En remportant la finale, et les 250 000 dollars réservés au vainqueur, D Smoke s’est offert avec le programme Rhythm + Flow de Netflix un coup de pouce et un coup de projecteur inespéré. Tout au long de ce concours, le jury principal composé de T.I., Chance the Rapper et Cardi B, n’a cessé de louer les qualités de cet artiste aux multiples talents. Entouré de jeunes loups pendant toute la compétition, le rappeur d’Inglewood âgé de 34 ans a survolé les débats avec une dernière prestation tout simplement dantesque.
Avec « Last Supper », nom donné à son ultime performance dans le show, Daniel Farris nous a exposé les contours de ce qui allait être le leitmotiv de son album incarné par cette ritournelle « Eat. Smoke. Take your time. It’s a long dinner ».
Du haut de ses 34 ans, D Smoke n’est pas un néophyte dans le milieu. Il a même déjà à son actif un projet sorti en 2006 et intitulé Producer of the Year, difficilement trouvable aujourd’hui, il faut bien l’avouer. Entre ce premier essai et ce nouvel album, le rappeur d’Inglewood s’est construit sereinement dans un entourage familial qui a toujours baigné dans la musique. Parolier pour d’autres artistes, c’est au sein du groupe The Woodworks (aux côtés de ses deux frères, SiR et Davion Farris, et de sa cousine Tiffany Gouché) que D Smoke entrevoit une carrière artistique.
Du Gospel au Hip Hop, du piano au chant en passant bien évidemment par le rap, la palette musicale de Smoke est vraiment large. Rien d’étonnant pour un professeur de musique enthousiaste qui adore transmettre à ses élèves sa passion. Ajouté à cela, une maitrise parfaite de l’espagnol qu’il enseigne aussi à des collégiens, et vous obtenez un produit purement authentique de la Cité des Anges. L’année dernière, son EP 7 titres Inglewood High nous a déjà offert un joli aperçu de ce que l’on pouvait attendre de son tant attendu long format, que je vais me faire un plaisir de vous présenter.
C’est par un rituel matinal que s’ouvre ce projet avec l’introduction « Morning Prayer ». Un souvenir d’enfance des frères Farris dans lequel leur mère leur dictait ses dernières recommandations avant de les envoyer à l’école. Un cérémonial qui fait écho au premier morceau de ce projet avec ce conseil : « And if somebody puts they hands on you, what do you do ? Make ’em wish they didn’t ». En effet, le titre « Bullies » commence comme un simple règlement de compte pour glisser ensuite vers une critique plus directe de la violence systémique aux USA : « You think we violent, you got it, this country made us ».
Une performance qui dans son interprétation, à travers ses intonations et sa façon de construire ce titre, me pousse logiquement à aborder cette ressemblance troublante avec un certain Kendrick Lamar. Un style qui s’en rapproche par moment mais jamais sous forme d’imitation voulue et flagrante. Une comparaison qu’avait fait Cardi B lors du show Rhythm + Flow en lâchant un « Hello Kendrick Lamar. We have a friend for you » avec la spontanéité qui la caractérise.
A la suite de ce très convainquant « Bullies » nous retrouvons le premier single de cet album avec « No Commas ». Une ambiance très punchy dans laquelle D Smoke n’hésite pas à mettre en avant sa maîtrise des deux langues officielles de Los Angeles. Un bilinguisme au service des morceaux de ce projet sans jamais trop en faire. Les changements de l’anglais vers l’espagnol, et vice versa, arrivent toujours à des moments opportuns. Ils apportent de véritables respirations aux différents titres, à l’image d’un « Gaspar Yanga » par exemple où dans le deuxième couplet Smoke switche avec aisance entre les deux langues.
Le dernier titre cité, avec au refrain Snoop Dogg, laisse place ensuite à un univers beaucoup plus posé où viennent se mélanger ses influences jazzy et soul. Un terrain propice à un discours spirituel, véritable ADN de D Smoke qui a fait ses premiers pas dans la musique aux côtés de ses parents dans la chorale gospel de son quartier. Ne boudons donc pas notre plaisir à l’écoute des délicats « Top of the Morning » et « Season Pass » ou des prenants « Sunkissed Child » (avec Jill Scott et Iguocho) et « Fallin’ ». Chacun de ces titres nous permet d’en apprendre un peu plus sur son auteur qui parsème habillement, ici et là, des bouts de sa vie.
Life ain’t a panda, shit ain’t black and white, it’s a canvas.
Avec le morceau « Black Habits I », Smoke tient là l’un de ses titres références. L’énergie de ce titre m’a tout de suite fait penser à un certain « Bitch Don’t Kill My Vibe » dont il emprunte certains codes pour un effet des plus efficace. La prestation est réellement captivante et sera conclue en fin d’album par la seconde partie « Black Habits II » dans un tout autre style.
Pour comprendre l’importance de la famille pour D Smoke, il suffit de jeter un œil à la pochette de ce projet. Il a choisi une photo d’enfance sur laquelle on le retrouve aux côtés de ses parents et de ses deux frères. Quatre personnes centrales dans sa vie qui participent aussi à cet album que ce soit de façon directe ou indirecte. Tout d’abord, sa mère dans le morceau d’introduction « Morning Prayer », puis son père dans le touchant « Like My Daddy ». Sur ce dernier titre, Smoke revient sur sa relation avec son paternel et notamment la période où ils ont dû se débrouiller seul quand il était en prison. Un hommage ponctué par cette prise de parole de son père : « I did also feel I had a unrepayable debt to my wife for holdin’ on. For not replacing me, not lettin’ my sons call another man daddy ».
En ce qui concerne ses deux petits frères, on croise Davion sur le titre « Fly » dans lequel ils savourent ensemble leurs réussites respectives et se remémorent tout le chemin parcouru. Ensuite, c’est au tour de SiR de marquer cet opus avec deux collaborations. Le chanteur signé sur Top Dawg Entertainment apparaît une première fois sur le refrain du très bon « Lights On » puis revient bénir de ses vocalises le voluptueux et spiritueux « Closer to God ». Une sorte de messe gospel où la marijuana leur permet ponctuellement de se rapprocher un petit peu plus près de Dieu. Un titre captivant où l’ajout d’orgue nous invite à une véritable élévation spirituelle.
I don’t know why I get high. Maybe I’m tryna get closer to God.
Pour finir la revue d’effectif de cette tracklist, quelques mots sur la balade sensuelle « Real Body » en compagnie de Ari Lennox, la voix féminine du label Dreamville de J. Cole. Une collaboration qui respire l’évidence et qui nous offre un moment gracieux suspendu dans le temps : « Every scar, every line on your hips is only hieroglyphs ». Sur « Free », D Smoke nous expose trois situations où le sentiment de liberté est remis en question. Un déroulé dramatique mais pourtant plein d’espoir pour ce morceau à la construction impeccable qui vient s’ajouter à la longue liste des bons moments de cet opus.
Au moment de faire le bilan de ce projet, je n’ai peut-être finalement qu’un petit regret. Je n’aurai pas dit non à deux ou trois morceaux un peu plus dynamiques comme ceux aperçu en début de tracklist pour couper un peu la monotonie de certaines productions. Mais au final, il était probablement un peu trop risqué de s’écarter pour le moment d’une certaine zone de confort où l’on le découvre tout juste et où il excelle. Mis à part cela, on ne peut que constater l’évidence avec un projet très mature à l’image de son auteur avec une direction artistique qui ne laisse pas de place à l’improvisation.
En conclusion, avec cet album Smoke ne passe pas à côté de son rendez-vous et réussira à convaincre ceux qui ont suivi avec intérêt son aventure dans Rhythm + Flow. Sa présence au micro et son engagement font de cette sortie une vraie réussite et c’est tout sauf un hasard. Il aura attendu patiemment son heure pour saisir au bon moment l’opportunité qui lui a été tendue. Fidèle à son slogan bilingue Supa Good Super Bueno, D Smoke ouvre cette nouvelle décennie avec un album qui en appelle d’autres et qu’on espère tous aussi bon.
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