C’est maintenant au tour de Kirk Knight de défendre les couleurs de l’écurie Pro Era avec son premier album. Late Knight Special offre un rap décomplexé et quelques belles surprises. Succéder à B4.DA.$$ n’est pas chose facile, mais Kirian Labarrie s’en tire avec les honneurs. Si son flow n’est pas toujours à la hauteur de celui de Joey Bada$$, son travail à la production force le respect.
Soyons franc, l’album de Kirk Knight ne figurait certainement pas parmi les plus attendus de 2015. À tel point qu’on s’est un peu fait surprendre par sa sortie. Il faut dire aussi que le budget promo n’est pas celui d’un Dr. Dre. On avait quand même pu se mettre sous la dent quelques morceaux comme « Knight Time », « Good Knight » ou « Dead Friends », suffisamment pour donner envie d’entendre la suite.
Que ceux qui craignaient que Late Knight Special soit un ersatz de B4.DA.$$ se rassurent, Kirk Knight a su se démarquer de Bada$$ et proposer quelque chose de nouveau. Tout comme la couverture du disque le suggère, l’atmosphère dégagée par la musique de Labarrie est très feutrée et aérienne. Late Knight Special s’écoute la nuit, vautré sur le canap’ avec ses potes sous une lumière tamisée. Seuls deux morceaux plus pêchus viennent dégager l’auditeur de la rêverie: les excellents « Brokeland » et « Good Knight (feat. Joey Bada$$, Flatbush Zombies & Dizzy Wright) ».
Dès « Start Running », le premier morceau de Late Knight Special, Kirk nous téléporte à l’intérieur du Starship Enterprise, le fameux vaisseau du Captain Kirk dans Star Trek, et nous transporte dans son univers hydroponique. On est d’emblée envouté par la boucle de violons et de guitare classique, l’album s’ouvre avec une extraordinaire douceur, ce qui est loin d’être une entrée en matière habituelle dans le Hip Hop. L’élévation spirituelle, Kirk Knight la poursuit en partant à la recherche de Dieu. Tout au long de « Heaven Is For Real », il décrit ses errements sur terre (dans la rue plus précisément) qu’il aimerait racheter pour que les portes du paradis lui soient ouvertes. Derrière cette conception un peu naïve de la spiritualité, le texte de la chanson laisse entrevoir sa volonté de trouver un sens à son existence dans un monde de plus en plus nihiliste.
« It’s not rap no more / This that negro, fucking spiritual / That astrophysical / In that instance stars are born / With that instinct / We just press the mic record / And let it run… And let it run. »
Kirk Knight – « Start Running »
La chute est raide avec le titre suivant: « Brokeland ». Comme je vous l’ai précisé plus tôt, ce morceau fait partie des bangers de l’album. Kirk y exhibe un flow beaucoup plus percutant. Sa voix semble presque au bord de la rupture. « Brokeland » est ultra tendu, à l’image de Brooklyn, le quartier auquel fait référence Kirian Labarrie pendant ces 2 minutes 30. L’entrée en jeu de Joey Bada$$, c’est sur « 5 Minutes », le quatrième titre de l’album. Tout le monde l’attendait, et celui qui fera sans nul doute partie des meilleurs emcees de 2015 ne déçoit pas. Joey donne le meilleur de lui-même en featuring, c’est ce qui fait sa force. On retrouve la star sur la toute dernière piste de Late Night Special, le fameux « Good Knight », banger étrangement placé en fin d’album.
Parmi les participations très remarquées, celle de Thundercat surprend un peu. On est plus habitué à voir le bassiste virtuose en compagnie de Flylo ou Kendrick Lamar qu’avec la nouvelle génération de rappeurs east coast. Cependant sur le très mélancolique « Dead Friends », son toucher de velours est tout à fait à sa place. Mais la vraie performance, le featuring qui fait la différence, c’est la contribution de Mick Jenkins sur « I Know », morceau qui constitue le sommet émotionnel de l’album. Il apporte une preuve de plus qu’un bon flow n’est pas nécessairement un flow rapide, et qu’on peut faire beaucoup de choses avec des rimes internes, des variations de rythme et des oscillations de voix. « I Know » est aussi un des morceaux les mieux produits du disque. Kirk Knight n’hésite pas à sortir la grosse artillerie. Il enveloppe ce texte saisissant sur la dépression et la détresse dans un épais cocon de choeurs, d’orgue et de basse.
« This ain’t softball, holes in your clothes / These ain’t moth balls / Switch the style up / It was south pole / And now it’s South Paw / You can fight me now! »
Mick Jenkins – « I Know »
Kirk Knight a vraiment fourni un très gros effort sur la production de son album. Les instrus, lentes et aériennes dans l’ensemble, collent parfaitement à l’univers nocturne et mélancolique dépeint dans ses textes. Il n’a été aidé que sur trois morceaux par Thundercat et THEMpeople. Late Knight Special est pour lui l’occasion de sortir de l’ombre, et lui permet de s’affirmer à la fois en tant que producteur et rappeur. Même si tout n’est pas parfait et que quelques titres sont un peu insipides (« Scorpio », « Down », « All For Nothing »), cet album frappe un grand coup et confirme la prééminence du crew Pro Era sur la scène new yorkaise. La carrière de Kirk pourrait bien changer, c’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.