Kery James – Mouhammad Alix

Avec Mouhammad Alix, Kery James signe un septième album dense et fort dans lequel il semble que le seul moyen de trouver la paix est de partir au combat.

Kery James ne s’en ait jamais caché, il y a plusieurs traits de caractère différents dans sa personnalité. On le sait, il l’a dit et cela se ressent sur chacune de ses disques sur lesquels il essaie, à chaque fois de réussir une synthèse compliquée. Si on voulait résumer rapidement, on pourrait dire qu’il y d’un côté Alix Mathurin, être de paix à la recherche de sérénité, de l’autre, on aurait Kery James, personnage hardcore et combattant résolu. Et si, pour ce septième album, Kery James avait trouvé la synthèse parfaite dans ce nouveau personnage, « Mouhammad Alix », qui lui aussi « vole comme un papillon et pique comme une abeille » ? Symbolique, ce nom qui fait référence à un de ses héros n’est pas là par hasard. Dans cet opus, on trouve en effet tour à tour des traits propres à Alix et d’autres facilement reconnaissables comme étant ceux de Kery.

« J’suis pas un héros »

D’un côté donc, Alix qui réfléchit sur son état, sur la société qui l’entoure, sur le testament qu’il va laisser. « Pense à moi » est un titre que l’on peut ranger dans cette catégorie. Musicalement doux, avec des BPM plutôt lents, ce morceau en featuring avec Madame Monsieur est une sorte de lettre adressée à son fils, son histoire personnelle qu’il cherche à transmettre et où il revient sur les difficultés qui ont accompagné sa vie depuis qu’il est tout petit, insistant sur le fait qu’il est parti de loin pour y arriver et qu’à chaque fois qu’il est tombé, il s’est relevé pour revenir plus fort. Car rien n’est simple pour Kery James, ni la vie, ni l’amour. La souffrance est partout comme l’explique si bien « Des morceaux de nous ». Mais c’est aussi cette douleur qui fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui, c’est avec elle qu’il a grandi et contre elle qu’il a su lutter au détriment parfois de sa vie de famille (« Prends le temps »). Difficile en effet de trouver le temps de tout faire dans une vie qui va déjà à 100 à l’heure. Un jour viendra où Kery James « s’isolera parmi les hommes de raison » pour « tout recommencer » ou partir « Ailleurs », le temps de souffler, de prendre du recul. C’est aussi la marque d’un homme lucide sur la vie actuelle car ce qui est vrai pour lui l’est aussi pour l’auditeur : aujourd’hui tout va trop vite et on ne profite jamais de l’instant, toujours lancé dans une course sans fin. Résultat, comme nous, Kery a « perdu du temps à essayer d’en gagner ». Pour autant, Kery James ne se targue pas d’une position particulière. « J’ne suis pas un héros » écrit-il. Il est un poète noir, fier de lui, de son travail, intègre, prêt à combattre si nécessaire : « J’suis pas un héros mais je me bats, je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas. » S’il le fait pour lui, il le fait aussi pour nous, son engagement est là.

« Rap hardcore sur violents breakbeats »

Car pour qu’Alix ait la paix, Kery James doit combattre. Le combat est le thème majeur de ce disque et personne ne doit croire que la proximité des élections présidentielles, l’ambiance délétère qui règne en France, l’échec des politiques et des hommes qui la font n’ont pas compté dans l’élaboration de ce disque. Evidemment que les choix de Kery ont été guidé par ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il vit. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord Kery est noir et ressent parfois violemment le racisme latent de la société française (« Douleur ébène »), ensuite, il sait parfaitement d’où il vient et si « La rue ça fait mal », c’est là que se trouvent ses racines, c’est ce qui a façonné son instinct, accéléré sa souffrance, sa douleur. Si Kery est toujours aussi écorché vif, c’est qu’il a été trop abîmé pour vraiment pouvoir en faire le deuil. C’est un survivant à qui la rue a donné de la force et assez de douleur (« Rue de la peine ») pour rester vif et droit comme un i. C’est la colère façonnée à cette époque et entretenue par la vie qui lui permet de rester performante et totalement lucide (« D’où je viens »). Et puis sa lucidité ne peut pas lui permettre de réellement arrêter le combat et déposer les armes. La période est sombre, rien ne l’aide vraiment à être positif, que ce soit socialement, politiquement ou tout simplement dans la vie quotidienne. Cet engagement n’empêche pas la technique et l’intelligence comme le prouve des morceaux comme « Mouhammad Alix » ou « N’importe quoi », des egotrips qui rappellent que Kery James n’a rien à envier à personne et que le temps qui passe lui permet de continuer de progresser. Vu qu’il était déjà un des meilleurs, on vous laisse imaginer le niveau…

Enfin, il faut s’arrêter sur les deux titres majeurs de ce disque. D’abord, il y a « Racailles », un morceau de bravoure rapologique, une vision ô combien claire de la vie politique actuelle, une analyse fine et pertinente de la réalité car rien n’est inventé, tout est simplement mis noir sur blanc… On ne serait trop vous conseiller de l’écouter régulièrement avant d’aller vous enfermer dans un isoloir… Mais Kery James ne fait pas que dénoncer et surtout s’inclut lui-même dans cette société qu’il ne reconnaît plus forcément. Il a aussi des propositions et sa plus belle est aussi certainement la plus simple : « Vivre ou mourir ensemble », une des seules solutions pour ne pas plonger dans la haine et la colère. Un texte magnifique qui cherche à ouvrir les yeux et les oreilles des auditeurs en dénonçant ceux qui essaient de diviser la France en jetant de l’huile sur le feu pour détruire une paix précieuse et fragile qu’il convient de protéger afin d’éviter que la société ne se recroqueville sur elle-même autour de l’individualisme, la peur, le nationalisme, le racisme… A cela Kery propose d’opposer l’unité, la paix et la fraternité dans un de ses plus beaux morceaux depuis longtemps.

Paradoxe

Alors oui, on peut dire que Kery James est « Paradoxal », lui-même en convient très bien. C’est un thème qui revient souvent chez lui, dans ce disque mais aussi au cours de sa carrière. Alix/James, Jekyyl/Hyde, lumière/obscurité, c’est son combat personnel et historique, un déchirement intérieur contre lequel il lutte sans cesse. Musicalement, cette différence se ressent aussi entre titres hardcore et beats presque violents et des morceaux plus introspectifs et chantonnés où affleure le regret. On lui a reproché cette dualité pendant longtemps, aujourd’hui Kery l’assume et fait face à lui-même en assénant : « il n’y a pas de paix sans combat » et si Alix veut la paix, Kery James devra continuer lui à monter au front…

Grégory Curot

Passionné de rap français depuis 1990, il a été journaliste à RER, RAP MAG et Daymolition. Il a vu l’envers du décor et vécu des choses folles avec ses idoles.

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