Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de sa peine ? C’est la question qu’on aimerait poser à Dinos en ce qui concerne cet album. Annoncé il y a trois ans, repoussé à plusieurs reprises, Imany est enfin dans les bacs. On ne donnera pas dans le vain suspense : le emcee de La Courneuve a frappé fort. Chronique.
C’était il y a trois ans. Dinos Punchlinovic était encore un rappeur estampillé « Rap Contenders ». Il était ce rappeur brut, constamment à la recherche d’une punchline bien sentie. L’Alchimiste, son premier EP douze titres, était déjà sorti. Porté par « Namaste », ou encore « Bouchées Doubles », en featuring avec Nekfeu, ce projet avait attiré l’attention à défaut de connaitre un succès important.
Puis est sorti Apparences. Second EP, globalement salué par la critique, ce projet disposait d’un son mieux produit. Nemir était le seul invité (sur « Destin Commun »), et le tout était porté par « Namek », mètre-étalon de sa carrière jusque là.
Dinos passait donc aux choses sérieuses. Si L’Alchimiste était un premier jet au final non abouti, Apparences était lui, prometteur. On ne fera que mentionner Toujours Pas Imany Mais Presque, compilation de cinq morceaux balancés sans prévenir, pour faire patienter les fans, en septembre 2016.
Ces projets ont nourri le rappeur. Ils l’ont aidé à faire mûrir sa musique et, surtout, Ils ont posé les germes de ce qu’allait être Imany. Puis, il y a quelques semaines, à la sortie du clip « Les Pleurs Du Mal », second extrait de l’album, le doute n’était plus permis. Dinos Punchlinovic, c’est bel et bien fini.
Imany est donc le premier album studio de Dinos. On sait le bonhomme perfectionniste, mais son désir de nous pondre un bel album n’est pas la seule raison d’une telle attente. En effet, celui qui s’appelle Jules dans la vie était à l’époque signé chez Def Jam (qui compte dans son roster Alonzo, IAM, ou encore Remy). Des tensions entre l’artiste et son label auront précipité la fin de leur collaboration et le report de la sortie du disque.
Et le disque en question, il est fort. D’abord la pochette, entre brumaille, espoirs, et esprit de famille. Montrant un Dinos prenant la pose dans sa cité des 4000 à La Courneuve, au milieu de ses gars, son aspect noir et blanc couplé au grain de la photo habillent une mélancolie omniprésente tout au long de l’album.
Cette mélancolie est couplée à un storytelling de grande qualité. « Havana & Malibu », « Donne Moi Un Peu De Temps », et le génial « Helsinki » sont des exemples criants. Triptyque à l’épilogue sinistre, l’ancienne boite à punchlines nous parle ici d’amour de manière convaincante. D’abord en partageant avec nous la sensation de plénitude qu’on peut ressentir au début d’une idylle sur une prod sentant bon la ride estivale. Ensuite en posant un regard lucide sur ces instants qui voient les premiers nuages arriver. Pour nous parler enfin de l’après rupture, ce moment douloureux où la nostalgie se joint parfois à la haine.
« En panique, j’ai voulu faire une croix sur toi
Mettre un voile sur mon cœur mais l’amour est un établissement laïque
Du mal à m’dire que cette histoire est lointaine
Si tu savais comme j’te déteste, tu saurais à quel point j’t’aime. »
Mais Imany n’est pas qu’une affaire de réminiscences. Loin de là. Par exemple, Dinos partage avec nous certains des sujets qui lui tiennent le plus à cœur dans « Les Pleurs Du Mal ». Sa jeunesse en banlieue, les obstacles rencontrés tout au long de sa carrière, le devenir du continent Africain, ainsi que le rapport au Tout-Puissant. On notera qu’il le fait en faisant habilement référence à deux morceaux de Booba (« Ma Définition » et « Destinée »), époque Temps Mort.
« Les hyènes ressentent la tumeur et moi j’suis d’humeur irakienne. »
« Capitol, Sony ou Def Jam
Comprenez mon style n’est pas leur esclave
Du pez et du pez, content que ma rime te plaise
J’suis obscur, j’dors que d’un œil comme Jean-Marie Le Pen. »
Un album comportant une trop longue liste d’invités peut vite virer au grand n’importe quoi. Les exemples sont nombreux. Mais voir que seuls deux invités étaient au programme pour ce projet long de dix sept titres était, de prime abord, curieux. Youssoupha, assez discret depuis la sortie de son album NGRTD en 2015, froisse littéralement l’instrumentale de « Bloody Mary ». Joke déroule quant à lui son flow nonchalant sur la prod lancinante de « Beuh Et Liqueurs ».
La production justement, parlons-en. Pour définir l’identité sonore d’Imany, Dinos a fait appel à quelques mains invisibles omniprésentes dans le paysage rap français actuel. Twenty9 montre sa polyvalence sur « Argentique », « Hiver 2004 », « Havana & Malibu », « Magenta », et « Sophistiqué ». BBP, connu pour son travail pour Damso, PNL, Kery James, ou encore Guizmo est l’architecte du son sur des tracks comme « Presque Célèbre », « Spleen », « Quelqu’un De Mieux », « Les Pleurs Du Mal », et « Notifications ».
Yseult tire son épingle du jeu en samplant astucieusement Kendrick Lamar (« Sing About Me, I’m Dying of Thirst ») sur « Helsinki ». Notinbed, StillNas, Richie Beats, ou encore Machinist contribuent également à faire d’Imany un opus bien produit.
Dinos a travaillé sur ce projet pendant trois ans. Trois années de doutes, de remises en question, de tests, pour un résultat plus que concluant. Mais la route est encore longue et le emcee, ambitieux, le sait bien. Il est lucide sur la question dans l’ultime morceau de cet album, « Presque Célèbre ».
« On dit aussi que, parfois pour punir les hommes, Dieu leur donne ce qu’ils veulent
Et j’pense qu’il m’a rendu service en me donnant ce que je voulais pas
Imany. »
La suite s’annonce excitante. En attendant, Imany s’impose déjà comme un opus majeur du premier semestre rap français en 2018.
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