sur des notes rapides au clavier, une ligne de basse assurée, le jeu de batterie de Questlove toujours irréprochable, une mélodie efficace et un message plutôt positif, il augure de belles choses pour la suite des morceaux de l’album.
The Roots – « Sacrifice (feat. Nelly Furtado) »
Et même si les Roots n’ont pas à rougir de leurs associations (dont ils ont beaucoup contribué à la promotion), on remarque que les artistes avec lesquels ils ont travaillé ont toujours été phagocytés par l’aura du groupe. À tel point que les projets qu’ils réaliseront en collaboration avec d’autres artistes n’auront jamais la résonance de l’un de leurs albums. À titre d’exemple, on pourrait mentionner le joli Wake Up! qu’ils co-signent avec John Legend. Constitué de reprises de morceaux de blues et de soul des années 50 à 70, bien emballé dans le contexte politique de l’époque puisqu’il célèbre la première élection d’un Noir à la Présidence des États-Unis et mené par des virtuoses de la musique, l’album manque un peu du punch et du tranchant qu’on reconnait à chaque album des Roots. Pourtant, pas de fausse note, juste un registre différent et certainement un cruel manque de nouveauté. Mais l’album plaira assurément à Maman.
Pour reprendre notre sérieux et le cours de cet article, disons qu’à la manière de ce que leur impose leur ADN, ils ont conçu des morceaux, voire des projets entiers accompagnés de musiciens avec lesquels la filiation musicale est évidente mais pas forcément innée. Pour être exhaustif, mentionnons Betty Wright : The Movie, l’album co-produit avec Betty Wright, qui en donne un excellent exemple ou encore l’OVNI Wise Up Ghost d’Elvis Costello que nous mentionnions plus haut.
Enfin, comment ne pas finir cette partie avec une touche de douceur, et démontrer, s’il est encore besoin que leur science musicale est immense et que leurs featurings nous ont offert de grandes choses ? On pense notamment à ce magnifique track sur lequel Black Thought, Eve et Erykah Badu s’interrogent sur la construction d’une relation amoureuse et où le reste du crew assiste le sieur Questlove qui donne à la batterie un final magnifique.
Bien que basé sur un noyau dur composé de Questlove et Black Thought, The Roots est un groupe dont la formation a beaucoup évolué comme l’illustre cette infographie :
Ce qui est remarquable dans le suivi de l’évolution du groupe, c’est la constance artistique dont il témoigne malgré les apparitions, les disparitions et les nouveaux investissements. Il faut reconnaître qu’au fil d’une carrière riche d’une quinzaine d’albums et s’étendant sur presque trois décennies, le noyau constitué des deux fondateurs est resté inaltérable. On ne doute pas que les échanges aient pu être vifs à l’occasion vu la prise de risque que représente chaque sortie et l’audace dont ils ont fait preuve tout au long de leur carrière. Cela dit, dans une industrie dont on connaît la versatilité et la difficulté à perdurer, on ne peut que saluer leur longévité si peu entachée d’actions à l’activité artistique discutable. Dans une approche un peu différente du Wu-Tang Clan et ses Killah Bees, les Roots sont déjà de vieux baroudeurs et leurs associations humaines et artistiques rappellent plus les groupes de rock qui ne savent plus comment endiguer leur déclin que la marque d’un groupe qui évolue sans cesse. Unique exemple de ce côté de l’industrie musicale, ils assument et assurent maintenant leur continuité en s’installant sur le plateau confortable de The Tonight Show Starring Jimmy Fallon où il croise parfois le chemin de…Barack Obama. Si le côté underground et ghetto est bien loin de cette démarche, comment critiquer un groupe qui, par son talent musical, son audace et sa clairvoyance a su séduire un public pourtant à l’origine fortement polarisé en matière musicale ? Unique situation à mettre à leur actif et leur appétence avant-gardiste. Avec peut-être moins de panache que l’art pour l’art, mais avec tellement d’assurance et de sérénité.
Au final, peut-on vraiment parler d’avant-garde en considérant la carrière des Roots ? Assurément, s’il s’agit d’un mouvement artistique qui valorise les prises d’initiatives et repousse les codes artistiques admis. Pour autant, est-il pertinent ou opportun de considérer les Roots comme un crew d’avant-garde? Nous l’avons vu, dans le hip-hop et le rap, ils sont de loin l’un des groupes les plus novateurs sur de nombreux points (hip-hop conscient, instrumentation, ouverture sur de nouveaux genres musicaux, narration) et sur la durée. Sont-ils pour autant porteur de nouveauté ? Oui et non. Oui au sens où ils tracent un chemin en pionniers sur lequel peu se sont engagés avec succès. Non car ils sont les héritiers en droite ligne du jazz et du spoken word qui soutenaient artistiquement l’évolution des consciences dans l’Amérique des années 60. Ce crew de 30 ans est aussi un porteur de liberté. Au niveau des messages qui sont véhiculés ainsi qu’au niveau de la composition musicale dont il fait preuve.
The Roots – « Double Trouble » (Ft. Mos Def)
Un dernier exemple avant d’aller au lit : écoutez attentivement le superbe « Double Trouble« ci-dessus. Ici, c’est le rythme qui s’adapte aux flows de Malik B et Black Thought et non l’inverse. Avec Quest à la baguette, le rythme change complètement et donne une dynamique incroyable à ce morceau qui semble se renouveler sans cesse. Maestria ? Subjectivement oui. Objectivement, ils sont là depuis 30 ans à répandre un hip-hop ouvert, de qualité et en recherche permanente de renouvellement (auquel son approche « arty » lui a déjà été reprochée). Les années passent, les Roots changent et prennent tranquillement leur retraite à la télévision. Beau destin d’artistes finalement qui, sans pervertir son art, a su éloigner de lui l’oisiveté, l’ennui et le besoin.
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La claque que l'on se prend à la lecture de cet article!
Abacaxi vraiment merci de nous avoir proposé ce dossier que je classe aisément dans mes articles préférés all-time (et pas seulement de TBP).
Un grand merci tout simplement.
J'ai eu beaucoup de plaisir à le préparer et c'est un vrai bonheur que ça t'ait plu.
Peace.
Superbe article, bravo pour le travail, ça m'a bien donné envie de me ressortir leur discographie ;-)
Merci! Et bonne écoute alors ;)
Mon Blog concernant The ROOTS et leur discogragphie. http://therootsdiscography.blogspot.fr/
Bravo ABACAXI pour cet article