Muggs fait partie de ces figures incontournables lorsqu’on mentionne ceux qui ont marqué le rap. De sa participation à la légende de Cypress Hill à son impact sur le rap underground, portrait d’un beatmaker discret mais persévérant.
C’est à New York, dans le Queens des années 70-80, dévasté par le crack, que Lawrence Muggerud grandit. Entouré d’une mère d’origine italienne, fan de la musique Motown, et d’un oncle amateur de rock, Lawrence s’imprègne d’une culture musicale très diversifiée, qui lui servira plus tard d’influence et de source de sampling. Il tombe amoureux de la musique hip hop en 1978, notamment grâce au premier hit rap, « Rapper’s Delight ». Cependant, ce n’est pas ce rap « festif » qui marquera l’esprit de Muggs, mais plutôt l’environnement dans lequel la culture hip hop s’est développée : des quartiers dévastés, sombres, parfois violents. Peu de temps après avoir déménagé à Los Angeles, Muggs se lance dans le DJing au sein du groupe 7A3, à l’ambiance plutôt funky. Cette aventure durera peu de temps, avant de laisser place à un autre groupe : Cypress Hill.
Après sa rencontre avec B-Real et Sen Dog, les trois compères sortent en 1991 leur premier single « How I Could Just Kill a Man ». Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le succès n’est pas immédiat, le disque ne se vend pas avant plusieurs mois. Il faudra attendre la sortie du film Juice, sur lequel figure le titre en question, pour voir Cypress Hill exploser. Le groupe enchaîne donc avec son premier album en 1991. Un album sombre, à la fois dans la musicalité et dans les thèmes abordés : criminalité, weed, violence. Cypress Hill met au goût du jour le street rap, avant même le Wu-Tang. Un genre qui reflète le quotidien de B-Real et Sen Dog, ce qui explique l’utilisation de termes hispaniques, qui deviendra une des particularités du groupe. Au-delà des lyrics, c’est bien Muggs qui est à l’origine de cette sonorité crade et lugubre, une retranscription musicale de ses souvenirs du Queens des années 80.
Les années passent et les albums s’enchaînent, avec chaque fois un petit renouveau en terme de productions, tout en gardant la patte de DJ Muggs. Black Sunday, Temples of Boom, IV… les opus sont toujours aussi sombres, jusque dans les covers bien loin des standards du rap de l’époque, très inspirées d’albums de Rock ou de Metal (que Muggs a pu découvrir par le biais de son oncle au cours de son adolescence), avec ces crânes, squelettes, cimetières. B-Real et Muggs décident même de développer un peu plus ce côté rap/rock sur Skull & Bones, qui comprendra un disque rap et un second disque avec des morceaux plutôt rock. Le succès de Cypress Hill s’estompe dans les années 2000 après l’album Stoned Raiders. Peu satisfait de la direction musicale que prend le groupe, Muggs décide de se retirer pendant plusieurs années. Mais si Cypress Hill fait partie de ces instances mythiques du rap, c’est aussi grâce aux productions de DJ Muggs, qui aura apporté un vent de fraîcheur sur le rap de la côte Ouest en sachant se démarquer de ce qui était fait jusqu’alors.
Dès les premiers albums de Cypress Hill, Muggs a donc voulu reproduire l’ambiance malsaine, dangereuse, lugubre qu’il a connu en grandissant dans le Queens ou à L.A. dans les années 80. Des bpm généralement lents, accompagnés de drums puissants qui viennent accompagner la voix nasillarde et le flow tranchant de B-Real, telle a été la recette du succès des beats de Muggs, cuisinés sur sa SP-1200. Cette atmosphère particulière passe également par un sampling et donc un digging très varié. Piochant à la fois dans des références soul, jazz, des riffs de guitares dans des albums de rocks psyché, des bandes originales de films, Lawrence Muggerud a prouvé sa capacité à être un beatmaker versatile et à s’adapter aux rappeurs avec qui il collabore. Son objectif : toujours chercher à créer quelque chose qui n’avait pas déjà été fait. Ces qualités de beatmaker l’ont même amenées à travailler sur des remixes de groupes et chanteurs légendaires tels que U2, Depeche Mode, Queen et même… Manu Chao.
S’il s’est surtout fait connaître avec ses productions plutôt lentes, Muggs a également produit une petite poignée de hits qui ont marqué l’histoire du rap. Le plus gros d’entre eux est certainement « Jump Around ». Lorsqu’il a proposé ce beat à divers rappeurs (dont Ice Cube), tous ont refusé de kicker cet instrumental, avant qu’il ne le propose à Everlast et que cela devienne le morceau joué à tous les concerts ou les soirées mix DJ. Quelques années plus tard, pendant que Ice Cube travaille sur The Predator, DJ Muggs lui propose plusieurs instrumentaux pour l’album. Cube accroche rapidement sur un beat et insiste pour rapper dessus alors que Muggs ne l’aimait pas particulièrement. Ce morceau devint par la suite « Check Yo Self », qui deviendra encore plus célèbre après son remix sur « The Message ».
Et bien sûr, à côté de ces productions marquantes pour les autres rappeurs, il y a eu les gros hits pour Cypress Hill tels que « Insane in The Brain », « Throw Your Hands in The Air » ou encore « Lowrider » (que Muggs n’aime pas vraiment). Tout cela montre que Muggs n’est pas seulement un beatmaker ou un DJ, mais qu’il est un véritable producteur, capable de tirer le meilleur des rappeurs avec qui il collabore, capable de dire quel type de beat correspondrait à tel rappeur et capable d’orchestrer la création d’un morceau jusqu’à en choisir le refrain comme cela a été le cas sur « How I Could Just Kill A Man ».
Comme tout grand producteur, Muggs a bien évidemment sorti ses albums « compilations », à travers la série Soul Assassins. Ce genre de projet est l’occasion, comme souvent, de ramener un casting all-star et d’aligner les rappeurs les plus célèbres sur un même morceau mais le beatmaker de Cypress Hill décide également de mettre en avant les hommes de l’ombre. C’est ainsi qu’on retrouvera LA The Darkman ou encore Call O’ Da Wild sur le premier volet Soul Assassins sorti en 1997, puis Krondon, Reef The Lost Cauze, Fashawn ou encore Mach-Hommy, sur les trois opus suivants (dont le dernier est sorti en 2018). Cet amour de l’underground, Muggs le porte certainement en lui en raison d’une frustration vis-à-vis de l’industrie. Pas le plus excentrique des beatmakers, pas du genre à se mettre en avant dans les médias, il n’a jamais aimé faire de la musique pour de l’argent ou bien produire des instrumentaux à la pelle dans le seul but de les vendre au premier venu. Il accorde une grande importance au procédé artistique dans la création musicale.
Cela le mène d’ailleurs à produire toute une série de projets communs, sur une formule alors un peu archaïque dans les années 2000 : un rappeur, un producteur. C’est ainsi qu’on verra naître des chefs-d’oeuvre aux côtés de MC plus ou moins connus tels que Grandmasters (avec GZA), Pain Language (avec Planet Asia), Kill Devil Hills (avec Ill Bill) et plus récemment deux projets avec Meyhem Lauren (Gems From The Equinox et Frozen Angels), puis Kaos aux côtés de Roc Marciano. Cette intention de travailler avec les étoiles montantes du rap ne s’éteint pas, puisque des albums communs avec Eto et Mach-Hommy sont également prévus. Mais pour chacun de ces albums, Muggs aura su s’approprier l’univers artistique du MC, tout en y apportant sa touche personnelle. Afin développer au mieux une alchimie, Muggs est attaché à la méthode old school du travail en studio : pas d’envoi de pistes par mail, il collabore uniquement avec des personnes avec lesquelles il s’entend. Il est même allé enregistrer ses morceaux récents avec MF DOOM à Barcelone (DOOM étant interdit de séjour aux États-Unis).
D’autre part, Muggs a aussi servi de tremplin à l’un des plus grands beatmakers du hip hop en la personne d’Alchemist. Alors que ce dernier n’est encore qu’un jeune DJ, Muggerud le prend sous son aile et, en véritable mentor, lui enseigne la production. Cela explique probablement ce côté assez sombre qu’on peut retrouver dans les instrumentaux d’ALC.
Outre sa capacité à sampler une immense variété de titres, Muggs se dit être en perpétuel apprentissage. Il aime se mettre au défi de produire différemment dans différent genre musicaux. C’est pourquoi il a sorti Dust en 2003, album trip hop/rock entièrement produit par ses soins, puis Bass For Your Face en 2013, un album Bass/Dubstep. Si ces deux projets n’ont pas fait l’unanimité chez les fans hip hop de Muggs, ils ont été pour lui un moyen d’expérimenter de nouvelles façons de faire de la musique et de maîtriser différents outils de production.
Dès ses débuts, Muggs aura réussi à développer son propre style tout en sachant s’adapter aux personnes avec qui il a collaboré. Comme tous les grands producteurs, il a toujours eu cette envie de sortir des sentiers battus pour proposer des nouveautés. Il semblerait que Lawrence Muggerud n’ait pas dévoilé toutes ses cartes car l’année 2018, qui aura été marquée par son retour au sein de Cypress Hill, a été l’une de ses plus productives.
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