C’est dans l’appartement de Sébastien Farran, fondateur de Rush Management avec qui Marvin et Killian travaillent, que se déroule cette interview. Les deux artistes, aussi élégants que l’est leur musique, dégagent naturellement de la bienveillance et une poésie délicate. Nous prenons place autour de la table, café en main, leurs voix graves réchauffent la pièce, je lance l’enregistrement vocal et, dans une ambiance paisible, démarre l’entretien.
BACKPACKERZ : Comment toute cette histoire de musique a commencé pour vous ?
Killian : on a un père musicien donc on a toujours écouté du son, il y avait un sutdio à la maison, on y allait de temps en temps. On ne comprenait rien mais il y avait une ambiance qui s’en dégageait et on a vraiment baigné la dedans. Après, on a commencé à faire de la musique chacun de notre côté, on a fait du conservatoire quand même, mais c’était un peu la punition, c’était très scolaire. À ce moment-là, on était à fond dans le sport et pas du tout intéressés par la musique et on y est revenus peut-être 10 ou 15 ans plus tard, à l’adolescence. Moi j‘avais un groupe de rock comme un peu tous les lycéens qui font du son…
Marvin : …Et moi je faisais des prods, m’amusait avec mon ordi !
Du coup, ça fait sens d’avoir maintenant ce mélange aussi bien instrumental que digital.
K : Ouai totalement ! Ça a duré quelques années où on a fait nos armes chacun de notre côté et puis savait qu’on allait finir à un moment par se retrouver.
Toi Killian tu as plutôt commencé par les instruments ?
K : Oui, j’ai commencé par le piano au conservatoire, j’ai fait un peu de batterie aussi.
M: Et moi je faisais de la flûte traversière, parce que dans ce conservatoire il y avait pas mille instruments, je voulais faire de la batterie mais ils ne l’enseignaient pas. Ensuite on a changé de conservatoire et on a tous les deux fait des percussions.
Le chant est donc venu après ?
K : En fait on avait une chanteuse dans le groupe qui est partie et on a commencé à se dire qu’il fallait la remplacer. J’ai donc été obligé de le faire, mais c’était pas du tout un projet au départ. On avait eu deux chanteuses différentes dans le groupe et on s’est rendu compte que c’était pas possible et qu’on allait devoir chanter nous-même. J’ai commencé à écrire puis a posé sur les beats de Marvin. On a travaillé sur plein de registres différents…
M : …On s’est cherché pendant pas mal d’années ! On a fait de l’Electro, des trucs très pop et au final, on est arrivés, après plusieurs expériences, au son qu’on a aujourd’hui.
Justement, sans vous catégoriser, comment vous définiriez le genre de musique que vous faites ?
M : Nos références à la base c’est NERD, Outkast, des groupes qui sont estampillés Hip-hop mais qui ont toujours des sonorités rock, très pop parfois aussi. On dirait que c’est en quelque sorte du hip-hop alternatif comme ces groupes-là.
En tombant sur une playlist que vous aviez faite pour une interview, j’ai vu que la sélection passait de Beethoven à Andre 3000 en passant par Michel Polnareff. Comment, en ayant toutes ces influences-là, on réussit à faire en sorte qu’elles ne se bousculent pas et crée un univers cohérent ?
K : Je pense que c’est parce qu’on les a digérées et qu’on essaye pas de refaire ce qu’ils font ni de les imiter ou de faire en sorte qu’il y ait leur touche dans notre musique. C’est plus des sonorités qui nous ont bercés, qu’on a eu le temps d’assimiler et que maintenant, on interprète à notre manière.
M : Quand on fait notre musique on est justes nous-même, authentiques, et il y a des choses qui ressortent. C’est vraiment le temps d’assimiler les choses, après elles ressortent sans vraiment qu’on les contrôle.
Je suis tombé sur un article qui vous complimentais maladroitement en vous opposant à la tendance, comme si vous étiez totalement opposé à la tendant. J’ai l’impression que dans votre démarche, vous voulez sortir des tendances sans non plus les dénigrer.
M : C‘est ça ! Nous, on fait la musique qu’on aurait envie d’écouter, c’est tout, il n’y a pas de volonté outre mesure de se démarquer. On fait les choses naturellement, après les gens nous disent « ouai, c’est bizarre « , c’est ci » « c’est ça », mais tout sort instinctivement. En revanche pour nous, faire ce qu’on entend à la radio, là ce serait contre nature, et ce serait se lisser pour plaire.
Est-ce que finalement, « bizarre », pour qualifier votre musique, ce ne serait pas un compliment ?
M : Oui et non, parce que j’estime pas vraiment que ce qu’on fasse c’est bizarre. Moi, j’adore écouter des trucs que les gens trouvent bizarres, et quand j’écoute notre musique, j’ai l’impression qu’on est loin de cette catégorie quand même.
Ça peut s’expliquer par le fait que tu comprennes facilement ta musique étant donné que tu la produis, c’est comme ton enfant.
M : Si, il y a peut-être de ça aussi. On fait quand même de la musique accessible, c’est pas non plus de la musique contemporaine ou du free jazz.
K : Oui, même dans la construction, c’est chanté, il y a toujours des couplets et des refrains, on est sur du 4 temps. Mais c’est vrai que comme ça sonne pas forcément comme ce qui passe à la radio, on a tendance à dire que c’est bizarre. En soit on pourrait vraiment faire un projet bizarre pour le coup…
Faites-le !
M : ahah ! Par exemple FKA Twigs, on considère qu’elle fait de la musique beaucoup plus bizarre que nous et qu’elle est bien moins accessible !
K : Que ce soit aussi bien le côté instrumental que vocal, c’est moins clair que nous. C’est comme Björk, dont elle est la descendante très clairement. Quand on écoute Björk, on se demande comment ça a pu être un aussi gros carton international, harmoniquement parlant, rythmiquement parlant, c’est difficile d’accès. C’est pour ça que « bizarre » aujourd’hui c’est pas un compliment, c’est parfois élitiste et ça peut même être prétentieux presque.
Et ça vous plaît de déstabiliser les gens ? Parce que je pense que votre musique déstabilise…
M : Ouais ça nous plaît parce qu’en ce moment les gens consomment de la musique comme ils consommeraient un fast food. Et quand les gens qui t’écoutent sont d’un coup focus sur la musique et que ça les déstabilisent, c’est une victoire pour nous. C’est qu’on fait pas de la musique d’ambiance ou qui s’écoute de manière distante..
K : Voilà, ne surtout pas laisser indifférent, c’est le mot d’ordre. Qu’on aime ou qu’on aime pas, notre idée, c’est de susciter de l’intérêt chez les gens, et ça, c’est le plus important ! On va essayer d’avancer, sans prétention, mais en essayant de proposer quelque chose de différents pour pas que le chemin soit toujours le même.
Je trouve que dans votre musique il y a cette idée d’intemporalité, de vouloir sortir d’une époque ou d’une mouvance.
K : Oui totalement ! Même dans les textes en y regardant bien il y a très peu de références à des marques ou à des périodes, c’est toujours des concepts assez généraux et globaux.
Il y a beaucoup de storytelling, de transmission d’émotions…
K : Tout à fait ! Des trucs qui sont finalement intemporels et qu’on pourra toujours comprendre dans 50 ans sans avoir forcément le même contexte. Mais oui, se sortir du temps, c’est totalement quelque chose qui nous tient à cœur et qu’on a envie de transposer dans notre musique.
On a même l’impression qu’il y a l’envie de créer une réalité alternative.
K : Oui totalement, et ça rejoint l’idée de créer quelque chose qui ne laisse pas indifférent. On essaye d’attraper les gens pour les emmener quelque part et que ce quelque part-là leur appartienne aussi. On n’est pas égoïste on a pas juste envie de les mettre dans notre monde.
K : C‘est une vraie invitation à s’évader, c’est notre objectif premier.
Est-ce que cette réalité dans laquelle vous vous projetez, il y a plutôt un monde dans lequel vous vous épanouiriez ou au contraire, c’est un monde dans lequel vous projetez tous vos démons ?
K : Je crois qu’il y a les deux… C’est une bonne question, j’y avais jamais pensé, mais il y a ce côté un peu onirique de rêve, réconfortant, dans lequel on se sent bien. Et en même temps, on aime bien être un petit miroir de la réalité où tout n’est pas rose et où il y a aussi de la violence.
M : Il y a toujours un fond de réalité dans lequel on joue avec le bien et le mal, l’ombre et la lumière, sans pour autant être manichéen. Parce que dans toute bonne chose il y a du mauvais et inversement.
J’ai trouvé qu’il y avait un jeu entre le vide et le plein en ce sens où vos prods sont très fournies et les mélodies sont plus légères et aériennes.
M : Je pense que c’est de la compensation naturelle ! (rires)
K : C‘est pas prémédité, c’est pour essayer de chopper de l’équilibre aussi, parce que beaucoup plus beaucoup ça fait trop !
Je vous ai découvert sur le morceau avec Dioscures, je voulais savoir comment s’était faite cette connexion et comment vous avez travaillé le morceau, s’il y avait un processus créatif différent ou non.
K : On s’est rencontrés en Belgique lors d’un séminaire organisé par Universal, parce qu’on est édités lui comme nous par Universal. Ils nous avaient envoyés là-bas pendant trois jours en temps que compositeur, comme Dioscures, on avait chacun nos studios et des artistes passaient dans nos studios respectifs. On a pas été amené à bosser avec lui directement du fait qu’il y était aussi en tant que producteur. On a mangé une fois ensemble et on s’est plutôt bien entendu, c’était pile au moment où il était sur son projet d’album. Quand on est rentrés, il nous a écrit pour qu’on essaye de faire un morceau ensemble.
M : Ça s’est fait assez rapidement parce qu’il a tout de suite accroché à ce qu’on lui a proposé. Il était aussi super ouvert pour qu’on travaille la prod ensemble. Il nous a envoyé les pistes par pistes en nous disant vraiment « faites tout ce que vous voulez ». On a ajouté et modifié des éléments, on lui a envoyé, il a adoré et on s’est vu pour tout re bosser ensemble !
Donc il y a pas eu d’injonction de sa part, vous avez été assez libre en fait ?
K : Oui ! C’est marrant parce qu’on a travaillé un peu comme nous, on a l’habitude de travailler. C’est-à-dire que c’était un peu chacun de son côté, chacun va au bout de son idée puis il l’envoie à l’autre qui rajoute sa petite sauce. On fonctionne exactement comme ça avec Marvin. Il commence une prod, il me l’envoie, je fais un truc, on échange et on s’accorde. Il n’y a pas de concessions de faites pour satisfaire tout le monde, mais plutôt il mélange de toutes les idées.
J’avais aussi une question simple à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse: pourquoi ce nom « Dame Divile »?
M : En fait c’est la personnification de la civilisation. En fait, on voulait un nom un peu balaise genre à la Justice un truc comme ça, du coup, on avait pensé à Civilisation, mais il y avait un truc qui nous gênait….
K : …On ne trouvait pas ça très joli à l’oreille en plus.
Jusqu’ici vous n’avez fait que des EP, est-ce que vous avez une accroche particulière à ce morceau ou est-ce que vous n’êtes simplement pas encore dans la démarche de faire un album ?
M : Nous on est vraiment attachés au format album, pour nous le premier album c’est quelque chose de vraiment important ! Du coup, c’est pas qu’on ne se sentait pas prêts mais on avait besoin d’entrainement un peu. Et puis surtout, quand tu sors un album, l’industrie te regarde, elle scrute tes chiffres pour voir si tu fonctionnes ou pas. Du coup, si tu n’as pas assez de gens qui te suivent et qui écoutent ta musique, tu fais un flop. C’est pas du tout la même pression. Tu peux faire le meilleur album du monde, si les chiffres ne suivent pas, tu seras mis de côté.
K : Au delà du côté business ou structurel, faire des EP ça nous permet d’être indépendants, on se crée une équipe qui commence maintenant à être vraiment solide. Tout ça mine de rien, ça prend du temps !
Ce n’est pas un impératif, mais c’est un objectif quand même ?
K : Clairement c’est un objectif oui !
J’avais une question sur vos covers. Il y a toujours eu un déséquilibre dans la composition, avec l’un qui est plus présent que l’autre, c’est symbolique ou simplement esthétique ? D’ailleurs sur Nouvel Âge, c’est la première fois que vous apparaissez équitablement !
M : Il apparaît comme même un peu plus que moi sur la cover ahah ! Mais c’est vrai qu’il y a toujours eu un déséquilibre !
K : C‘est esthétique bien sûr mais il y a quand même ce truc venu du tout premier EP 0 où on voulait être un peu illisible. C’est assez sombre, en noir et blanc, on voit juste un bout du visage de Marvin et mon bras qui dépasse, on voulait créer du questionnement. Au fur et à mesure, aussi bien dans notre musique que nos covers, on essaye d’être de plus en plus lisibles.
J’ai vu que vous avez fait adorée entièrement dans votre home studio, est-ce que c’est également le cas pour Nouvel Âge ?
M : Oui tout se fait chez nous. On aime bien garder l’énergie entre nous pour en garder le maximum, par exemple quand on compose on fait rarement écouter. Nos managers, ils écoutent vraiment les morceaux au dernier moment. On est un peu les Daft Punk ou Justice à ce niveau là, on aime bien un peu garder le secret et pas trop en dévoiler. Quand tu fais écouter à quelqu’un, ça peut déséquilibrer ton ressenti et tu ne vas pas forcément aller au bout de ton idée parce que t’en auras été dévié par une personne.
K : Oui jusqu’à présent on a vraiment fait tous les EP à la maison !
On sent qu’il y a vraiment dans votre musique ce côté chambre, intimiste, qui s’en dégage.
M : C‘est exactement ça, c’est comme un enfant qui est tout seul dans sa chambre et qui joue avec ses jouets. Il se crée ses histoires, c’est instinctif, dès qu’il a un pote qui vient déjà, c’est différent. Il doit forcément faire avec l’imagination de l’autre et il peut forcément aller beaucoup moins loin.
Un grand merci à Charly d’avoir organisé cette rencontre.
Merci également à Killian et Marvin pour leur amabilité et leur joie de vivre en dépit de l’heure très matinale.
Les superbes photos de l’article ont été faite par la talentueuse Inès que je remercie tendrement.
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