Deux années ont passé depuis son précédent projet, Cherry Bomb. En cette fin juillet, Tyler The Creator dépose Flower Boy, son cinquième projet studio solo et met en vase un bouquet d’introspection, de lyrisme et d’ambiguïtés musicales et lyricales. Un joli coup.
Si la tension, les frustrations, les actes manqués ou tout autre artefact relevant de la psychologie du manque et du rejet reçoivent une acceptation exceptionnelle -voire providentielle- dans l’explication de l’inspiration artistique, alors Tyler, The Creator se place en parangon des artistes contemporains. Sans juger (il est trop tôt!!!) de la qualité puis de la portée du dernier projet qu’il vient de commettre, tout observateur de son oeuvre conviendra qu’il présente ses projets comme des exutoires. La forme peut varier (s’étendant du champ musical au design en passant par la vidéo) mais la recherche est toujours la même : user de tous les moyens pour libérer sa parole et apaiser ses frustrations. Assurément, Flower Boy n’échappe pas à la règle. Sauf que cette fois, c’est plus une balade dans un monde quasi-halluciné oscillant entre réalité et onirisme auquel nous convie le fondateur de feu Odd Future où clairement, il se libère d’une tension. Mais en douceur.
Tyler, The Creator – « Garden Shed » feat. Estelle
A force d’écoute de ce projet, la tension qui anime son concepteur tient toujours une place prépondérante. Elle admet juste plusieurs déclinaisons. Tension entre le rêve et la réalité, tension au sujet de sa sexualité sur laquelle il aime à jeter un voile d’ambiguïté (notamment dans « Garden Shed »), tension enfin entre les morceaux aux délicats accents funk et soul (« Boredom », « See You Again » ou « Enjoy Right Now, Today ») et ceux qui trahissent que la « Bête » n’est pas complètement repue (« Who Dat Boy » ou « I Ain’t Got Time »). Les beats y sont plus tranchants, plus inquiétants et laissent place à une diction rappée kickée, jouant de sa voix profonde.
Pour le contenu maintenant, que révèle t’il? D’abord un album très introspectif, qui rompt réellement avec Cherry Bomb dont les lyrics et les prods laissaient encore percer un peu d’amertume et une envie de gueuler. Sans réfuter les thèmes chers à son inspiration, Tyler, The Creator expose surtout un bien-être dans sa vie et dans ses succès. Il décrit aussi dans l’élégant « Boredom » combien l’ennui est nécessaire et peut s’avérer être un joli moteur pour développer ses projets personnels et surtout une source d’inspiration.
Tyler, The Creator – « Boredom » feat. Corinne Bailey Rae
Ce titre souligne aussi un élément intéressant : bien que le lyriciste évolue dans une ambiance musicale plus apaisée que sur ses opus précédents, il n’en délaisse pas moins les maux qui ont fait son adolescence. A tel point qu’on a encore parfois l’impression d’entendre l’adolescent nous conter ses prisons intérieures. Faisant de l’instrumentation un quasi-trompe l’oeil en mettant en opposition des lyrics oppressants avec une mélodie légère mais mélancolique.
Bored and getting desperate as hell
Cellular not amusing and I hope someone will
Message me with some plans that are amusing as well
Cause I haven’t seen the exit of these walls since before this morning« Boredom »
Autre point remarquable de ce projet est le nombre limité et le choix calibré des invités. Peu de nouveaux initiés, mais alors que Cherry Bomb multipliait les featurings de renommée, Tyler, The Creator accueille sur Flower Boy des invités triés sur le volet aux interventions parfaitement calibrées. Entre le groove de Roy Ayers, Frank Ocean, Kali Uchis, Estelle ou Steve Lacy et les contributions rappées de Lil Wayne ou A$AP Rocky, chacun prend sa place et tient son rang offrant à l’opus de cet éternel adolescent une homogénéité et un relief qui tendent à le sublimer.
Tyler, The Creator – « Who Dat Boy » feat. A$AP Rocky
Au final, Tyler, The Creator réalise un nouveau contre-pied. Non pas qu’il n’y soit pas habitué (rappelons la déception de ses fans de la première heure après la release de Cherry Bomb) mais parce qu’avec un artiste aussi explosif, turbulent et ouvertement névrosé, on ne pouvait s’attendre à un album aussi apaisé. Gommées les imperfections volontaires ou subies de ses enregistrements précédents, Flower Boy (dont le titre a d’ailleurs été édulcoré) présente des arrangements et un mastering très propres qui soulignent aussi la volonté de l’artiste de présenter un opus épuré où l’auditeur peut se concentrer davantage sur la fluidité des sentiments qui animent son auteur.
Malgré tant de louanges, convenons que le projet n’est pas parfait, qu’il aurait pu receler de titres plus accrocheurs, où Tyler, The Creator aurait davantage vomi ses tripes au mic, où l’ensemble de l’opus pourrait proposer davantage de reliefs et d’indignation sur le monde qui l’entoure comme le rap l’a si souvent permis. Il aurait pu… C’est son oeuvre, il l’a conçu ainsi, et a certainement rendu la meilleure copie de sa carrière. Enterrant un peu ses délires post-adolescents et révélant plus de sérénité. Un joli coup, on vous le disait.
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