Actualité chargée pour Michael Willingham Jr., aka. yU, le plus engagé des rappeurs de la scène US underground actuelle. Après la sortie en octobre dernier de March on Washington, le nouvel opus de Diamond District où le emcee de Washington DC opère aux côtés d’Oddisee et de Uptown XO, c’est au tour de l’album People of Today sous la bannière de The 1978ers (et toujours représenté par Mello Music Group) de faire des débuts fracassants puisque, selon le Washington City Paper, « the album represents everything a rap record should be: a magnum opus of carefully crafted narratives relating to real people ».
Des années de collaboration entre le rappeur – et notamment sur ses deux albums solo, le superbe Before Taxes (2010) et The Earn (2011) – et le producteur Slimkat ont amené les deux compères à former le groupe The 1978ers, en référence à leur année commune de naissance. People of Today est d’abord le résultat d’une parfaite alchimie entre deux artistes qui se connaissent parfaitement, se respectent et prennent du plaisir à travailler ensemble. Partition en duo, l’album collaboratif de yU et de Slimkat est une oeuvre solidaire. Exploration de l’identité noire dans une Amérique des années 2010 qui a, par deux fois, porté au pouvoir le premier président noir de son histoire, People of Today s’inscrit dans l’héritage des grands textes conscients qui ont forgé le Hip-Hop en tant qu’art subversif et contre-culture.
THE 1978ERS, PRÊCHEURS DE BONNE MUSIQUE
Artisans d’un album dont les préceptes sont ceux de la Zulu Nation, mouvement lui- même inspiré de la pensée hippie des années 70, (« Peace, love, unity and having fun »), yU et Slimkat s’imposent comme des musiciens hors-pair, inscrivant leurs pas dans ceux de la grande musique noire. Librement inspirés du jazz, du gospel, du blues mais aussi de la musique africaine, People of Today décline un registre acoustique de toute beauté : cuivres et notamment trombone, percussions et tout particulièrement djembé, xylophone et kalimba, piano et orgue, batteries bien sûr. L’approche de yU et de Slimkat n’est pas sans rappeler les innovations et l’ambition instrumentales de The Roots (réécoutez Phrenology, 2003): une musique jouée en studio, un « échantillonnage live ».
La puissance de cet album réside avant tout dans la beauté et la richesse de ses compositions instrumentales. Surgit de la première écoute de People of Today une chaleur qui nous entoure du premier au dernier titre. Chaleur cuivrée : souplesse des percussions, rondeur des guitares, timbre un tantinet grincheux, un tantinet enjôleur de yU. De la pure soul music. yU et Slimkat trace une ligne musicale empreinte d’amour et de désespérance. Tout au long des 18 titres de l’album (dont 3 interludes), notre balance émotionnelle est ballotée au gré des humeurs du duo.
Tantôt nous sommes plongés à l’église baptiste un dimanche de prêche: véritable coup de génie que Sacreligious, morceau aux teintes d’orgues gospel et cahotée par des boucles fébriles de piano bluesy, et qui brosse le portrait d’un homme d’église déviant de sa foi.
Tantôt nous sommes entraînés dans un club de jazz où résonne piano et cuivres avec cette superbe balade sur les désillusions de la vie qu’est Without A Clue :
Life is wild, we’re like a child /
Acting like we know, when we don’t /
So I write this down, cuz I have found /
My destination, not even close…
Tantôt nous sommes projetés dans une street life funky aux échos de guitare électrique et à la ligne de basse voluptueuse (P.OT. Act II) :
Interludes rageurs à la veine rock (R.P. Lude, Gentlest Ones), rap de pure tradition 90’s au beat entraînant (U Know How It Iz, Give It Up) ou pure douceurs (Develop, FAR), ce premier opus des 1978ers exprime toutes les gammes de l’émotion musicale, mais dévoile aussi toutes les facettes d’un emcee et d’un producteur au grand talent qui font du rap un art de haute volée.
People of Today est en effet l’aboutissement d’une démarche en binôme. The 1978ers est plus qu’un groupe, c’est une identité d’artistes qui a été créée. Une identité complémentaire, homogène et autonome. Et autant yU que Slimkat tiennent à le faire savoir. Le deuxième titre de l’album, One-Nine 7 T 8, est un texte d’introduction entièrement dédié au duo :
(refrain)
As long as I respect yo shit and you respect mine /
Given, we can make a living when the rhythm is right /
Slim and yU – two brovas born in 1-9 seventy-8.
(2ème couplet)
And it goes like this, me and my man… 100 Grand /
I’m on the mic while Slim’ll be tapping on them pads /
And we do gets down /
U best believe /
This is my team. Greed is supreme but we don’t that intervene so whut up, me and my brova /
From anova motha.
L’unité entre les deux musiciens et le profond respect qu’ils se portent mutuellement sont martelés tout au long de l’album et jusque dans certaines parties parlées – enregistrement samplé dans Pre-Develop (Where Are We Growing) : « my brother who I respect extremely well, not just musically but on a spiritual level as well, man. This is a brother who I had the pleasure working with…). Cette cohésion rend très lisible le travail effectué par les deux musiciens : People of Today est une déclaration d’amour commune à ce qui fait leur musique.
DE LA BONNE MUSIQUE AU MESSAGE POSITIF : ENTRE DENONCIATION ET NOSTALGIE
Construit en trois volets, (une intro, un rappel des valeurs essentielles, un état des lieux), People of Today explore sous forme de tableaux sans concessions les conditions de vie de la communauté noire dans l’Amérique d’aujourd’hui : racisme, pauvreté, violence, débrouillardise, « mean street life »… Le résultat est loin d’être lisse, c’est vécu et c’est raconté en prenant soin de ne pas gommer les aspérités. Le flow de yU accroche, râle, s’exaspère, dénonce noir sur blanc :
People now don’t smile, they shoot hopes down /
Communities be like ghost towns /
With phones out, zoned out; desensitized, no feeling /
Little boys lack tact when they speak to grown women.
Les transitions entre chaque track et chaque ambiance sont impeccables, parfaitement maîtrisées. Et puis elle sont vivantes, chantantes, parlantes. D’ailleurs on ne peut s’y tromper : People of Today s’ouvre sur une cascade de voix (hommes, femmes, enfants) et une présentation vocale de yU où vient se fondre un subtile beat de djembé et des notes pures de xylophone. Magique.
C’est bien la bonne parole et le spread the word! qui sont les bases de cet album si réussi. yU annonce la couleur dès le deuxième acte :
We make songs just like bases loaded /
Arms folded /
Holding our composure /
Because we’re supposed to bring cultures closer.
Marqué au sceau de la positive attitude, People of Today est un album qui nous rappelle au bon vieux temps, celui des racines du hip-hop, à l’époque où l’on prônait respect de soi et des autres et où on luttait encore pour des valeurs universelles, pour une conception humaniste de la vie et de ses choix. Malgré des textes ultra-réalistes et beaucoup plus sombres en fin d’album, yU n’a pas perdu la foi :
Far reaching, always seeking for that uniqueness /
They make it seem like hope’s lost /
I don’t believe ‘em.
Chroniqueurs de leur époque, The 1978ers font preuve d’un incroyable talent à réactiver un passé dont ils sont nostalgiques, mais sans jamais tomber dans le passéisme. En maintenant toujours le cap de la créativité, de la foi musicale et de l’émotion, ils ont fait de ce premier album signé en duo l’un des meilleurs albums de cette année 2014, et je n’ai pas peur de le dire, l’un des meilleurs albums que j’ai pu écouter depuis plusieurs années. Non seulement yU n’a pas perdu la foi mais il me confirme qu’il se passe décidément des choses assez dingues du côté de la scène indépendante américaine cette année. Suivez ces deux complices ! C’est, à mon avis, le début d’une longue ascension vers des sommets musicaux qui ne seraient qu’amplement mérités. DMV (acronyme pour désigner la région de Washington DC – District of Columbia, Maryland, Virginia) a décidément des talents à revendre !
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