Comme tous les autres grands courants musicaux du XXème siècle, l’Histoire du Hip-Hop a été façonnée par ses labels. Afin d’accomplir notre mission de vous faire (re)découvrir les piliers de la culture Hip-Hop, nous avons décidé de vous raconter l’histoire de certains de ces labels comme Stones Throw ou, comme aujourd’hui, Rawkus Records.
Fondé en 1996, Rawkus Records est un label de Hip-Hop indépendant basé à New-York. En seulement 8 ans d’existence, Rawkus fut le tremplin de certains des plus grands artistes Hip-Hop d’aujourd’hui (Mos Def, Talib Kweli, Pharoahe Monch) et incarne pour toute une génération de fans l’idée d’un Hip-Hop boombap « independant as fuck » comme on peut le lire sur les premiers disques du label.
A l’origine du label Rawkus, Brian Brater and Jarret Myer, deux étudiants blancs de la prestigieuse Brown University du Rhode Island, collectionneurs de disques et fascinés par les plus grand labels américains indépendants comme Blue Note, Motown ou Stax. Après avoir pressé quelques disques de rock et de Drum’n’bass sur leurs économies, ils décident de créer leur propre label, initialement Raw Records, avec l’aide financière de leur ami James Murdoch, fils de Ruppert Murdoch, le milliardaire et magnat de la presse.
En 1996, Brian Brater propose le changement de nom pour Rawkus, en hommage au morceau du Wu-Tang Clan Bring Da Ruckus, dont l’esprit underground et clanique influencera fortement l’esprit du label. Commence alors l’aventure Rawkus avec une première salve de disques d’artistes New-Yorkais totalement inconnus principalement issus de deux crews de Brooklyn The Rose Family et Universal 7. En soutenant cette scène underground New-Yorkaise, le label réussi à attirer d’autres artistes comme Sir Menelik, Shabaam Sahdeeq et un certain Mos Def dont le maxi « Universal Magnetic » fut un des premiers succès du label.
L’état d’esprit du label était clair: faire découvrir au reste du monde la scène underground Hip-Hop qui bourgeonnait en cette fin de millénaire à New-York. Alors qu’une partie des rappeurs de l’époque commençait à se laisser tenter par les sirènes des majors, Rawkus était né pour incarner l’alternative indépendante à ce qu’on appelle désormais la « shiny suit era » menée par Puff Daddy suite au succès commercial de Biggie.
C’est cette indépendance revendiquée qui amènera El-P et son groupe Company Flow dans les locaux du label en plein coeur de Tribeca (ndlr: quartier du sud de Manhattan à l’époque populaire devenu ultra-branché). A l’époque courtisé par plusieurs labels grâce à leurs fréquents passage sur l’émission de Stretch Armstrong et Bobbito Garcia, le groupe pense alors à sortir son album Funcrusher Plus de manière totalement indépendante, en s’appuyant uniquement sur une structure de distribution telle que Fat Beats (auquel on consacrera bientôt un dossier sur The BackPackerz). Mais c’est finalement sur Rawkus que sortira l’album Funcrusher Plus, aujourd’hui considéré comme un des plus importants album de Hip-Hop underground.
Avec ce premier acte réussi, Rawkus parvient à attirer d’autres artistes notamment un jeune emcee de Brooklyn, ami d’un des A&R du label: Talib Kweli. Le jeune Kweli fera donc ses premières armes sur Rawkus accompagné du producteur Hi-Tek avec qui il forme le duo Reflection Eternal dont la première apparition sur disque remonte à 1997 avec le morceau « Fortified Live« . Un an plus tard, il s’associe à Mos Def pour donner naissance au groupe Black Star. Ensemble, et avec l’aide du staff Rawkus, ils participent à la formation d’une première fanbase du label avec les maxis « Definition » et « RE: DEFinition » que l’on retrouve en 1998 sur le classic Mos Def & Talib Kweli Are Black Star, à mes yeux un des meilleurs albums du label.
C’est grâce à ces premiers « posters boys » Mos Def, Talib Kweli et Company Flow que le label à la lame de rasoir arrive à rapidement créer un sentiment d’appartenance à un mouvement, une communauté Hip-Hop, proche des valeurs originelles. Ce sentiment d’appartenance tient également au génie marketing des fondateurs du label qui ont l’idée d’associer Rawkus à d’autres structures d’identité similaire comme les Lyricist Lounges, une série d’open mic qui se déroulaient dans un loft du Lower East Side à NYC, ou les And 1 mixtapes, ces cassettes de streetball qui ont fait faire le tour du monde à des légendes du basket de rue New-Yorkais comme Skip to my Lou ou Alimoe…sur une bande son 100% Rawkus.
Marquée par une forte culture du DJing du fait de l’implication des Brooklynites DJ Spinna et DJ Eleven dans les affaires du label, Rawkus restera également célèbre pour ses compilations. C’est d’ailleurs grâce à la première compile du label, Soundbombing Vol. 1, mixée par DJ Evil Dee et sorti en CD, que beaucoup de fans de rap découvrent les premiers maxis du labels comme « Show Me Your Gratitude » d’L Fudge ou « Empire Staters » de B One. Viendront ensuite, les compiles Lyricist Lounges qui révèleront aux Hip-Hop heads du monde entier, la scène freestyle New-Yorkaise, à l’époque en pleine ébullition. Ces séances d’improvisation qui attiraient les meilleurs rappeurs de la ville à rejoindre le gigantesque cypher ont donné lieu à de magnifiques collaborations que Rawkus a pu par la suite enregistrer comme le mythique « Body Rock » de Mos Def, Q-Tip et Tash ou le polémique « CIA » qui réunit KRS-One, Zach De La Rocha et The Last Emperor.
Suite au succès underground de l’album de Black Star, le label mise tout sur ces jeunes poulains Mos Def et Talib Kweli et s’empresse logiquement de donner naissance à leurs prochains albums. Alors que Mos Def opérait un virage solo avec Black On Both Sides en 1999, Kweli choisit de renouer avec son partenaire producteur Hi-Tek pour l’album Train Of Thoughts de Reflection Eternal en 2000.
Le talent de l’un comme de l’autre et la liberté artistique permise par le label firent de ces deux albums de véritables succès tant critique (4/5 mics chacun pour The Source) que commerciaux (disque d’or pour Mos Def et 17 au Billboard 200 pour Kweli).
Sous l’impulsion de ces classics en devenir, Rawkus voit sa côte de popularité grimper et a l’opportunité de signer de nouveaux artistes. Arrive alors dans la famille Rawkus un emcee du Queens qui s’est fait connaitre comme la moitié du groupe Organized Confusion: Troy Donald Jamerson a.k.a Pharoahe Monch. Monch travaille alors sur son premier album solo Internal Affairs . Un jour, il arrive chez Rawkus avec une maquette d’un morceau particulièrement hardcore basé sur un sample d’une version japonaise de Godzilla. Immédiatement, tous les gens présents tombent de leur chaise en entendant ce morceau. Il sera immédiatement apporté par Busta Rhymes au DJ Funkmaster Flex (qui tient une des émissions Hip-Hop les plus populaires à l’époque sur Hot97) qui le passera en boucle toute la soirée pour des auditeurs en transe. La légende « Simon Says » était née…
Le succès de ce tube Hip-Hop en puissance apporte au label un certaine aura et dès 1999, une flopée de nouveaux artistes, parfois déjà reconnus, tapent à la porte du label. On voit alors émerger une nouvelle série de maxi signés Rawkus avec des artistes signés sur d’autres labels comme le génial « 1999 » de Common, « Flamboyant » de Big L ou « Any Man » d’Eminem.
Brater et Myer rêvait également de signer des artistes légendaires des années 90s sur Rawkus et avait finalement les moyens de combattre les plus gros labels et maisons de disque à ce jeu. Deux artistes de renommé étaient alors dans le viseur des deux fondateurs: Big L et Kool G Rap. Big L vient alors d’être assassiné en début d’année 1999 et laisse derrière lui un album inachevé et une hype proche de celle de Biggie à New-York. En grand fan du rappeur d’Harlem, les fondateurs du label avec l’aide de DJ Premier feront tout pour qu’un second album (posthume) de Big L voit le jour. Après des mois d’efforts, The Big Picture, sorte d’album auto-biographique, arrive dans les bacs avec des featurings qui font tourner la tête:Big Daddy Kane, Kool G Rap, Guru et même 2Pac sur le génial « Deadly Combination« . L’album sera rapidement certifié or et la légende Big L était née.
Quant à la star du Queens, Kool G Rap, il signa également chez Rawkus pour son album The Giancana Story contre une grosse avance financière (on parle d’un million et demi de dollars) qui fit à l’époque polémique parmi les fans du label .En quête de superstars et de hits radio, le label se rapproche alors du fonctionnement des majors en se lançant dans de gros investissements. Cette stratégie fonctionnera dans un premier temps avec le succès de deux singles: « Oh No » de Mos Def, Pharoahe Monch et Nate Dogg ainsi que « Get By » le hit en puissance de Talib Kweli produit par un jeune producteur de Chicago, un certain Kanye West.
Mais comme dit le vieil adage « mo’ money, mo’ problems », Rawkus allait, malgré cette apparente réussite, connaitre ses heures les plus sombres puisque ces pratiques lui valurent une forte perte de crédibilité en tant que label indépendant. En effet, difficiles pour les fans du Rawkus de 1996 de fermer les yeux sur le matraquage du clip de « Oh No » sur BET ou MTV. On constate donc une première érosion parmi ce qui faisait la force du label: ses ambassadeurs. De plus, l’arrivée de ces artistes plus connus contre d’importantes avances avait fini par déstabiliser la santé financière de l’édifice Rawkus, déjà convoité par de plus grands groupes.
Ajouté à cela, quelques erreurs commises par les directeurs du label comme un problème de sample non déclaré sur le morceau « Simon Says » qui vaudra un procès perdu ainsi qu’une industrie du disque en plein marasme, conduiront le société à s’allier à de plus grosses structures.
Après une première association avec la maison de disque MCA, le label se voit dans l’obligation de céder son catalogue suite au rachat de MCA par la maison Geffen/Interscope dans une affaire qui aujourd’hui encore semble très opaque.
En 2006, on assiste à une brève résurgence du label suite à un accord avec la société de distribution RED (Sony Music). Arrivent alors une nouvelle génération d’artiste Rawkus et quelques bons albums comme 5 Sparrows For 2 Cents de The Procussions ou Port Authority du producteur canadien Marco Polo.
En 2007, le label annonce le lancement du programme Rawkus 50, un appel aux rappeurs en non signés à envoyer leur maquette pour dans l’espoir de dénicher 50 artistes qui feront le Hip-Hop de demain. Malgré une vision assez précurseur puisque l’idée était de faire intéragir fans et artistes, le projet ne fit jamais ses preuves. A quelques rares exceptions près (Kidz in The Hall, L.E.G.A.C.Y.) aucun des artistes retenus ne vit sa carrière décoller et cette initiative fût le dernier acte de l’équipe de Rawkus.
Dix ans après, l’héritage du label est collosal. En plus de la centaine de disques marqués de la lame de rasoir, on se rappelle de Rawkus comme le dernier label indé New-Yorkais. Une fan-base rarement égalée à l’affut du moindre disque et le sentiment d’appartenance à un mouvement grâce à un marketing communautaire de génie (produits dérivés, sponsoring d’évènements…).Comme le rappelle le fondateur Brian Water: « c’était l’époque où le Hip-Hop était une affaire de label, on était soit avec Death Row, Loud Records, Roc-A-Fella… Il fallait choisir son camp. »
Bien que cette époque soit (malheureusement) révolue, on sent encore le spectre du label planer sur la sphère Hip-Hop avec des initiatives indé telle qu’Indie500, cri de ralliement des structures indépendantes des anciens piliers de Rawkus: Javotti Media de Talib Kweli, Jamla Records de 9th Wonder et W.A.R. Media de Pharoahe Monch.
Bring (back) the muthafuckin’ RAWKUS !
Et en bonus retrouvez un tribute mix Rawkus réalisé par DJ Psycut spécialement pour The BackPackerz (big up à lui)
Tribute Mix to Rawkus by Psycut Jazz Attitudes on Mixcloud
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Dernier indé de NY? On oublie Eastern Conf? Def Jux? Qui lui ont d'ailleurs survécus et avec des discographie bien plus importantes et des artistes qui ont toujours une certaine influence comme El-P avec Run the Jewels
Hello Keezy,
Oui le titre était volontairement provocateur mais, fort heureusement, certains labels rap new-yorkais ont tout de même survécu aux années 2000. À noter tout de même qu'aucun d'eux (y compris ceux que tu mentionnes) n'auront réussi à avoir l'aura dont a pu jouir Rawkus auprès de la communauté Hip Hop internationale pendant quelques années... En tout cas, les Estern Conf et Def Jux mériteraient bien eux aussi qu'on leur consacre un dossier à l'occasion ;)
Au passage, on avait réalisé un portrait des Run The Jewels en 2014 qui pourrait t'intéresser : http://thebackpackerz.com/portrait-run-the-jewels-le-duo-improbable-de-killer-mike-et-el-p/
Merci de ton commentaire.
A bientôt sur le site.
2one