PRhyme – PRhyme

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Décembre 2014

PRhyme

PRhyme

Note :

La promesse d’un projet collaboratif entre le rappeur de Detroit, Royce Da 5’9’’ (38 ans au compteur), et la légende des producteurs DJ Premier avait grandement agité la sphère hip-hop, et avec raison. C’est que les esprits se rappellent très bien du single ‘Boom‘ (2002) produit par Premier et qui lança véritablement la carrière du rappeur.

Issus du même background musical, ayant tous deux collaboré avec des générations d’artistes qui ont façonné la culture hip-hop, Royce Da 5’9’’ et Preemo nous livrent en duo un album éponyme, PRhyme, qui, sans bousculer les règles du genre, rend hommage au rap de la plus belle manière qui soit.

Chouchoutés par une pointure de la composition musicale West Coast tendance soul/funk psychédélique, Adrian Younge –  représenté par l’excellent label Wax Poetics, il est connu entre autres pour la musique originale du film Black Dynamite (2009), et a précédemment travaillé aux côtés de Ghostface Killah sur Twelve Reasons To Die (2013) -, le rappeur, ancien compagnon de route d’Eminem, et le producteur le plus représentatif du son boom bap imposent leurs manières old school sur un opus incisif.

UN RAP DE DEFI

PRhyme est avant tout l’histoire d’une symbiose entre deux artistes engagés de manière frontale dans leur musique. S’ils ne se sont pas attardés (durée totale de l’album : 35 mn), Royce et Preemo ont travaillé en intensité. Commune déclaration de foi, composée de 9 morceaux, et portée par le flow granuleux, nerveux et bondissant du emcee associé à un vrai travail de dentelle du dee-jay sur les beats et le sampling, PRhyme possède l’évidence du classique immédiat. Deux raisons à cela : une technicité musicale incomparable et la revendication d’un message, porté en étendard, que le real hip-hop est toujours au sommet de son art. Royce et DJ Premier au service de la cause, ou les « anciens » toujours garants d’une qualité de son incomparable pour le puriste.

Le contexte est donné dès le premier titre, ‘PRhyme’ :

Me and Chris we veterans, but when youngins call you vet /

You start to feel like Hardaway with that UTEP, two step /

They come in the league like A.I. /

With that they new look and that crossover /

Move, and they make that old shit seem useless.

N’épargnant pas l’industrie musicale et la facilité commerciale contre laquelle s’insurgeaient déjà les rappeurs des 90’s, Royce et Preemo se posent en donneurs de leçon garants d’une identité qu’ils considèrent en perdition. Sur ‘Courtesy’, premier single extrait de l’album, les lyrics de Royce sont mordantes :

All I want is courtesy, who cares about the radio? /

And you can take the cassette deck from off your old boombox /

And it wouldn’t matter, there’s still squares on your radio.

Singeant les fake emcees, Royce va même à la fin du morceau jusqu’à lancer, malicieux mais odieux, une bravade teintée d’ironie :

Put ya mutha fuckin’ hands up! /

My job is to move da crowd, move da mutha fuckin’ crowd.

Le ton est cinglant, l’humour à la limite du cynisme, la description corrosive, le rap arrogant.

Tout y passe : son alcoolisme, l’adultère, ses problèmes de fric, la prison… C’est politiquement incorrect, c’est brut de décoffrage, ça renvoie dans les cordes.

Sans compromis, PRhyme revendique l’authenticité comme manière d’être et raison de vivre. Une atmosphère de revanche flotte sur tout l’album, culminant sur le sublime morceau ‘To Me, To You’ où Royce partage le verbe avec le rappeur Jay Electronica sur un sample du morceau ‘It’s Me’ d’Adrian Younge, chanté par Rebecca Jordan. La sentence est sans appel :

To me, it’s what I see /

To you, it’s what you do /

Prhyme!

Ha ha ha-ha, if I could make niggas as real as me /

Ha ha ha-ha, I’d ask, « how come niggas ain’t real as me? »

La richesse des sons 60’s et 70’s de Younge, parfaitement réinterprétés par Premier, donne une profondeur sombre à l’album, une profondeur presque abyssale. Au fur et à mesure des écoutes, des sons, des effets se dégagent qui ne s’étaient pas révélés à la première plongée. La cadence parfaite, presque mécanique, des beats de Premier colle au souffle court et à la voix rauque de Royce qui enchaîne les rimes parfois sans même prendre le temps de respirer. L’atmosphère est lourde de sens, la gravité est de mise : c’est l’histoire du rap, dans toute la matière musicale qu’il a produite jusqu’ici, qui nous est résumée en une petite demi-heure dont chaque minute est parfaitement composée et aboutie.

UNE MUSIQUE D’EXPERIENCE

L’attente inévitablement suscitée par l’annonce d’une nouvelle production signée DJ Premier rend bien sûr délicate l’écoute d’un nouvel opus. Le parti-pris – terriblement positif, il me faut le reconnaître – doit être mis au vestiaire. Et c’est d’autant plus difficile de se l’imposer en réalité tellement les constructions musicales de Christopher E. Martin restent inégalées. Le génie musical est là, c’est inévitable avec Preemo. Son expérience n’est plus à prouver, et c’est ce qui nous bluffe d’emblée à l’écoute de ce dernier projet. Le producteur est plus qu’à la hauteur de sa réputation : la simplicité apparente des formules batterie/piano, boîte à rythmes/orgue (‘Underground Kings’, ‘Courtesy’) est alliée à des enchaînements impeccables, à quelques cuts et scratchs efficaces et discrets (‘Dat Sound Good’), à des ruptures inopinées de rythmes. Ecoutez ces magnifiques changements de tons sur ‘Wishin’ qui accueille le flow ondulant de Common en featuring :

En termes de technicité musicale, le projet relève assurément le niveau d’un cran (et un sacré cran !). La base mélodique de PRhyme, issue du deal formulé entre Younge et Preemo de ne créer que des sons originaux, est impeccable. « The bar has to be high. For this album to be another body of work and another chapter for both of our lives » déclare DJ Premier au magazine XXL.com en septembre 2014.

Endossant une vision corporatiste d’un Hip-Hop classique qu’il faudrait préserver à tout prix, Royce et Premier transforment la nostalgie en profession de foi, en discours combatif. Ils s’opposent farouchement à un rap game qu’ils estiment fourvoyé. Les coups sont portés avec tellement d’ardeur que l’auditeur en ressort un peu abasourdi, c’est l’effet pervers de PRhyme. L’arrogance et l’expérience frisent un peu l’irrévérence mauvaise. Révolté certes, mais aussi condescendant, et c’est là où les limites de l’album apparaissent. Premier a indéniablement trouvé dans cette collaboration avec Younge et Royce un nouveau point d’ancrage, une nouvelle manière de célébrer cette culture qui lui est si chère. Peut-être aurait-il juste fallu instiller une légère dose d’auto-dérision ? L’authenticité revendiquée, bien sûr. L’authenticité ressentie, c’est encore mieux.