Album collectif, Martyrs Modernes impressionne par son unité tant lyricalement que musicalement et livre une vision réaliste de la société d’aujourd’hui.
L’histoire de l’album Martyrs Modernes n’est pas commune. Déjà parce que ce projet réunit trois rappeurs de trois départements différents à l’univers pourtant sensiblement identiques et que l’ensemble est cornaqué par un seul et unique beatmaker, une formule éprouvée et de plus en plus courante qui a déjà fait ses preuves. Martyrs Modernes réunit dont Pejmaxx de Créteil (94), Néfaste de Cergy (95) et Ol Zico de Neuilly-sur-Marne (93). Les trois MC sont encadrés par Mani Deiz, qui expliquait dans une interview qu’il nous avait accordé récemment : « j’aime bien quand le MC me fait confiance. Je n’ai pas la prétention de savoir ce qui est bon pour lui mais je sais sur quoi j’aimerais l’écouter. Et si ça va me plaire, il y a des chances que ça plaise aussi à d’autres personnes. » Après avoir déjà déroulé ce schéma avec Paco et Lucio Bukowski, on le retrouve derrière ce projet à quatre. Finalement, on se dit que c’est peut-être lui le lien entre les univers des trois rappeurs. Ses productions, sobres, lentes, épurées mais tellement rap, parfois tristes, toujours mélancoliques, de celles où l’on ressent la douleur même sans aucune parole. C’est aussi ça la force de Mani Deiz, créer une ambiance, un univers, une atmosphère qui convienne à tout le monde et qui apporte une unité évidente à un projet bien ficelé. Preuve de son implication, il se lâche lui aussi un peu au micro et son interlude, « La vie d’après » apporte sa brique à l’édifice et montre bien que le beatmaker et les rappeurs sont tous sur la même longueur d’onde.
De plus, si le projet est né via Internet, les artistes ont pris le parti de se voir le plus possible et d’enregistrer ensemble plutôt sur des pistes séparées afin de créer du lien et une ambiance que l’on ressent évidemment. Chacun est aussi sorti de sa zone de confort musicale et s’est mis au diapason des autres. Parce que le risque d’un projet collectif, c’est l’hétérogénéité. Ici, l’unité est évidente. Si chacun a son grain de voix, son flow et sa technique, Néfaste, Pejmaxx et Ol Zico se rejoignent dans leurs visions désabusées et lucides d’une France qui part à vau-l’eau. Car tous sont des enfants de l’immigration et tous sont désabusés par les politiques menées, notamment quand on parle des quartiers. Cet endroit, c’est « chez eux », une société qui, quasiment contrainte et forcée, s’organise en parallèle de celle qu’on essaie de nous vendre (« Dans les yeux »). Là où la mode du rap français y cherche une certaine glorification des armes et/ou de la vente de drogue, Pejmaxx, Ol Zico et Néfaste y voient plutôt une bataille pour s’en sortir avec d’autres moyens, même si faire le mal est certainement plus facile (« Anarchie »). Eux prônent des valeurs morales que l’on a tendance à oublier aujourd’hui : le respect, la fraternité, l’entraide, mais aussi l’ambition même s’ils pensent parfois être « coincés dans un cauchemar » où tout est fait pour faire dévier la jeunesse des quartiers populaires vers le mauvais chemin.
En combattant ces humeurs, les MC insistent plutôt ce qui permet de rester droit, exhortant les leurs à garder « La tête haute », à rester fier malgré la tristesse et les embûches. Leur conseil ? N’attend rien de personne, ne compte que sur toi-même pour arriver à une certaine situation d’autogestion et surmonter les problèmes d’argent et ceux avec les autorités. Sans nier la vie de rue, ils proposent une autre voie, la plus difficile peut-être, mais celle où il existe encore une morale, une mentale. C’est cette France que l’on veut glisser sous le tapis que Pejmaxx, Ol Zico et Néfaste mettent en avant. Alors oui, il n’y a aucune raison d’être optimiste. Est-ce que pour autant, faut-il faire de Martyrs Modernes est un disque totalement pessimiste ? Pas du tout, le projet est juste ultra réaliste, les trois MC n’écrivent juste et ne rappent juste que ce qu’ils voient, que ce qu’ils vivent. La question est de savoir quel sens réellement donner à sa vie. Eux préfèrent s’appuyer sur la famille, les amis et certaines valeurs fortes pour avancer, sans illusions, en mode marche ou crève, mais avancer envers et contre tout. C’est ça être un « Martyr Moderne », une situation difficile certes mais qu’il faut refuser avec force. Et de garder en tête cette conclusion tirée du morceau « Temps perdu » : « la vraie France, c’est celle d’en bas, celle que tu regardes d’en haut »… A méditer.
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