La science du come-back est un art à part, quel que soit le domaine. Si Jordan en 1995 ou Zidane en 2005 avaient su le maîtriser à la perfection, Dany Dan s’efforce de s’inscrire dans cette lignée. Depuis 2014 et un projet commun avec Ol Kainry (Saison 2), Pop Dan n’avait plus sorti de musique après avoir été l’un des acteurs majeurs des années 90 et 2000. Si cette absence a su attiser la curiosité, l’ancien membre des Sages Poètes de la Rue a tout fait pour maintenir son audience dans l’ignorance, comme à son habitude : “Rimeur dieu, t’es qu’un païen” (sur le classique “Bons baisers du poste”).
Bien au contraire, Kyo Itachi a lui inondé les ondes en 2022 en publiant Solide, pour signer un excellent premier album en tant que chef d’orchestre, où l’on avait pu observer l’émergence de ce tandem. En effet, le morceau “Solide”, sixième titre du projet, marquait l’entrée en piste d’un duo au potentiel saisissant. Malins étaient ceux qui avaient vu là l’avènement d’un nouvel arc de leurs carrières respectives. Ainsi, ce disque fait directement écho à la promesse laissée par cette fusion alléchante amorcée il y a maintenant deux ans. La culture n’en demandait pas plus : “Kyo met le rythme et je scribe, ainsi j’écris ma Bible. La compétition flippe, à juste titre.” (“Maître des lettres”). Analyse.
Si cette collaboration n’était pas forcément attendue, elle n’en demeure pas moins on ne peut plus logique à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, les deux artistes partagent une sensibilité particulière pour le rap américain et particulièrement pour le rap new-yorkais. En témoigne le morceau “Place haute/Explosion” sur lequel Dany Dan souligne la dualité d’une source d’inspiration aussi bien littéraire que musicale : “NYC était l’exemple, premiers textes, premiers samples”. Ce puits d’inspiration est un des fils conducteurs du projet mais surtout le point de départ de la relation entre les deux artistes. À cet égard, la musique de Kyo Itachi a toujours été tournée vers le voisin américain au point de commencer sa carrière outre-Atlantique en collaborant notamment avec Conway the Machine, membre du groupe new-yorkais Griselda. Par conséquent, cette pâte new-yorkaise transparaît à travers le projet; d’autant plus qu’elle convient à merveille au grand fan de Nas, que demeure Dany Dan.
Au-delà de cette oreille commune, les deux artistes appliquent une éthique de travail impressionnante, les tirant l’un et l’autre vers le haut. Dans un épisode très intéressant du Code tenu par Mehdi Maïzi, les deux artistes soulignaient tous deux l’alchimie qu’ils avaient réussi à trouver grâce à un travail régulier. En effet, le tandem écrit et compose quotidiennement, créant de fait une émulation impressionnante. En découle une admiration mutuelle entre les deux artistes, qui ont déjà de nombreux faits d’armes à leurs actifs. Dany Dan y déclarait d’ailleurs avoir parfois eu besoin de près de trois mois pour réussir à poser sur les instrumentales de son acolyte; tant celles-ci étaient riches en éléments.
Dès lors, chacun profite d’être mis en danger par le talent de l’autre; au point d’en être surpris en cabine : “Kyo, t’es malade ou quoi” (sur “Sur Mesures”). Si Dany Dan le met en exergue oralement, Kyo Itachi lui répond directement en livrant des instrumentales dignes de ce nom tout au long du projet dans le but de pousser dans ses retranchements un des meilleurs MCs de l’histoire. En somme, ce dialogue compétitif entre deux artistes excellant respectivement dans leur domaine grâce à un travail permanent représente le socle de cet album, où chacun est poussé à donner le meilleur de soi-même pour épouser la courbe de progression de son double. Il n’est d’ailleurs pas anodin de retrouver 2 chèvres sur la pochette; symbolisant les « GOAT » (greatests of all time) qu’ils pensent tous deux être. Sur “Mon territoire”, concluant le projet, Dany Dan revient sur cette émulation : “J’ai dû élever le niveau. Je parle évidemment du mien. Je ne fais que mitonner, on dirait un cuistot.”
Si l’alchimie musicale entre les deux artistes est évidente, elle ne vient pas pour autant éclipser le fond et un débat structurant les quatorze titres de Pièces montées : Comment réussir à jongler entre passion et obsession pour donner le meilleur de soi-même ? Ce questionnement est tout à fait logique lorsque l’on prend en considération le fait que Dany Dan a toujours été décrit comme un des meilleurs MCs de sa génération mais qu’il fait ici son retour après une décennie d’absence, dans un rap où les codes ont évolué.
Tout d’abord, Dany Dan cultive un rapport passionné à son art : “Est-ce qu’au moins tu bosses ton art ?” (sur “Des voix dans ma tête”, au sein de son groupe). En effet, il se voit comme un sportif de haut niveau devant s’entraîner d’arrache-pied avec comme horizon la rime ultime. En ce sens, il déclarait sur le Code ne pas encore avoir écrit sa meilleure rime. Or, le principe de l’horizon est qu’il n’est pas et ne sera jamais atteignable. Dès lors, Pop Dan s’évertue à se rapprocher d’un objectif par essence inatteignable; quitte à s’en épuiser et à tourner en rond. Dès le premier single “Rarissime”, il détaille cette lutte intérieure avec précision : “Je vise l’excellence. Mon pire ennemi, c’est moi-même. Donc l’abruti qui me fixe dans la glace, je le malmène. Au galop d’une aube à l’autre, pas ou peu de pause l’aprèm. Et ne stoppe que lorsque je sonne limpide”.
Malgré la structure paradoxale de cette quête, elle est la raison qui a fait de lui l’un des meilleurs rimeurs, si ce n’est le meilleur, de la scène de la fin des années 90 et de la première décennie du nouveau millénaire. Pour lui, ce travail régulier dans le but d’affiner sa plume n’est qu’une passion et une nécessité pour réussir à se satisfaire de son niveau. Le morceau “Passion” en est le symbole. Justement, cette obsession pour la rime; lui ayant permis d’atteindre un niveau exceptionnel et un style unique; a fait de lui un des artistes planant sur le paysage rap français de la décennie 2010, malgré son absence.
De nombreux artistes importants s’inscrivant dans cet héritage n’ont d’ailleurs cessé de le mentionner comme un modèle de réussite. Ainsi, sa renommée a été entretenue par cette inlassable quête : “glisse comme Dany Dan” (Jeanjass sur “Quand même” ft. Caballero & Isha), “Je suis un Dany, je suis un Fabe” (Alpha Wann, sur “1500”). Parmi ces artistes inspirés par les œuvres du Pape de Boulogne, Freeze Corleone est un de ses clairs descendants. Le travail sur le sens de la formule et la science des mots choisis se retrouvent dans la discographie des deux artistes. Ainsi, il n’est pas illogique de retrouver une collaboration intéressante entre les deux artistes sur ce disque.
Pourtant, cette passion obsessionnelle n’est pas sans effets secondaires. Comme dit précédemment, Dany Dan a développé une relation presque névralgique à son art. Ce dernier est devenu nécessaire à son bien-être : “Folie sûrement contrôlée, y a qu’au micro que je souffle ma rage. J’y balance toutes mes phases. Ouais j’adore me défouler. Et j’ai tous ces sentiments refoulés sous le tapis de mes vices. Les garder pour moi m’épuise” (“Rimes coups de poings”). Dès lors, n’était-il pas devenu “Otage” de sa passion ? En effet, il était, selon ses dires, arrivé à une forme de blocage vis-à-vis de son style à force de travail. Ses recherches se tournaient systématiquement vers des tournures toujours plus compliquées et son propos commençait à se répéter. Sur ce dernier morceau, il donne une grille de lecture à ce sujet : “Moi j’ai fait un serment, un pacte misant sur ma diction. Ce monde tourne à l’envers : maintenant mon talent serait une malédiction ? Trop de techs, de complications. Je ne sais faire autrement qu’un Pablo Picasso dans ses grandes heures”.
Par conséquent, cette lutte pour se défaire de cette nouvelle maladie était un des objets de son absence prolongée. Or, si ce combat demeure palpable dans les textes, l’impression auditive est que cette maladie est désormais bien loin de la plume de Dany Dan. Une fois de plus, ce projet est surtout un exercice de style pour celui qui l’a toujours propulsé au sommet de son art. De fait, tout dans ses textes est harmonieux. Il jongle avec les mots, les fait rimer avec une aisance souvent déconcertante tout en restant un des MCs les plus stylés en dépit de son âge. Par ailleurs, le plaisir de rapper et de produire est un des fils conducteurs du disque. Les deux se laissent aller à leurs inspirations sans délaisser certains codes plus traditionnels du hiphop. On retrouve notamment un morceau storytelling comme “Défâche toi”.
En ce sens, les performances de Dany Dan sont bonnes ou excellentes tout au long de l’album. Toutefois, elles ne seraient rien sans les instrumentales tout bonnement exceptionnelles de Kyo Itachi. En effet, l’album dispose d’une unité sonore cohérente grâce à un travail d’une grande finesse sur les samples en particulier. Mention spéciale au changement d’instrumentales sur “Place haute/Explosion”. Tout y est maîtrisé, à tel point que le duo nous embarque dans un projet singulier dans le paysage musical français de 2024. Dany Dan nous donne tout de même des clés sur notre destination finale qui serait située à la sortie du système solaire : “Là j’avance direction Pluton, le studio : ma navette”.
Pour conclure, Pièces montées est un excellent exemple prouvant que l’âge n’est pas un sujet lorsqu’il s’agit de musique. Grâce à leur passion et leur envie de travailler ensemble, le tandem Dany Dan & Kyo Itachi apporte une fraîcheur sur des sonorités remises au goût du jour. Le maître mot en demeurera la passion qui en ressort comme Dany Dan nous invite à le comprendre : “Que faire à part élever le volume, mettre le casque à fond et oublier ces zouaves qui refusent de le faire”.
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