J. Cole aime se la jouer facétieux : deux ans jour pour jour après la sortie de 2014 Forest Hills Drive, le rappeur de Caroline du Nord a choisi de dévoiler le 9 décembre 2016 l’album 4 Your Eyez Only. Seulement pour nos yeux donc, voyons voir ce que le quatrième album du boss de Dreamville Records a dans le ventre.
Quelques jours avant la sortie de l’album, J. Cole nous gratifiait d’un documentaire en guise de promo, sobrement nommé Eyez, censé nous mettre l’eau à la bouche. Pendant quarante minutes environ, le rappeur nous offre une immersion dans son quotidien, de la sortie de 2014 Forest Hills Drive à aujourd’hui. Au programme, sessions studio, discussions profondes, parties de basketball mais aussi quelques inédits, dont « False Prophets ». On ne va pas se mentir, même si tout cela est sympathique, il faut avouer qu’il ne se passe pas grand chose…
Fortement influencé par les légendes des années 90, J. Cole a l’ambition de créer un « classique » à chaque nouvel album. Est-ce pour se donner plus de chance d’y parvenir que le titre 4 Your Eyez Only fait référence à All Eyez On Me, de 2Pac (qui était également son quatrième album) ? On aurait en tout cas pu trouver plus subtil comme hommage. Passé cette remarque, on peut se plonger dans ce projet.
Seulement dix titres au programme (un hommage à Illmatic ?), pas d’intro, pas d’outro, pas d’interludes ni de featurings, une production in-house sur presque tous les morceaux… J. Cole veut bien prouver qu’il n’a besoin de personne pour réussir. On remarque aussi que plus les années passent, plus ses albums sont courts. 16 morceaux pour Cole World et Born Sinner, 14 pour 2014 Forest Hills Drive, et donc 10 pour ce nouveau projet. C’est aussi le deuxième album consécutif sans featuring. Il est certain que Cole a aujourd’hui trouvé son univers et il ne veut pas y déroger. Cette intégrité artistique préservée fait par ailleurs partie des arguments « massue » de ses aficionados. On est d’accord avec eux sur ce coup là. Il en va de même sur les thèmes dominants, qui demeurent l’amitié, l’amour et la mort.
Malgré tout, J. Cole reste un lyriciste hors pair. C’est dans ce domaine qu’il excelle et il nous le démontre encore sur ce projet. 4 Your Eyez Only prend la forme d’un récit dans lequel le rappeur rend un hommage très personnel à un ami proche, désormais résident permanent du royaume des cieux. Cet ami, ex-rappeur et vendeur de crack, a ici pour pseudonyme James McMillian Jr., et les différents événements ayant émaillé sa vie servent aujourd’hui d’axiome à Cole, dans sa vie d’homme, de mari, et surtout de père de famille. Ses qualités de storyteller sont distillées avec homogénéité dans les neuf premiers morceaux. Avec une référence au classique « Pour Qui Sonne Le Glas » d’Ernest Hemingway dans « For Whom The Bell Tolls », une réflexion sur notre impuissance face à la faucheuse dans « Immortal » puis une dissertation sur la détresse provoquée par la célébrité dans « Ville Mentality », on devine d’emblée qu’ici, la gaieté ne sera pas de mise.
On le sait, ce grand gaillard d’un mètre 90 qu’est J. Cole est un grand sentimental. C’est ce qui lui permet de signer les deux premiers véritables instants de grâce de cet album. Comme son ami James McMillian Jr., il a réussi à trouver celle qui est amenée à partager sa vie jusqu’à la fin. Comme son ami, cette dernière a fait de lui le papa d’une petite fille. Malheureusement, le destin a décidé d’accorder (pour l’instant) à Jermaine la bénédiction de la vie de père, à l’inverse de James. Ce bonheur ultime teinté de désarroi constitue « She’s Mine, Pt. 1 » et « She’s Mine, Pt. 2 ».
Si les deux morceaux « She’s Mine » constituent deux réels temps forts de l’album, « Neighbors » est quant à lui le meilleur morceau, « rapologiquement » parlant. Sans co-producteur pour l’occasion (s’ils n’ont pas été mentionnés jusqu’ici, des producteurs comme Donnie Trumpet, Boi-1da, ou encore le canadien Frank Dukes font partie des mains invisibles de ce projet), avec une prod minimaliste qui ravira les amateurs de boom bap. J. Cole y raconte un incident survenu à son studio de Caroline du Nord en mars 2016, lorsque le SWAT fit irruption suite à une plainte de voisins soupçonnant l’artiste et ses comparses de fabrication et vente de drogue. Aucun stupéfiant ne sera finalement retrouvé.
« 4 Your Eyez Only » clôture ensuite avec brio cette oeuvre introspective. Toutes les questions que se pose l’auditeur trouvent ici réponse. Pendant presque neuf minutes, « 4 Your Eyez Only » lève non seulement le voile sur la mort de son acolyte, mais nous fait aussi découvrir qu’en plus d’être un album hommage à son ami décédé, cet album est aussi dédié à sa propre fille, à qui il témoigne de cette histoire comme d’une leçon de vie pour le futur. L’album entier fait ainsi le parallèle entre ces deux vies, entre celle de Jermaine et celle de James. Seul le dénouement diffère.
C’est un fait, Jermaine Lamarr Cole a une haute estime de son art. Un penchant qui le pousse parfois vers un certain nombrilisme, comme dans « Foldin Clothes ». De prime abord, ce morceau est dédié à Melissa Heholt, celle qui en plus d’être la (supposée) femme de sa vie, est sa meilleure amie. Mais en ré-écoutant ce track, on observe que J. Cole ne fait que se vanter d’avoir été présent durant les neuf mois de la grossesse de sa femme, preuve irréfutable de son amour. Soit. Avait t-il besoin d’y consacrer tout un morceau ? Pas sûr.
4 Your Eyez Only reste malgré tout un album séduisant, même si certains de ses défauts laissent penser qu’il ne passera pas l’épreuve du temps. Il pâtit notamment de son absence de tubes, et semble ainsi subir la comparaison avec son prédécesseur. De même, au niveau production, si tout est bien fait, rien ne ressort réellement du lot. Enfin, même si le storytelling est au point, la prise de risque s’avère minimale, notamment sur le choix des thèmes abordés. Probablement pas de quoi accoucher d’un classique.
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