Comment tu te sens ?
Ça va, tout va bien. On est dans un milieu que je connais bien en plus. Je suis actuellement dans la phase où j’ai sorti, mon bébé et je dois m’en occuper !
Le premier titre du projet s’appelle “Résurrection”, c’est un morceau dans lequel tu abordes le sujet des violences familiales. Si ce n’est pas trop indiscret, quel a été le processus pour l’écriture de ce titre ?
Comme on voulait faire un 90 ppm avec mon producteur, il m’a envoyé une boucle. Psychologiquement, je sortais de ce truc de victime des violences. Je rentrais doucement, dans toute la paperasse des plaintes mais je n’en étais pas encore consciente. Dans mon état d’esprit, j’avais déjà pris la bonne décision et je commençais à aller un peu mieux, mais j’avais encore la rage. Du coup, j’ai reçus la boucle dans ce contexte un peu nostalgique et les émotions sont venues.
Dans le son “Demain n’existe plus” de Dinos il dit “Elle m’dit “je t’aime”, j’lui dis qu’ça passera”. C’est un truc que ma mère me disait et j’avais le démon qui l’a utilisé cette phrase. Mais pensé à toutes ces petites phrases que ma mère me dit, qui sont des punchlines incroyables : “Si tu as mal, c’est que tu vis encore”. Quand j’avais mal à la tête, elle me disait “c’est que tu vis encore”. C’est comme ça que s’est écrit ce morceau.
C’est un titre que tu as écrit en premier dans la conception du projet ?
J’ai des titres qui sont super vieux et des titres qui le sont beaucoup moins. Et je trouve que ça s’entend. Quand tu connais ma façon d’écrire, ça s’entend de ouf. “Résurrection” fait partie de ceux de la première génération. C’est là où j’étais encore un peu dans ce bad mood. Je suis encore dans le truc de ressasser un peu tout ce qui m’est arrivé.
Tu as toujours utilisé ta musique pour porter des valeurs et parler de sujets comme celui-ci. Mais sur ce projet-là, j’ai l’impression que tu as passé un step supérieur dans l’introspection.
Je vois ce que tu veux dire. Oui, c’est possible mais ce n’était pas conscient. Je pense que le premier EP m’a permis d’assumer encore plus, de me montrer. Au-delà de ça, et encore une fois inconsciemment, parce que c’est pas du tout quelque chose que j’ai conscientisé. C’est plus mon mindset. Je me dis “plus tu parles de toi et de ce que tu as vraiment vécu, plus t’es dans le vrai”. Je n’aime pas trop parler de choses que je n’ai pas vécues. Parce que les émotions sont fakes, tu vois. Si tu te bases, quand tu crées, sur quelque chose que tu as vécu, c’est plus facile d’être dans le vrai. Et c’est plus facile de faire en sorte que les gens se sentent moins seuls. Parce que, justement, vu que tu crées dans le vrai, automatiquement, je ne suis pas la seule à vivre ces émotions-là. Même si, ce pourquoi je vis ces émotions-là ne sont pas les mêmes que d’autres, ça permet de s’imaginer son histoire.
De s’identifier ?
Exactement !
Avec ce que tu viens de me dire, j’ai l’impression que ce projet a été un moyen de passer à autre chose.
Dans cette période compliquée, j’ai eu deux moods. Il y a ce truc très autodestructeur qui correspond vraiment au premier EP. Même “Résurrection” en fait partie. Il y a des phases très autodestructrices dedans. J’étais encore dans ce stade de victime.
Le deuxième EP, c’est plus une revanche; ou plutôt de la résilience et une prise de recul sur la situation. Comme une sorte d’acceptation et une envie de se dire “allez, on va en avant”. On fait avec, on prend ses bagages et on prend eux aussi avec.
Le deuxième titre, c’est “James Bond”. Tu t’identifies un peu à ce personnage ?
Pas du tout !
Alors je l’ai super mal interprété !
C’est plus dans l’idée que James Bond est une figure. Il a une certaine image de victoire au-delà du véridique : il réussit toutes ses missions. C’était plus à cela que je m’identifiais. Mais en règle générale, moi, je ne m’identifie pas spécialement à ce personnage, c’est plus dans ce qu’il incarne.
Est-ce que ça t’arrive de douter ?
Absolument. Je vis avec le doute, je marche avec le doute et je crée avec le doute. C’est quelque chose de constant.
Est-ce que dans un sens, ça nourrit ton travail ?
Parfois, oui. Parfois, c’est le contraire et ça me dessert. Par exemple, sur un morceau comme “Les Voix”, ça le nourrit. Dans mon envie de faire mieux, ça le nourrit. Mais après, je ne vais pas apprécier mes victoires parce que je vais trouver qu’elles sont des demi-victoires.
Le troisième titre, c’est “Devant ta porte”. C’est le deuxième titre qui est clippé. Ce sont les mêmes réalisateurs que sur Résurrection. Comment s’est fait le travail avec cette équipe-là ?
Assez facilement en fait ! Le premier clip s’est super bien passé. Ils m’ont proposé quelque chose qui m’a grave plu. Un des réalisateurs est devenu mon pote, entre-temps. Du coup, la communication est assez simple. Les changements sont vifs. Je leur fais assez confiance. De toute façon, la plupart du temps, je n’ai pas de mal à savoir déléguer pour les domaines dans lesquels je n’ai pas de connaissance. Sur ce clip, je me suis grave fait kiffer parce qu’il y avait de l’acting. Je me suis découvert une passion acting.
Dans ce titre, et plus globalement dans ce projet, tu parles de la famille. Et celle qui semble plus importante, c’est celle que tu t’es construite. J’aimerais faire le parallèle avec ton équipe artistique. On vient de parler des réalisateurs de tes clips avec qui le feeling est bien passé. C’est important pour toi de bosser avec des gens de confiance ?
Ah ouais. Mais même mes feat, c’est pour ça qu’il n’y en a pas. Tu sais, c’est hyper intime. Je n’aime pas l’idée de travailler avec des gens où le feeling n’est pas là. Ça rend le truc très business et je n’ai jamais vu la musique comme du business. Du coup, s’il n’y a pas de feeling, je ne me vois pas m’ouvrir. Et si je ne m’ouvre pas, je ne vois pas l’intérêt d’écrire. Avoir que des gens auxquels je tiens autour de moi, c’est un truc qui me tient à cœur.
Tu parles du pardon et de la tolérance, que tu accordes ou non. Est-ce que c’est un processus difficile pour toi ?
Je ne suis pas fière de moi mais je suis assez rancunière. Plus le temps passe, plus je me rends compte à quel point je le suis… Au-delà d’être rancunière, je suis intransigeante avec moi-même autant qu’avec les autres. Le pardon est difficile pour moi parce que je considère que ce qui a été fait une fois peut être fait une deuxième fois. Et cela, surtout si tu pardonnes. Il y a toujours une espèce de rage, de goût amer dans la gorge.
Le quatrième titre du projet, c’est “Hier”. Sur ce morceau, tu fais la comparaison entre ta vie artistique et personnelle. Si je comprends bien, ça a été opposé durant un moment.
Oui ça s’est mélangé ensemble. J’ai fait des interviews l’après-midi et je suis allée travailler le soir avec du make-up de Canal. J’ai fait des journées au taf, avant d’ aller au stud’. Ou le contraire, aller au stud’ et ensuite aller au taf. Jusqu’à il n’y a pas longtemps, j’ai arrêté le taf il y a deux semaines !
Et comment tu arrives à gérer la musique ?
Je regarde des jeux vidéo, je joue aux jeux vidéo et je fais de la musique ! [rire] Ma musique plaît et je suis contente. Mais je n’ai pas les signes chiants d’une ascension. Je vais avoir des gens qui sont hyper cool. Franchement, j’ai une communauté assez safe place, où ils sont super mignons, super à l’écoute. Donc, ce n’est pas compliqué à gérer. Le seul truc que j’ai du mal à gérer dans tout ce truc-là, c’est l’image. Les réseaux, ce n’est pas mon truc. Devoir être absolument parfaite à tout moment, ce n’est pas mon truc.
J’ai eu l’occasion de te voir en concert sur la première partie de Bekar. L’exercice des premières parties est assez difficile dans le sens où ce n’est pas forcément ton public.
J’aime bien parce que je ne suis pas encore assez connue pour faire mes propres scènes. Je suis contente de voir des gens qui me DM à la fin, ceux qui m’ont découvert, ça me fait kiffer. Et, on m’a mis dedans en direct : mes premières scènes, c’étaient les premières parties de gros artistes. Du coup, j’ai tout de suite été mise dans ce truc de « il faut être à la hauteur ».
Tu as travaillé avec quel producteur sur ce projet ?
Principalement avec Mounir Maarouf qui est mon producteur. C’est devenu mon frère de ouf. Et sinon, il y a d’autres beatmakers qui se sont implantés dans le projet. Comme Blaise Keys, Guillaume Ferran, Ozes et Ateph Elidja. Ils sont trop forts !
Comment se passe le travail avec eux ?
La plupart du temps, j’écris et après, autour du texte, on fait la prod. À part pour “Les voix”, il y a très peu de titres pour lesquels on a changé la prod.
“Olala” est le seul feat du projet. C’est d’ailleurs ton premier feat tout court !
Tey, c’est mon pote, c’est mon backeur et c’est aussi un rappeur. On s’était amusés à faire un son, moi je suis très fan de passe-passe. Et dans l’idée, si je peux faire que les feats en passe-passe, je serais trop contente.
Bref, on s’est dit “viens, on s’exerce, on fait un passe-passe, on parle de quoi ? Ah tiens, imagine, on est riches et célèbres, allez vas-y.” Et on a écrit ensemble. On a kiffé, du coup on a décidé de le continuer et on l’a mis sur le projet.
Aujourd’hui, tu te vois feater avec quelqu’un d’autre ?
Franchement, non. Je suis hyper pudique avec les feats. Je ne me vois pas me mettre à nu devant quelqu’un qui n’a pas la même façon de penser que moi, tu vois. C’est compliqué d’avoir des sons qui parlent des violences faites sur les femmes, si le mec en face est un gros macho, tu vois ?
Le morceau “Les voix” est opposé à “James Bond”. Ces deux morceaux illustrent parfaitement, ce qui ressort du projet : un équilibre entre quelque chose de très positif et joyeux et quelque chose d’un peu destructeur et noir. Est-ce quelque chose que tu as travaillé ?
C’est plus le prolongement de moi-même. Un des trucs qui me tient hyper à cœur dans la musique, c’est justement ce truc de vérité et de sincérité. Donc je pioche énormément en moi pour écrire. C’est pour cela que c’est un prolongement de moi : je suis aussi douce que je peux être violente, je suis aussi gentille que je peux être méchante. Je suis comme ça, très contrastée. Je pense que c’est pour cette raison que ça se ressent dans ma musique. Le seul truc qui a pu être calculé est le choix de la tracklist. Je voulais justement qu’il y ait ce truc de vague émotionnelle. Je voyais ça comme une phase de crise d’angoisse.
Sur le morceau « Elle danse », il y a des notes de piano au début, c’est à ce moment-là que je me suis rendue compte qu’il y avait cet instrument un peu partout sur le projet.
On trouve que ça va bien avec ma voix, ces notes de piano-là. Ça colle bien avec ce que je dis, ça focus bien sur les paroles. Le piano et la guitare, ce sont les deux instruments qui sont assez récurrents dans mes projets.
Ce morceau est contrasté avec son titre. Ça m’a fait penser au titre de Nekfeu “Elle en avait envie”. Ce sont des titres où tu te dis “ça va être joyeux” quand tu les lis et tu te prends une baffe d’émotion.
C’est vrai ! Il y a cette espèce d’oxymore entre le mot et ce que je suis en train d’écrire. C’est ce que je voulais quand je l’ai écrit. J’aime trop les oxymores. Je suis très contrastée, comme je l’ai dit tout à l’heure. Ça permet d’adoucir le propos et en même temps ça le rend encore plus dur. Ça le contraste encore plus.
Lorsqu’on t’écoute, on ressent que ta musique est un exutoire et une thérapie.
Absolument. Il y a des sons qui m’ont permis de me remettre en question. Des morceaux comme “Devant ta porte”, m’ont permis de ne pas m’énerver. Enfin, de m’énerver mais d’une autre façon. Quand je n’ai rien à dire, ça correspond au fait que je n’ai rien de ouf qui me soit arrivé.
Ce n’est pas compliqué de défendre ce projet qui est né d’une période compliquée ?
Ça fait bizarre. Il y a du positif et du négatif. C’est positif dans le sens où, en vrai, ça marque une époque et je suis grave contente de me dire que j’en suis sortie. Et d’un autre côté, j’ai l’impression de mentir parce que j’ai l’impression de parler d’une autre personne, vu que ce n’est plus moi maintenant. Ça me fait bizarre de parler de détresse alors que je ne suis plus dedans.
Ce n’est pas trop angoissant l’idée d’être dépendant des émotions que tu reçois pour produire quelque chose ?
Si. Mais en règle générale, j’angoisse et je doute. Donc… Je me dis que la case “doute” est remplie. Il n’y a rien d’autre qui va aller dessus. S’il n’y avait pas ça, il y aurait eu autre chose. Mais j’ai toujours travaillé dans la douleur. Donc, ce n’est plus quelque chose qui me fait peur. Je suis tellement habituée à ce chaos-là que s’il n’était pas là, je paniquerais.
Récemment, j’ai écrit un titre où je suis assez contente de moi car je parle de ce que j’ai pu vivre il y a 6 ans. Ce n’est pas une question d’émotions mais plus de mood. Parfois, j’ai envie d’écrire, mais j’ai zéro mood. Du coup, il n’y a rien qui va en ressortir.
Les deux derniers titres sont aussi contrastés avec un morceau où on navigue entre espoir et solitude. Qui nous laisse sur notre fin, on termine le projet en mode « ok, ça va être quoi après ? ».
J’étais dans ce truc-là quand j’ai écrit ce projet, entre deux. C’était le but. Mes premiers projets, je savais comment je les voyais avant qu’ils n’existent. Je savais que j’avais déjà des titres en tête. C’est quelque chose que je pense depuis un petit moment. C’est normal qu’il y ait l’attente d’une suite !
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Merci à Skia pour ses réponses.
Merci à Léane pour avoir organisé cette interview.
Merci à La Place qui nous a chaleureusement accueillis pour cette interview.
Merci à Soazig pour ses beaux clichés.
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