Isaiah Rashad, la nouvelle révélation de chez TDE
Il est de plus en plus difficile en 2014 de faire la différence entre une mixtape et un album au sens « officiel » du terme. L’époque où les rappeurs faisaient circuler sous le manteau des cassettes enregistrées avec peu de moyens, voire pas de moyens du tout, est belle est bien révolue. Les formats numériques permettent à beaucoup de jeunes loups de lancer leur carrière rap. On pense notamment à Joey Bada$$ ou Bishop Nehru qui sont très rapidement devenus incontournables sur la scène rap actuelle. Isaiah Rashad, avec Cilvia Demo, pourrait très bien être l’un d’eux. Signé chez Top Dawg Entertainment – le label qui a révélé Kendrick Lamar (par une série de mixtapes, lui aussi) – Isaiah Rashad a déjà su créer les bonnes connections.
Isaiah Rashad n’a pas grandi à New York, ni même à L.A., mais à Chattanooga dans l’état du Tennessee. L’influence sudiste est très présente dans sa musique. Gamin, Isaiah a sans doute passé des heures à écouter les disques d’Outkast. Pour Cilvia Demo, il a fait appel à une dizaine de producteurs différents dont the Antydote, Black Metaphor, Chris Calor, Farhot… L’ensemble garde tout de même sa cohérence, et on reconnait clairement le son TDE. La production est assez proche de ce qu’on pouvait entendre sur les mixtapes d’Ab-Soul et Schoolboy Q. On est d’accord, Cilvia Demo ne sera pas la mixtape que vous passerez en soirée pour mettre l’ambiance. Le tempo des morceaux est très lent, donnant à certains d’eux des airs de lamentations dépressives (ce qui est parfaitement adapté aux thématiques développées dans certaines des chansons). Beaucoup d’écho, de chœurs, de nappes de synthé qui forment d’agréables coussins sonores. Bref, les instrus sont très reposantes, peut-être trop. Vous écouterez donc cette mixtape enfoncé dans votre canapé, un jour de procrastination effrénée, ou le lendemain d’une soirée un peu agitée. Une des rares chansons à se détacher des autres par sa production est « Webbie Flow » et sa rythmique reggae.
Au nom du père
Le propos de Cilvia Demo peut se décomposer de manière assez claire. Primo, Isaiah en veut à son géniteur qui n’a jamais su être père. Les affres de l’adolescence passant par là, il commet plusieurs tentatives de suicide.
« My daddy taught me how to drink my pain away /My daddy taught me how to lease (leave) somebody / My daddy taught me how to smoke my load and go / My daddy taught me you don’t need nobody. »
« See I don’t wanna think of suicide / So please don’t take the lock key off my door. »
Isaiah en a gros sur la patate et se lance dans le rap. La suite on la connait, il signe chez TDE, perce dans le milieu et découvre tous les à-côtés associés au succès. Pas besoin d’épiloguer là-dessus, on retrouve les clichés habituels du rap, le classique bitches’n’money. Heureusement Isaiah Rashad dévoile un imaginaire un peu plus riche que la moyenne en la matière. Il vise le rap conscient, il voit un peu plus loin que l’argent et les filles faciles. La question raciale notamment est présente dans la chanson « Ronnie Drake » :
« Came a long way from a boat and an auction / Now we got names and a vote, then a coffin / Ain’t shit change but the coast we adopted / Little black children you can call me that nigga, nigga. »
Isaiah Rashad – Soliloquy
Au-delà du succès professionnel, c’est la vie sentimentale, puis familiale qui va prendre de plus en plus d’importance dans la vie d’Isaiah. Il rencontre le grand amour, dont nait un jeune garçon en 2013. Sans doute marqué par sa propre enfance, le jeune rappeur lutte contre les démons de l’alcool et de la drogue afin de pouvoir assumer son rôle paternel. Il semble se lasser de la vie de rappeur qui n’apporte aucun sens à sa vie. Le jeune Isaiah questionne sa propre foi tout au long de Cilvia Demo :
« We’re tranquil for a Brutus, hey / And hard road for a Ceasar, hey / Well, who came from the heavens? / They kill for a blessin’, they gon’ do it to Jesus. »
On remarque qu’il prend une certaine distance avec la scène rap actuelle et qu’il ne souhaite pas se faire dicter ses choix de carrière :
« I’m praying for some good rappers and a fleetwood / Why I gotta bring my A game? You just D goods / We don’t wanna hear that weak shit, nigga speak up / Rocking old flows corn rows and a beeper. »
Les textes d’Isaiah Rashad sont truffés de double sens, et plus riches que la moyenne de ce qui se fait actuellement. Les invités sont très rares sur cette mixtape infiniment personnelle. SZA et Jean Deaux viennent poser leurs douces voix sur une poignée de refrains, et Michael Da Vinci exécute un couplet sur la chanson « Brad Jordan ». Cilvia Demo possède de très bon points forts, surtout concernant l’écriture des textes. Isaiah Rashad a une bonne plume, de l’imagination et des choses à dire. Ma réserve sur la mixtape vient plutôt de la production et du flow. Le produit final ressemble un peu trop à ce que l’on peut entendre chez les autres membres de l’équipe TDE. On a parfois l’impression de voir appliquer une recette trop maitrisée et formatée. Il manque juste à ce jeune talent une identité sonore propre, chose qu’on ne peut qu’espérer pour le prochain opus.
Cilvia Demo est disponible sur iTunes : Digital