Little Simz – A Curious Tale of Trials + Persons

Octobre 2015

Little Simz

A Curious Tale of Trials + Persons

Note :

On vous parle de Little Simz depuis maintenant un moment. Cette jeune rappeuse britannique d’à peine 20 ans annoncée un peu partout comme « the next big thing » a pris tout le monde à contre-pied cet été en annonçant que son premier album, intitulé A Curious Tale of Trials + Persons, serait entièrement auto-produit par son collectif Space 101. Voyons ce que cette première galette de « Prince Simmy » a dans le ventre…

A la première écoute, on comprend rapidement que cet album n’est pas facile d’accès. L’atmosphère est sombre, les productions complexes et les lyrics de chaque morceau semblent regorger de ce fameux « double-entendre » cher à nos emcees depuis quelques années.

Aussi, j’ai pensé que pour vous faciliter la découverte de cet album, j’adopterai pour cette chronique un nouveau format consistant à mette en avant certains points saillants de ce A Curious Tale of Trials + Persons.

Vous trouverez donc dans la suite de l’article différents highlights personnels (meilleure track, meilleure prod, meilleur couplet) qui sont autant de clefs de lecture pour un album qui mérite plusieurs écoutes afin d’en apprécier toute la richesse.

La track  qui s’éternisera dans ta playlist

Ce choix est purement personnel mais ce serait sans aucun doute le terrible « God Bless Mary » pour ma part. Dans cette track magnifiquement produite par un certain Sigurd (inconnu au bataillon), Little Simz opère dans le style dans lequel elle semble le plus à l’aise: le story-telling. La jeune rappeuse – en doute perpétuelle quant à son statut d’artiste – adresse sur ce morceau une sorte de lettre d’excuse et d’hommage à sa voisine de palier lorsqu’elle était étudiante. Cette pauvre Mary qui a du subir les interminables sessions rap et beatmaking qui se déroulaient dans la chambre d’à côté parfois jusqu’au milieu de la nuit.

On peut également voir dans ce personnage de Mary (peut-être fictif) la métaphore de ceux qui suivent Simz depuis le début. Ceux qui l’ont vu progresser dans son art et qu’elle a eu peur de déranger dans sa course effrénée vers le succès…

When I recorded this like I needed Mary to hear it
Come to think of it, she’s heard everything before the world has
Heard the EPs way before the world has
Heard me singing live way before the world has
Heard my mistakes and frustration way before the world has

Little Simz – « God Bless Mary »

Le banger qui donne envie d’aller au concert

Sans l’ombre d’un doute « Dead Body » ! Ce titre est tout simplement un banger par excellence: thème crade et provocateur (« do you wanna see a dead body ? »), longue montée jusqu’à un drop terrible à 1:15 et surtout un des rares titres équipés d’un refrain rappé. On pourra d’ailleurs regretter le fait que ce « Dead Body » soit finalement le seul titre upbeat de l’album. En effet, A Curious Tale of Trials + Persons a tout d’un album personnel, celui que l’on écoute au casque en marchant le soir pour mieux capter chaque détail d’une oeuvre qui a été construite sans aucune concession.

En laissant libre court à son imagination artistique, Little Simz semble nous dévoiler tout son univers de la manière la plus directe qui soit. Le résultat est un album sombre, tourmenté dans lequel on ne rentre pas facilement. C’est bien sûr tout à son honneur d’avoir voulu conserver la main sur la direction artistique de son album (qu’elle a pu enregistrer gratuitement dans les studios mis à disposition par RedBull à Londres) mais on regrette parfois la présence d’un ou deux autres morceaux plus faciles d’accès qui auraient sûrement rendu ce premier album plus « digeste ».

La prod qui marque

En concurrence directe pour le titre de meilleure track, le morceau « Gratitude » est un featuring (le seul de l’album) avec le groupe de musique électronique The Hics. L’occasion pour moi de vous parler d’un des gros points forts de Trials + Persons, l’évolution du son de Little Simz vers des productions plus organiques.

En effet, que ce soit les guitares lancinantes de « Full or Empty » ou le couple bass / batterie de ce sublime « Gratitude« , cet album fait la part belle à de nouvelles sonorités auxquelles Simz ne nous avait pas habituées jusqu’ici. Le cocktail rock et électronique de ce morceau n’est d’ailleurs pas sans rappeler certaines expérimentations de Caribou / Daphni, ouvrant on l’espère, une brèche vers un courant « rap bass music » qui ne demande aujourd’hui qu’à éclore.

Que les fans de la première heure se réjouissent, on retrouve tout de même sur l’album la patte Little Simz, ces superbes productions teintées de bass anglaises qui m’avaient fait chavirer sur la mixtape E.D.G.E en 2014.

little-simz-album-chronique

Le couplet qui fait réfléchir

Tous les auditeurs de rap ne prêtent pas forcément attention aux lyrics et cela n’empêche, heureusement, pas d’apprécier la musique de Little Simz. Mais si l’on ne devait s’attarder sur le sens que d’un seul couplet de ce « A Curious Tale of Trials + Persons« , je pense qu’il s’agirait du troisième couplet du morceau « The Lights« .

Dans ce morceau qui traite encore une fois de la célébrité – thème qui semble totalement obséder Simz si l’on prette attention à ces précédentes sorties – Simmy livre sa perception complètement ambivalente de ce concept abstrait qu’elle désire autant qu’elle craint.

Oh, what these lights have done to her
This lifestyle’s never been fun to her
Trials of the past can’t run from her
She’s incomplete and her stomach churns

Etre sous la lumière des projecteurs n’est pas quelque chose de naturel et peut te traumatiser jusqu’à t’en rendre malade en faisant resurgir tes vieux démons.

And no one’s concerned, nothing’s learned
Nothing’s worth it all, nothing’s learned
Pills are popped when the head is hurting
But more than three if that doesn’t work

La célébrité entraine la solitude qui mène à la déprime. Pour t’en protéger tu avales des cachetons, souvent plus qu’il n’en faut.

Now suicide’s what them papers say
Nobody’s at her grave today
Another young soul just fades away
While another young soul is on its way

La dépression s’installe et mène au suicide. Ta mort est annoncée dans tous les journaux mais personne ne vient pleurer sur ta tombe. C’est ce qui arrive à plein de jeunes artistes et d’autres sont déjà en train de suivre le même chemin.

Shit, what these lights will do in life
But darkness has never been a friend of mine
It’s lonely at the top, I’ve got a fear of heights
Said it’s lonely at the top, I’ve got a fear of heights
Said it’s lonely at the top, come share my light

La célébrité est un vrai fléau mais Simz ne supporte plus l’anonymat. Elle sait qu’elle sera seule une fois là-haut et elle a peur du vide. C’est la raison pour laquelle elle ne veut pas y accéder seule mais avec ceux qui la suivent.

Le verdict

Globalement, ce premier album de la jeune Simz est une franche réussite. Même si le côté sombre et parfois trop abstrait de l’album rende l’écoute assez exigeante, on ne peut que saluer l’authenticité et le non choix de la facilité dans une conjoncture actuelle où les artistes – même indépendants – prennent de moins en moins de risque. Chez Little Simz, l’innovation sonore est perpétuelle et la qualité d’écriture semble se hisser lentement mais sûrement vers celle des artistes qu’elle cite comme influence, Nas et King Kendrick en tête.

Trials + Persons n’a sûrement pas la consistance d’un Illmatic mais pourrait bien être le Section 80 qui laisse présager d’un futur classique à venir…

Wait and Simz !