Devin The Dude a côtoyé les plus grandes légendes qui ont écrit et façonné l’histoire du hip hop, mais lui s’est toujours contenté d’observer le grand monde en coulisses. Retour sur un artiste qui mérite qu’on s’attarde sur son cas, alors qu’est sorti son nouvel album Still Rollin’ Up: Somethin’ To Ride With.
Devin Copeland, aka Devin The Dude, est un rappeur originaire de Petersburg (Floride) né en juin 1970. Dès l’adolescence, il part rejoindre la ville d’Houston (Texas) où il se fera rapidement un nom grâce à un réseau d’artistes hip hop bien implantés.
Entre 80 et 90, Houston jouera par ailleurs un rôle prépondérant dans l’expansion de ce genre musical grâce à des figures emblématiques, à commencer par des artistes tels que DJ Screw, Scarface, et E.S.G (Everyday Street Gangsta) qui resteront parmi les plus influents dans la construction de Devin.
Pour Devin, tout commence dans les années 80, alors qu’il est un breakdancer hors pair. À cette époque, il évolue au sein du collectif de breakdance The Rythmic Rockers et monte en parallèle un autre groupe d’afficionados, aux côtés de l’un de ses frères : les « 3D ». En plus d’être transcendé par la danse, il collectionne les vinyles et se bute au son. Sa carrière démarre en 1987, alors qu’il devient membre du groupe Odd Squad composé de Jugg Mugg et Rob Quest dont il a fait la connaissance lors d’un talent show.
Le trio sera signé sur le label Rap-A-Lot-Records et son premier (et dernier album) sous ce nom de scène, sera Fadanuf fa Erybody, sorti en 1994, souvent considéré comme la pierre angulaire du label. La puissance de Fadanuf fa Erybody réside dans sa force à mobiliser des classiques du jazz et à les sampler. C’est le cas notamment du parfait sampling de « Whispering Pines » de The Crusaders sur le titre « Jazz Rendition ».
Le groupe se focalise autour de thèmes récurrents tels que les filles, la weed et l’alcool avec le très sulfureux « Putcha Lip » ou encore « Your Pussy’s Like Dope ». Par la suite, et jusqu’en 1998, Devin continue auprès de Jugg Mugg et Rob Quest au sein du groupe qui sera renommé les Coughee Brothaz. Mais ce nouveau collectif n’est plus seulement circonscrit à trois membres. Il s’étend à des artistes texans en devenir, et emporte dans son sillage des personnes aux profils très différents : rappeurs, graffeurs, ou simple bédaveurs. Il est donc question d’art de vivre. Devin rejoindra également Scarface au sein de Facemob et participera à l’album The Other Side Of The Law, aussi signé sur Rap-A-Lot Records.
Alors que certains artistes sont avides de succès, Devin The Dude, lui, fait preuve d’une extrême sagesse quand il est question d’ambition. La perspective d’une carrière solo n’est pas sa préoccupation première. C’est sans doute grâce à la force de persuasion de Scarface qu’il se lance dans l’aventure en solitaire.
À cette époque, c’est le Odd Squad à l’unanimité, qui est convaincu que le public n’est pas rassasié. Devin a une vraie carte à jouer et pêche par excès de modestie.
I used to be a part of break-dancing groups all the time and Rap crews. I was always about power in numbers, but he was kind of adamant about me going solo.
The Dude (1998)
L’aventure solo commence véritablement en 1998, lorsque Devin sort son projet The Dude. Impossible de ne pas se rappeler de la cover de l’album, où il se met en scène et apparaît, sur le trône, joint au bec, en pleine lecture assidue du Houston Chronicles. Le projet est riche et introduit d’ores et déjà le public à un style atypique. Coolitude poussée à l’extrême, nonchalance que l’on perce depuis la pupille… « Let us introduce you our coolest guy in the rap store ».
C’est aussi à ce moment-là que Devin se dégote son nom de scène, qui lui collera définitivement à la peau « Devin The Dude » en hommage à l’un des titres de Quincy Jones qu’il chérit tout particulièrement : « The Dude ». L’album est ponctué de pépites à l’image du titre « Do What You Wanna Do » véritable ode à la liberté et célébration de l’anticonformisme. S’ensuivent des titres comme « Can’t Change Me » ou encore « Sticky Green » feat. Scarface où il s’attaque à son sujet favori, la weed, sur fond de quelques accords élégants de piano et de synthé. C’est donc un premier projet solo qui a du chien et qui porte aux nues un génie créatif hors-norme sur le plan musical. Pas de doute, l’artiste est lancé. Il sortira au total une dizaine d’albums studios, avec son lot d’incontournables.
Mais l’étape marquante dans la carrière de Devin est surtout sa collaboration avec Dr. Dre en 1999. À ce moment-là, Devin The Dude a d’ores et déjà enregistré plusieurs sons avec Snoop Dogg mais il ne connaît pas encore Dr. Dre. À n’en pas douter, Devin séduit par son talent, son détachement, et surtout sa capacité à mobiliser une forme de spontanéité et de vitalité dans ses projets, lorsqu’il oublie d’être stone. C’est ainsi que Dre force le destin et propose une collaboration à Devin, dans laquelle il lui laisse les mains libres.
En studio, Devin se voit proposer d’écouter à l’aveugle des morceaux, par série de 30 secondes. Au total, The Dude a entre les mains un listing d’environ 107 futurs beats qui se livrent bataille sous son oreille attentive. Après seulement une dizaine d’écoutes, il tombe littéralement sous le charme de celle qu’on appellera la « track 12 » et qui deviendra officiellement l’incontournable « Fuck You » sur laquelle il sera aux côtés de Snoop et Dre et qui apparaîtra sur Chronic 2001.
Dès 2001, Devin rempile presque tous les deux ans avec de nouveaux albums solo. Parmi lesquels, on retiendra surtout :
Just Tryin’ Ta Live (2002)
Cosmique… c’est sans doute le premier adjectif qui vient à l’esprit lorsqu’on entame l’écoute de Just Tryin’Ta Live. L’album s’ouvre sur le titre « Zeldar » dont l’univers phonique s’apparente à celui d’un jeu vidéo. En réalité, Devin The Dude, introduit simplement un monde parallèle comparable à celui de la planète mars, où il ferait la découverte plutôt heureuse d’un champ inondé de « green leafy trees ». Mais s’il y a bien deux incontournables à écouter sans modération, il s’agit de « Lacville ’79 » et de « Doobie Ashtray ». Sans aucun doute l’un des morceaux le plus connu de Devin, « Doobie Ashtray » a été produit par l’excellent DJ Premier et inspiré par l’artiste sud-africaine, Miriam Makeba, et son titre « Quit It » où l’on reconnaît les quelques notes de guitare acoustique qui font tout le charme du morceau.
To Tha X-Treme (2004)
Pour les fans invétérés de Devin, cet album est considéré comme l’un des plus abouti de l’artiste. C’est aussi sur ce projet qu’il est possible de mesurer l’impact et l’influence du genre « Gangsta Funk » (G-Funk) sur la carrière de Devin et plus globalement de l’effet « Dre » qui a largement contribué à populariser ce style. S’inscrivant dans une vibe résolument californienne, proche de celle de Nate Dogg avec « Regulate », la rappeur texan est salué par la critique, mais son projet est plutôt un échec commercial.
Waitin To Inhale (2007)
Sur l’album Waitin To Inhale, il surprend une nouvelle fois par son potentiel à solliciter une grande variété d’influences sans pourtant s’éloigner d’un style déjà préfiguré dans The Dude. Sur « She Useta Be », le ronflement du saxophone transporte, quant à « Nothing To Roll With », il reprend les influences musicales texanes sur un air de country. C’est aussi sur cet album qu’il sera remarqué pour son featuring avec Snoop sur l’excellent « What A Job ».
Gotta Be Me (2010)
Le septième album de Devin est beaucoup plus smooth et s’adresse à toutes les femmes de sa vie. L’amante, la femme, la pote…florilège de déclarations envers toutes ces femmes qu’il affectionne autant qu’il les néglige. Sur cet album, l’artiste reprend la droite lignée de To Tha X-Treme où la place réservée au Gangsta Funk est importante. On notera aussi l’excellente track « No Need To Call » où Devin sample le puissant « Ring Ring Ring » de De La Soul.
Accoustic Levitation (2013)
Sur ce projet, il replonge dans le passé, en renouant avec ses anciens compagnons de route Rob Quest et Jugg Mugg du Odd Squad sur le titre « We High Right Now ». Mais il délivre aussi des morceaux plus inattendus, comme la charmante balade soul / jazz « Are You Goin’ My Way » feat. Lisa Luv et Tony Mac ou encore le titre « Can I » aux accents mélodramatiques et sur lequel Devin est dans l’introspection à plein. La métaphore d’Accoustic Levitation est portée par des morceaux comme « I’m In The Galaxy » où l’on se laisse facilement aller.
En complément et jusqu’à ce jour, il délivrera aussi des compilations, parmi lesquelles Smoke Session, Vol.1ou High Life dont les titres sont suffisamment évocateurs pour faire planer.
Le fil rouge de l’ensemble des projets de Devin The Dude reste la weed, alors omniprésente dans son patrimoine musical. Cette folle histoire d’amour commence alors qu’il est en sixième et qu’il traîne avec son pote J. Boomer à l’époque. Très vite, elle oriente et inspire ses projets à commencer par la constitution du groupe duquel il fera partie : les Coughee Brothaz.
C’est d’ailleurs Devin lui-même qui popularise cette expression pour désigner les inconditionnels de la verte et qui trouvera une place confortable dans l’Urban Dictionary. Comme pour créer une sorte de communauté et un état d’esprit fort, Devin The Dude intronise l’ensemble des nouveaux sympathisants et amis proches du cercle comme des Coughee Brothaz.
Parmi l’un de ses plus gros succès le titre « Doobie Ashtray » célèbre notre chère Mary Jane comme un ultime remède dans les phases de crises personnelles et une forme d’auto-médication des plus efficaces.
Enfin, il n’est pas inhabituel de constater que Devin est souvent parmi les « Stoners Hall Of Fame ». Les projets qu’il a offert à son public jusqu’à présent sont édifiants et sans équivoque Smoke Session Vol.1 ou encore Accoustic Levitation, attestent de son addiction chronique qui participe à la construction du personnage.
Malgré un palmarès d’albums et des collaborations nombreuses avec Dre, Snoop, Big K.R.I.T, Ice Cube et bien d’autres, Devin demeure encore aujourd’hui un artiste que l’on classe parmi les talents underground. Comparable dans le style musical, mais aussi dans la construction de sa carrière artistique, il se rapproche assez de Curren$y. Prolixe tant en solo qu’en collaboration, les deux artistes ne sont jamais parvenus à « percer » dans la longue lignée des rappeurs mainstream mais produisent à en donner le tournis. Même s’ils parviennent difficilement à capter un nouveau public, leurs projets restent des valeurs refuges, où chaque sortie est une bénédiction et où le style ne dépareille pas.
Comme si l’alchimie était naturelle, les deux rappeurs ont par ailleurs collaboré ensemble sur quelques projets de qualité, à l’image des titres « Crumble The Satellite » feat. Paul Wall ou encore « Chilled Coughee ». Alors si vous êtes fan de Curren$y, il y a de fortes chances que vous soyez Devinophile.
Curren$y comme Devin The Dude avant lui, a fait le choix de l’indépendance. Même si celui-ci a passé de courtes périodes auprès de labels, comme No Limit, Cash Money ou encore Def Jam, il a prouvé que certains projets sans affiliation à un label étaient réalisables et ne présupposaient pas du succès d’un album. De la même manière, il a travaillé avec de grands artistes hip hop mainstream comme Wiz Khalifa sur How Fly ou encore avec Lil Wayne. Mais malgré cela, le gros de sa carrière reste discret.
Après deux ans d’absence, Devin a sorti Still Rollin’Up : Something To Ride With, le 3 juillet et a annoncé une tournée estivale. Une fois de plus, il confirme son parti-pris et s’inscrit dans une continuité par rapport à l’ensemble de ses projets bien que plus mélancolique. Reste à savoir jusqu’où ira notre homme à presque 50 ans. En attendant, on vous a concocté une sélection des plus grands classiques de Devin à côté desquels vous ne devez pas passer.
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