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Shabazz Palaces – Lese Majesty

En 2009 Ishmael Butler, a.k.a. Palaceer Lazaro, ex-membre du groupe Digable Planets prit la sphère hip-hop à contrepied avec son nouvel associé Tendai Maraire. Shabazz Palaces, le duo qu’ils avaient formé cette année-là fit le pari du hip-hop expérimental. Rares sont les rappeurs qui avaient alors osé s’aventurer hors des rythmiques et tonalités traditionnelles héritées du funk et de la soul. C’est en 2011 avec l’album Black Up que Shabazz Palaces connait son premier véritable succès auprès de la critique et des amateurs de musique aventurière. Ishmael Butler délaisse le jazz rap de ses débuts pour l’expérimentation électronique. Son approche du rap est extrêmement déroutante à la première écoute, avant d’inviter l’auditeur à un passionnant voyage sensoriel. C’est donc avec beaucoup de curiosité et une sorte d’excitation que j’ai fait l’expérience de Lese Majesty, nouvel album du duo sorti cet été.

Shabazz Palaces: les sorciers du hip-hop

L’univers de Shabazz Palaces est très littéraire et exigeant, en accord avec la ligne du crew Black Constellation auquel le groupe appartient. Voici comment ils se définissent eux-même:

« In all things, The Black Constellation combines the astral and the earthly, the gorgeous with the abjectly honest, and the ancient with the as-of-yet unimagined. »

Ishmael Butler a.k.a. Palaceer Lazaro

Concrètement, il faut se représenter Lese Majesty comme un cocon sonore expérimental mais jamais agressif. Au contraire, les partitions instrumentales composées par tendai Maraire sont apaisantes. Les percussions sont discrètes, pas de boom-bap chez Shabazz Palaces. On sent une influence directe de la musique du propre père de Tendai, le musicien zimbabwéen Dumisani Maraire, qui enseigna la musique à l’université de Washington à la fin des années 60. Les parties instrumentales de l’album mêlent de manière assez inhabituelle sonorités organiques et bruitages électroniques, et s’allient admirablement au travail vocal de Ishmael Butler. En effet, l’autre caractéristique principale du « son Shabazz Palaces » est le traitement infligé aux parties vocales de leurs morceaux. La voix est dédoublée et distordue, elle devient elle-même un instrument étrange. Cela ne facilite pas la compréhension des paroles, mais renforce l’atmosphère poétique très inspirée par la science-fiction. Écoutez attentivement les instrus de « Noetic Noiromantics », « Suspicion Of A Shape » et « New Black Wave », preuves que la musique peut être à la fois expérimentale et plaisante.

Le rap remis en question

Les textes, Butler y accorde un soin tout particulier. Ils sont la plupart du temps hermétiques et abstraits. Certains qualifieront la musique de Shabazz Palaces d’élitiste, ou du moins de littéraire. Les paroles de « Dawn In Luxor » évoquent davantage l’univers du rock progressif et de groupes comme Yes que le réalisme cru de Mobb Deep.

« From out the water’s wall / From luxor to heavens in the sprawl / See the wings clash against the glistening purple clips / Eurhythmic, a phasing shift / The ships that came from Kush / Now they’re aimed on a collision. »

Ceci étant dit, Palaceer Lazaro ne se contente pas de rêver à des galaxies lointaines et aux temps mythologiques. Lese Majesty s’inscrit directement dans l’histoire du mouvement hip-hop et de la culture afro-américaine. C’est en quelque sorte un manifeste pour un rap moderne, renouant avec sa créativité originelle. Il faut donc voir « Ishmael » ou « …Down 155th In The MCM Snorkel » comme des charges directes contre l’industrie du rap et ses géants. Le constat de Butler est amer. Selon lui le rap s’est embourbé dans la facilité et l’appât du gain. L’intention est résumée dans le titre de l’album: le crime de lèse-majesté désigne l’attentat contre le souverain.

« Sinister minds / Sinister plans of sinister dudes / Sinister motives sinister moves / Sinister hearts ride sinister grooves / Sinister ranks ‘mongst sinister crews / This one here from me to you / Started off rude i’ll finish you smooth / His tools crude while mines just fluid. »

Lese Majesty est donc un objet musical rare, une expérience fascinante. L’écoute de cet album nécessite un peu d’investissement de la part de l’auditeur mais la récompense est grande. Chaque écoute dévoile un peu plus l’univers de Shabazz Palaces. Le duo n’a pas flanché sous la pression et a enfanté d’un excellent successeur à Black Up. Ishmael Butler et Tendai Maraire font aussi au hip-hop le cadeau de nouvelles voies d’exploration, et on peut espérer qu’ils entraineront dans leur sillage d’autres artistes en mal de créativité.

Ed Pays

Envoyé spécial à Bordeaux. Spécialiste du rap de vieux, qui passe son temps à débattre de l'autotune. La dernière fois qu'il a écouté PNL, on l'a retrouvé en PLS.

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