Cinq ans d’attente. Cinq années où Hugo TSR est resté presque silencieux en solo. Car mis à part le premier extrait « Là-Haut« lâché avec un clip durant l’été 2016, le MC du 18e a été plutôt discret. Bien sûr dans l’intervalle, il délivra avec son crew le très bon album Passage Flouté, mais compte tenu des attentes de ses auditeurs, cette période put paraître néanmoins interminable. Un deuxième single dévoilé il y a 10 jours et voilà l’album enfin entre nos mains et nos oreilles. L’occasion pour nous de faire le point sur cet album tant attendu et de tirer les premiers enseignements sur l’évolution artistique d’Hugo Boss.
Après une première écoute, le sentiment immédiat qui nous vient à l’esprit est sans doute cette impression de « continuité ». En effet, le rappeur de la ligne 12 n’a pas modifié la formule secrète qui a fait jusqu’alors son succès à savoir des productions boom-bap qui claquent, des extraits de films célèbres, des samples de piano et violon, des voix asiatiques pitchées et passées sous différents filtres ainsi qu’un flow facilement identifiable dans le paysage du rap français. Ce parti pris ravira autant les fans de la première heure qu’il décevra les amateurs de prises de risques. Mais ce premier constat étant, penchons-nous plus en détail sur cet album au centre de tant d’attentes et de fantasmes de la part de ses fans.
Le 18e arrondissement comme capitale
Tous les ingrédients décrits précédemment se retrouvent dès le premier titre « Rei« qui compte d’ailleurs parmi les meilleurs morceaux de l’album. Un beat efficace se découvrant avec une voix samplée qui rappelle un peu l’ambiance du titre « Là-Haut » sorti un an auparavant et nous voilà replongés dans l’ambiance des précédents opus de Hugo ou du TSR Crew. Si les thèmes abordés paraissent familiers, c’est que le MC du 18ème les porte haut et fort depuis le début : description ultra réaliste des bas fonds du 18e, constat social effarant, nostalgie et pessimisme quant à un avenir plutôt sombre et parfois même égotrip.
Dans ce nouvel album, le MC nous prouve une fois de plus qu’il maîtrise à merveille l’exercice de narrateur, de témoin de son quartier comme dans le (court) morceau « Autour de moi » qui rappelle les grands morceaux descriptifs de son album majeur Fenêtre Sur Rue. Cette maîtrise toujours intacte du style Hugo TSR est due selon l’artiste à la répétition comme décrit dans le morceau « Exercice« , le rappeur-beatmaker y précise la nécessité de toujours s’exercer pour rester au niveau dans un morceau à forte tendance egotrip. On peut alors se dire que cette maîtrise pourrait sans doute être accompagnée d’un peu de renouveau, mais serait-ce alors du Hugo TSR ?
En décalage avec les vieux de son âge
Tel l’albatros de Baudelaire illustrant l’artiste peu à l’aise dans son environnement, Hugo TSR peine à trouver sa place dans cette époque dans laquelle il ne se retrouve pas. A la lumière des médias et des projecteurs, Hugo préfère les pénombres de son quartier ainsi que l’anonymat de sa capuche vissée sur son crâne d’éternel migraineux. À la trap actuelle cartonnant dans les bacs, le boom-bap ultra classique mais néanmoins toujours aussi efficace lui est encore et toujours préféré.
Tel un iceberg qu’on identifie (à tort) seulement à sa partie émergée, Hugo se déclare bien plus complexe et mystérieux que ce que son quasi anonymat laisse paraître. Un artiste résolument « En Marge » de ce qui inonde nos ondes FM et les médias de mass market, qui assume et revendique un style militant qui ne peut nous empêcher de penser au groupe underground Assassin d’alors qui représentait déjà le XVIII°, le graffiti tout en enfouissant leur visage derrière des capuches. Hugo est donc en 2017 un véritable artiste en marge, qui observe avec beaucoup de recul ce qui se fait par ailleurs, sur sa butte de Montmartre, « Là-Haut« , comme pour mieux prendre de la hauteur, après avoir décortiqué le monde de sa fenêtre.
L’artiste appuie plus encore sur le décalage qui existe entre lui et sa génération dans le titre “Les vieux de mon âge”. Ce track est l’occasion pour le MC de dresser le portait au vitriol du comportement de cette génération remplie de paradoxes. On sent Hugo au bord de l’écœurement dans cette exercice. Là-encore, l’artiste à fleur de peau s’exprime à cœur ouvert, quitte à accentuer une nouvelle fois cette marginalité qui semble tant lui coller à la peau. Mais l’artiste en profite pour mettre les points sur les « i » : cette différence tant remarquable n’est en fait que la matérialisation de sa propre liberté face à un monde sans âme où chacun n’est qu’un automate sans but.
Ce point de vue est illustré par le biais d’extraits audio admirablement bien choisis venant renforcer la portée du morceau. Le titre “Pauvre roi” vient d’ailleurs faire écho au premier morceau en présentant plusieurs personnages ayant comme point commun le fait de s’être créé un royaume artificiel, vide de sens, fondé uniquement sur les apparences et la superficialité. Mention spéciale à l’instru produite par Hugo, très simple, mais avec un sample incroyable sur le refrain.
La cage d’escalier comme prison
Difficile de savoir s’il faut saluer le talent évident de cet artiste si atypique qui brille autant par sa technique que par son univers et son intégrité. Ou déplorer le manque de prise de risque qui aurait fait de cette œuvre une étape supplémentaire dans sa carrière déjà riche. C’est peut-être le titre “La Cage” qui illustre le mieux la situation dans laquelle Hugo est enfermé : l’allégorie de la cage d’escalier comme point de repère. Lieu de réunion et d’échange qui tend à enfermer l’auteur dans une certaine rhétorique quelque peu répétitive : son quartier, les gens qui y habitent, la société de consommation… Les thèmes évoluent peu depuis les premiers albums et pourront finir par essouffler même les amateurs de la première heure.
Reste pour autant une œuvre d’ores et déjà emblématique qui malgré le flux de sorties d’autres projets concomitant à la sienne, s’assoit déjà comme un des meilleurs albums de rap de cette année et ce, sans aucune promo ni relais médiatique. Tout simplement admirable.