Le délicat crooner canadien y dissèque une nouvelle fois ses états d’âme, nous offrant ainsi de grands moments de grâce et ce malgré un vague ennui et sa plume quelquefois déplacée.
La popularité amène parfois quelques déconvenues. Alors qu’il jouissait d’une reconnaissance unanime de la part du public et de la critique, l’auteur de « Get You » et surtout de « Best Part » – pour lequel il a reçu le Grammy Award de la meilleure prestation R&B en février dernier – a fait l’objet ces derniers mois de controverses qui ont écorné son image de gendre idéal.
Dans un premier temps, il y a eu la légère altercation avec l’humoriste renommé (et visiblement saoul) Dave Chapelle lors du talk show instagram de John Mayer. Daniel Caesar, lui aussi éméché, s’était fait qualifié de « very gay » par le comédien dans ce qui ressemblait à une mauvaise blague. Plus récemment, Daniel s’est fait raillé sur les réseaux sociaux pour avoir déclamé, ivre une fois encore, dans un live instagram : « why we (black people) are being so mean to white people right now ? », en soutien à YesJulz, une influenceuse particulièrement contestée. Le chanteur de 24 ans se serait bien passé de ces bad buzz succesifs digne de Kanye West qui lui ont fait connaitre ses premières affres de la vie publique.
À l’automne dernier, Daniel Caesar sortait « Who Hurt You ? », son premier morceau solo depuis Freudian, juste avant ces malheureux incidents. Ce titre profondément mélancolique mettait déjà en exergue une nouvelle facette tourmentée de l’artiste sur des notes autotunées. On sentait un changement s’opérer dans sa musique autant que chez sa personne. Il exprimait avec la franchise qu’on lui connait, comment les longs mois de tournée et le mode de vie qui en découle ont changé sa perception du quotidien. Davantage obnubilé par les stripclubs que par l’Eglise, où il a reçu sa formation musicale, Daniel y tirait des conclusions à cœur ouvert sur ce qu’il traversait alors :
Strange new addictions picked up on the road
Changed my opinions and changed up my flows
Changed my approach, no more loving these hoes
And when it rains it pours, yeah
Ce nouvel album arrive donc dans une phase délicate de sa carrière et pose la question suivante : comment gérer la célébrité une fois acquise ? Sur CASE STUDY 01, Daniel Caesar étudie ses insécurités et le chaos permanent de la vie à la manière d’un scientifique. Le stéthoscope à l’écoute de son âme. L’expression est parfois sans filtre, l’atmosphère souvent céleste, l’émotion toujours précise et authentique.
Tout un flot de questions existentielles se bousculent dans la tête d’Ashmond Simmons, de son vrai nom. Et les considérations métaphysiques débutent dès l’ouverture de l’album. En effet, sur « ENTROPY » on entend d’emblée un extrait d’une interview du physicien américain Robert Oppenheimer. Le « père de la bombe atomique » y cite un passage du Baghavad Gita, un des textes fondateurs de l’hindouisme, pour tenter d’expliquer les raisons de sa funeste création : « Now I Have Become Death, Destroyer of the worlds ». Le ton est donné. Daniel Caesar use de concepts scientifiques autour du chaos, du néant ou encore de l’anatomie tout au long de son projet pour mettre en image l’état instable qui règne en son for intérieur. Sur ce même morceau et comme l’indique le titre, il emploie le terme d’entropie – un principe d’imprédictibilité propre à un univers, pour résumer grossièrement – afin d’exprimer son incertitude vis-à-vis du chemin qu’empruntera sa nouvelle relation amoureuse.
Oh, how can this be ? I finally found peace
Just how long’til she’s stripped from me ?
So come on, baby, in time we’ll all freeze
Ain’t no stoppin’ that entropy
Cette métaphore filée se poursuit avec toujours autant de justesse sur « FRONTAL LOBE MUZIK », en compagnie de Pharrell sur une production signée The Neptunes, trouvant le dosage adéquat entre la simplicité si touchante du Canadien et l’inspiration astrale du duo de producteurs. Mais c’est véritablement avec « SUPERPOSITION » que Daniel Caesar atteint la cime de sa catharsis savante. Sur une instrumentation divine concoctée par le toujours classieux John Mayer, Daniel s’illustre par son falsetto raffiné qui tire le morceau de sa douce torpeur, vers une plénitude où règne un choeur angélique et des arpèges hypnotiques de guitare.
Il y formule une méditation de gratitude envers les éléments qui constituent les hauts et les bas de son existence. Son égo, Dieu, les femmes, le succès, tout cela interagissant en superposition telles des vagues se fracassant entre elles et parfaitement résumé dans le refrain : « Exist in superposition / Life’s all about contradiction / Yin and yang / Fluidity and things« . Le temps d’un morceau, Daniel Caesar atteint le sublime avec cette ballade d’équilibriste d’une grande sensibilité.
Deux choses sautent aux yeux lorsque l’on s’attarde sur la cover de ce nouvel album. Premièrement, la silhouette vibrante presque menaçante de Daniel Caesar au premier plan, qui dénote de celles de ses projets précédents. Sur les pochettes de Pilgrim’s Paradise et de Freudian, le chanteur soul aux dreadlocks faisait la taille d’un lilliputien et était en mouvement, que ce soit en pleine chute pour son EP de 2015 ou en ascension pour son premier album. Ici, son corps est érigé tel le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, duquel émane une force magnétique assez inexplicable. Deuxièmement, le sigle « parental advisory » est anormalement mis en avant, toujours en comparaison avec ses premières oeuvres. Ces observations, qui peuvent sembler n’être que des détails, en disent finalement beaucoup plus sur la teneur de cette étude de cas première du nom.
Derrière la représentation de lover que l’on se fait de lui et qui lui colle à la peau, Daniel tient un discours assez acerbe, voire bourru sur sa relation aux femmes pour des chansons d’amour. À l’exception de « LOVE AGAIN », en duo avec la vétérante Brandy, qui s’inscrit dans la même lignée de sa charmante collaboration avec H.E.R au succès phénoménal, l’expression de ses sentiments est très contradictoire et frôle même par moment la misogynie. Une relation amour-haine ardente où il n’arrive pas toujours à concilier son instinct charnel primitif et son besoin d’affection. À ce juste titre, « OPEN UP » met en lumière cette dualité qui habite notre séducteur à la voix d’ange :
I hate feeling rushed, girl, can I just be honest?
I don’t feel like talkin’ unless it’s ’bout me, or philosophy
Can we just get down to business?
And when we’re both finished, then we’ll have a reason to speak
Avec ces lyrics, on découvre un aspect de Daniel Caesar qu’on ne soupçonnait pas, de nouveaux traits de sa personnalité ressemblant drôlement à de la masculinité toxique. Ce premier signal se confirme avec « CYANIDE », où il se justifie maladroitement sur son envie de conclure avec une conquête, sans envisager le consentement réciproque : « It’s you baby girl I’m tryna to breed / Please baby, try to understand me / I’m not a monster, I’m just a man with needs.« . L’arrière goût amer que laisse ce passage est heureusement contrebalancé par la forme poétique qu’il épouse, permettant de transcender la première lecture. Loin de nous l’idée de nous faire juge, on écoute avec toute notre attention les récits alternants entre honte et orgueil d’un homme rempli de failles et dont Frank Ocean aurait très bien pu être l’auteur.
On pense justement beaucoup à Blonde pendant l’écoute de CASE STUDY 01. Il y a cette même sensation d’impudeur bercée dans une soul moderne, bien qu’il n’atteigne pas l’intensité émotionnelle du chef d’oeuvre de 2016. La faute sans doute due à des passages à vide que sont les morceaux mous du genou à l’allure inachevées « RESTORE THE FEELING » et « COMPLEXITIES ».
Il n’est pas facile de tirer une conclusion totalement avisée de ce projet à l’heure actuelle, tant on a l’impression de s’enliser dans l’esprit troublé de Daniel Caesar en même temps que lui. Avant la lente digestion de cet opus qu’on se réserve pour nos nuits d’été, on peut d’ores et déjà avancer que CASE STUDY 01 est un album bouleversant sur la mise à nu d’un jeune homme aussi imparfait qu’il est talentueux, dans son environnement en pleine confusion.
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