Saga est le rappeur, il est originaire de « the city that never sleeps ». Thelonious Martin, le producteur, vient lui de « the windy city ». Molotov est un pont entre New York et Chicago, mais aussi entre deux générations de fans de Hip Hop. Le fruit de la collaboration entre les deux artistes est un album de bonne facture, au doux parfum de soul des sixties. Saga et Thelonious ont fait de ce rap jazzy leur terrain de jeu, on les sent parfaitement à l’aise. On aurait pourtant aimé les voir prendre un peu de risque et sortir de leur zone de confort.
La recette est la suivante : un kick-snare un peu syncopé façon néo boom bap, une basse discrète, une boucle mélodique découpée comme il faut sur un vieux disque (pas toujours) oublié. On tient notre instru. J’exagère un peu, mais vous voyez bien de quoi je veux parler. Ça parait tout simple, mais ça fonctionne. Depuis que J Dilla a popularisé la formule il y a plus de dix ans, il n’a cessé d’inspirer les producteurs en herbe à travers la nation et par delà les océans. Certains, comme Apollo Brown, continuent de prolonger cet héritage depuis le décès du père fondateur.
Thelonious Martin fait partie de ces producteurs qui ont grandi en écoutant Donuts. Il avait 14 ans en 2006, lorsque Dilla disparaît prématurément de la scène. La musique du beatmaker de Motor City a laissé dans sa mémoire une marque indélébile. Il ne s’en cache pas d’ailleurs. Un peu plus tôt cette année, il lui a rendu hommage à travers une compilation de morceaux instrumentaux intitulée A Dozen For Dilla.
Sur Molotov, il faut reconnaître que Thelonious a fait du beau travail. Pas de faute de goût à signaler, on voit bien que le beatmaker sait ce qu’il fait. L’ensemble est homogène, l’atmosphère créée est très chaleureuse. Le seul morceau à offrir un peu de dissonance (et elle est bienvenue) est « Out there ». Sur ce titre légèrement plus rugueux on s’attendrait presque à un featuring de Raekwon ou Ghostface. Du point de vue des instrus, Molotov est un album solide certes, mais parfois un peu trop convenu.
Les heads qui connaissent bien leur classiques reconnaîtront quelques samples mélodiques un peu cramés. NTM avait déjà immortalisé Roy Ayers et Ethel Beatty sur « Tout N’Est Pas Si Facile », et « They Don’t Know » rappelle un peu trop « Street Life (Return Of The Life Mix) » de Intelligent Hoodlum.
Les thématiques abordées par Saga sur Molotov sont fidèles à la tradition du rap. Il s’attarde en particulier sur son statut de rappeur. La façon dont il perçoit le monde en tant qu’artiste, l’incompréhension qu’il peut susciter parfois dans son entourage, tout cela semble le troubler. Quand certains jeunes des quartiers défavorisés subissent le chômage et le racisme, Saga parvient à se faire une place dans le game, à canaliser ses angoisses, colères et frustrations dans son art. Sa réussite vient contrebalancer des phases plus problématiques de son expérience.
Sur « Karma », Freddie Gibbs raconte lui aussi comment ses déboires judiciaires sont le revers de la médaille du succès. Il évoque notamment les fausses accusations d’agression sexuelles dont il a été victime en Autriche. Cette injustice n’a heureusement pas affecté la carrière du rappeur originaire de l’Indiana.
« I stand in front of the bullets for my people / On the front line of both sides, where they could see you / Where you’re the target of projectiles, slings and arrows / Burning and building bridges bigger than the Verrazano. »
Il paraît presque impossible de produire un album de rap sans un hommage à sa ville d’origine, à son quartier, à son hood. Dans le cas de Saga, cette fierté prend sa source dans son enfance à Brooklyn. Ce quartier de New York est l’un des principaux viviers de rappeurs. Dans « Where We Live (Brooklyn) », il dépeint la vie dans les quartiers louches. Comme beaucoup d’autres emcees avant lui, Saga évoque la difficulté de s’en sortir dans un environnement parfois hostile. Il rappelle aussi l’esprit de fraternité qui peut y exister. On est donc dans un rapport ambigu avec Brooklyn, qui suscite à la fois inquiétudes et nostalgie.
Les mélomanes verront également dans cette chanson un clin d’oeil à Roy Ayers, musicien très influent dans les années 70 et abondamment samplé dans le rap. Le beat de « Where We Live (Brooklyn) » est construit à partir du morceau « It’s Your Love » interprété par Ethel Beatty, et le refrain reprend mot à mot les paroles de « We Live In Brooklyn Baby » de Roy Ayers Ubiquity.
Molotov est un album qui ne manquera pas de flatter l’oreille des amateurs de Hip Hop élevés au rap des années 90. Comme à cette époque, les instrus reposent largement sur l’utilisation de samples jazzy. Le flow est très classique, mais malheureusement pas très vif. À la longue il est difficile de se concentrer sur les textes de Saga, pourtant plutôt bien écrits. Les « heads » un peu plus jeunes regretteront probablement la nostalgie un peu appuyée des beats. On est loin de l’inventivité de la nouvelle scène Hip Hop. En définitive, Molotov est bien résumé par le célèbre adage qui dit qu’à vouloir satisfaire tout le monde, on ne contente personne. Je vous invite à écouter ce disque qui reste agréable, mais qui ne se destine pas à rester dans les mémoires.
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