Le retour du cowboy solitaire. Après une traversée du désert, terrassé par l’alcool et la dépression, Jonwayne remonte en selle. S’il n’est pas le rappeur au flow le plus rapide de l’Ouest, il confirme dans ce second opus, Rap Album Two, au titre aussi minimaliste que sa production, qu’il est bien l’un des artistes hip-hop indés les plus talentueux du Far-West.
Dans ce second album studio, Jonwayne déploie un verbe brillant, une production affûtée. Album-délivrance, catharsis, chronique d’une sortie de l’enfer alcoolique, Rap Album Two est un cactus planté dans le sable du no man’s land jonwaynien. C’est costaud, hostile. Indéracinable. Il faut s’y accrocher un peu. Se laisser piéger au lasso.
Premier track, « TED Talk », et le décor est posé. L’ouverture est oppressante. Une boucle de piano et un thérémine. Un son répétitif, une ritournelle angoissante. Et Jonwayne embraye :
You’ve never seen a man so calm in your life /
Ain’t afraid of this mic /
And I got the type of mind/
To grab into that white light.
Jonwayne – « TED Talk »
Lancinance et répétition sont les deux piliers de Rap Album Two. Jonwayne nous y confie le cauchemar de ses dernières années, sa vie dans l’alcool, son impasse, le dégoût de lui-même, son identité d’artiste brouillée par la boisson. Et c’est sur ce motif obsessionnel qu’est construite sa production musicale.
Composés exclusivement de samples rebouclés, Rap Album Two est un modèle d’empilement sonore. C’est mathématique, précis et surtout assez peu exhaustif. Le strict nécessaire. Pas de cuivres, pas d’organique. Quelques cordes ici ou là (les violons sur le final et le violoncelle en ligne de basse de « Human Condition », ou une harpe en ornementation sur « These Words Are Everything »). Mais surtout du piano, du synthé et du xylophone. Et des beats. En gros, des touches frappées. Tout un symbole.
Les ruptures ou contre-balancements sont assurés par des coupures brutales de son ou des insertions de bandes (enregistrement de répétitions, de dialogues, discussions, voix de fond). Circulez, y’a rien à voir. On passe à autre chose. Tout est clairement tranché et assumé dans la composition.
« I don’t look like a rapper but I do rap », assène-t-il au type qui ne le connaît pas mais vient le déranger dans un bar parce que, ouvrez les guillemets, « sa copine est une fan ». Le morceau s’intitule « Live from the Fuck You ». Pas besoin d’explication de texte.
Tout comme dans le premier opus sorti sur Stones Throw Records en 2013 (Rap Album One), on sent très clairement le background electro du rappeur-producteur californien. Une touche geek, un sampler, un hi-hat, et par-dessus, le ton monocorde de Jonwayne qui égrène ses lyrics presque comme pour un récit radiophonique. Tout est extrêmement posé. Le calme des grandes plaines. Une voix jamais ébranlée. Des effets minimalistes. Les mélodies sont rarement composées de plus de cinq notes d’affilée. L’influence électronique, elle est là : dans les lignes mélodiques répétitives, dans les ponts. L’enregistrement d’une pluie d’orage qui relie « City Lights » et « Rainbow ».
Dans la droite lignée de son premier album, Jonwayne assume la démarche intellectualisante de son rap. Petit clin d’œil à Bob Dylan sur « TED Talk » : « I’m a poet and I know it », paroles extraites de la chanson « I Shall Be Free N°10 » composée en 1964 par le Prix Nobel de Littérature. Cette marque indé, c’est elle qui fait toute la richesse d’une musique qui peut, au premier abord, apparaître rude, rugueuse même. Cette aridité, c’est la marque de fabrique de Jonwayne. Là où il excelle. Pas de folie des grandeurs. Pas d’esbrouffe. Les mots d’abord. Leur construction. Des rimes plates, des assonances, des allitérations, toute la technique littéraire est utilisée. Et puis, leur sens, l’histoire qu’ils composent, l’histoire qu’ils transpirent. Jonwayne, c’est la valeur du langage. Chez lui, la musique est d’abord composition verbale.
I know that when I die, my words will be my only thing.
« These Words Are Everything ».
A man suffering for his words like a monkey in a circus.
« Live From the Fuck You »
Associé pour quelques titres à une nouvelle génération d’artistes hip-hop – Danny Watts, jeune lyricist de Houston, Texas qui l’accompagne sur « Rainbow », ou sur « Afraid of Us » et « Hills » en duo avec Zeroh, issu de la nouvelle beat scene de Los Angeles, Jonwayne va en déconcerter plus d’uns, va en décevoir un certain nombre. C’est clairement un album peu accessible.
Jonwayne – « Afraid Of Us » feat. Zeroh
Plus qu’intimiste, la démarche est assurément psychanalytique. Prise de tête pour beaucoup sûrement. Mais le talent de Jonwayne est évident, unique. Il défriche les terrains inconnus. Comme, il y a déjà 25 ans, Massive Attack a étiré les genres en prenant la tête d’un nouveau courant musical en marge du hip hop et de l’expérimental, Jonwayne réinvente le rap et son expression musicale. Précurseur il l’est. Rap Album Two est un album précieux, un album qui marque. C’est le retour d’un artiste qui était au bord du gouffre, les confessions intimes d’un type pas sûr de lui, d’un songwriter au profil de boy next door qui vous cloue au mur dès qu’il squatte le micro, et à qui on a juste envie de céder la place pour conclure :
And in the silence of settled dust, the irony of my situation emerged through the fog and tapped my shoulder. It almost seemed tragic, the one thing I could turn in the midst of all that: the music.
Juste après la sortie de cet opus remarquable, Jonwayne reprendra la route et distillera son spleen et ses notes de rédemption à la Bellevilloise le 1er mars prochain pour un concert qui s’annonce déjà comme une événement. TBPZ étant partenaire de cette date, on a le plaisir de vous offrir 2×2 places. Pour participer à notre concours, rien de plus simple :
Les heureux élus seront contactés par message privé courant février. Bonne chance !
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Pas de sortie vinyle ou cd de prévue ?