Poursuivant sa grande épopée des albums collaboratifs, DJ Muggs frappe pour la deuxième fois en 2019. Après Meyhem Lauren, Roc Marciano et Eto récemment, (sans oublier GZA, Planet Asia et Ill Bill par le passé) le super producteur s’associe avec le très énigmatique Mach-Hommy sur Tuez-Les Tous.
Mach-Hommy, le nom qui est sur les lèvres de tout le rap underground new-yorkais depuis quelques années (bien que le rappeur vienne d’Atlanta). Après avoir vendu son album Haitian Body Odor pour 300$ via Instragram, collaboré avec Westside Gunn avant de lui claquer la porte au nez, puis sorti pléthore de projets et morceaux aux côtés de Tha God Fahim, tout le monde semble s’arracher l’homme au visage masqué par un bandana aux couleurs du drapeau haïtien. La collaboration n’est pas anodine pour DJ Muggs, qui s’était déjà payé les services de Mach-Hommy pour deux morceaux sur son dernier volet Soul Assassins : Dia Del Asesinato.
Tuez-Les Tous sonne d’ailleurs comme une continuité direct des morceaux « Blue Horseshoes » et « Contagion Theory » (sur Dia Del Asesinato). La cover de l’album, très brute et « punk », et le titre même, renvoient à l’ambiance générale du projet, mais aussi à l’état d’esprit dans lequel se trouvent les deux protagonistes du projet : à savoir, écraser la concurrence. Ce titre meurtrier est évidemment accompagné de lyrics assassins. Mach-Hommy camoufle des pans de sa vie dans ses couplets, glissés entre les scènes violentes qu’il dépeint, les références littéraires, cinématographiques, bibliques ou encore à la nutrition.
L’album est fortement teinté d’ego trip, bien appuyé par les couplets de Tha God Fahim, partenaire de longue date de Mach-Hommy, et spécialiste du genre. Les beats de Muggs mettent en relief la noirceur de certains lyrics sur des titres tels que « Lajan Jwif » et son riff de guitare hypnotique, ou encore « Bon Nwit », grâce à une touche « rock » qui est devenu une marque de fabrique chez le beatmaker de Los Angeles
L’arsenal lexical du rappeur d’Atlanta est un puits sans fond. Et pour cause, ses textes associent anglais, créole et même espagnol. Cette richesse peut être un frein à la compréhension, mais c’est surtout l’arme la plus forte de Mach-Hommy pour se démarquer des autres et un moyen d’utiliser tout un héritage culturel au service de sa musique. Outre le titre de l’opus, on retrouve ces influences du créole dans les adlibs ainsi que sur les noms des tracks « Bon Nwit », « Lajan Jwif », et même un big up aux bretons avec « Kouign-Amann ».
Dale a tu cuerpo alegría
You macarena, my shit is más buena
En plus de jouer avec le langage et les mots par son rap technique, Mach-Hommy joue aussi avec sa voix en y ajoutant un filtre sur des titres tels que « Stain Glass » ou « Wet Bally ». Un filtre qui ajoute une touche de saturation, comme si le rappeur nous contait ses vers au travers un mégaphone, ne faisant plus qu’un avec l’instrumental. Visage masqué, voix maquillée, Mach-Hommy continue d’entretenir le mystère qui entoure son personnage.
Tout le contraste de l’album réside dans le flow de Mach-Hommy. C’est lui qui donne le rythme. Il alterne entre flow monotone et plus up-tempo (comme sur « Kouign Amann »), entre voix monocorde et couplets ou refrains plus chantants à l’image de « Piotr » ou « The Fowler’s Snare ». On obtient ainsi une grande ambivalence entre la forme et le fond. Une ambiance sombre, parfois transmise avec rage et animosité, parfois récitée de manière paisible et sereine. Cette deuxième facette du projet est bien accompagnée par Muggs avec des beats plus calmes, épurés, et dépourvus de percussions dans certains cas.
C’est ainsi qu’un album collaboratif de ce type prend tout son sens. Les deux artistes se complètent et apportent chacun leur patte au projet. Muggs fournit les beats qui se fondent dans l’univers de Mach-Hommy à la perfection, tandis que ce dernier donne une chance à ses amis (Kung Fuu, Your Old Droog, Tha God Fahim, Big Cheeko) de briller sur le projet.
Tuez-Les Tous est très certainement l’un des meilleurs albums collaboratifs de DJ Muggs, mais cela n’aurait pas été possible sans l’apport artistique de Mach-Hommy. L’album est concis mais efficace. Pas de tentative hasardeuse, toutes les balles touchent leur cible dans cette fusillade orchestrée par Muggs & Mach-Hommy. Que les fans se rassurent, les deux collaborateurs ont encore quelques cartouches dans le chargeur et un deuxième projet devrait voir le jour (voire peut-être un troisième d’après Muggs).