Categories: AnglophonesChroniques

Homeboy Sandman – Hallways

Dans la galaxie des emcees, Angel Del Villar II, aka. Homeboy Sandman, 33 ans, rappeur du Queens d’origine dominicaine, et ancien enseignant de la NYC Public School, mérite plus qu’une oreille attentive. Langue et plume acérées, il publie régulièrement des chroniques pour le Huffington Post et participe en tant que coach à plusieurs saisons de la célèbre émission Made de la chaîne MTV. Au printemps 2012, à l’occasion de la sortie de son EP Subject: Matter, il est repéré par le magazine Rolling Stone qui souligne son talent pour l’écriture et son plaisir de manier la langue (« he has a skill for wordplay that keeps you hooked »). Musicien à temps complet depuis 2006, il a, à son actif, 5 EP et 1 premier album First of a Living Breed, sorti sur Stones Throw Records chez qui il signe fin 2011. En cette rentrée des classes 2014, son deuxième album, Hallways, est enfin dans les bacs.

HOMEBOY SANDMAN OU L’EXIGENCE D’UN RAP INSPIRÉ

Dans la lignée de son premier album, puis du troublant EP Kool Herc: Fertile Crescen classé par HipHopDX parmi les 25 meilleurs albums de l’année 2013, et enfin du génial EP White Sands produit par Paul White et sorti en début d’année, Hallways frappe d’abord par sa maturité artistique.

Chronique de son propre monde en crise, Hallways développe toutes les palettes du talent de Homeboy Sandman en 12 titres rigoureux, dont chacun est produit par les beatmakers parmi les plus intéressants et polyvalents du game (DJ Spinna, Blu, Oh No, Jonwayne, J-Live, 2 Hungry Bros, Knxwledge, Inspirimentalist, J57, et enfin – hors zone – le compositeur hollandais Jozef Van Wissem). Loin de la simple accumulation de signatures, la diversité des beats bluffe par la cohérence qu’elle donne à l’empreinte musicale de l’album. L’explication semble assez simple dans la bouche de Homeboy Sandman : « I don’t really choose producers. I choose beats and these beats spoke to me. They had stories in them for me to extract or were able to extract stories that were in me ». (interview Amoeblog, sept. 2014).

Premier single de l’album, sur une production de Jonwayne, « America, The Beautiful » est une vraie réussite. La patte de Jonwayne – une boucle entêtante qui conjugue des beats sourds et lents à une simple vocalise a cappella samplée avec une efficacité redoutable – se cale parfaitement au flow récitatif et nasal de Homeboy Sandman. Un subtil ajout d’ambiance à 1’38 (musique de manège qui rappelle le leitmotiv musical du film M le Maudit de Fritz Lang) sublime le tout.

Le ton est donné : clairvoyant, précis dans ses images, juste et glaçant dans son humour. L’Amérique telle qu’il la vit, l’Amérique telle qu’elle est.

Running water / Three bedrooms / A public school for every quarter / A store on every corner / A public defender, appointed to every pauper / Affordable Jet Blue / Any one of you can board a flying saucer / Access to cough drops and pork chops / Sports facilities in the vicinity for free / You must be kidding me this ain’t the place to be.

Les deux musiciens se connaissent bien pour avoir déjà travaillé ensemble sur Subject: Matter, ainsi que sur les titres « Rain » et « Not Ready » présents sur First of a Living Breed. La collaboration fonctionne. On le ressent aussi sur le titre « Refugee » où flotte un air inspiré de The Score des Fugees, aussi bien dans l’utilisation du sample d’un riff de guitare que des appuis vocaux à la Wyclef Jean sur le refrain.

LA MAGIE DU DISCOURS, LA POESIE DU RYTHME

La force de Hallways est d’imposer de fait Homeboy Sandman comme un storyteller incontournable.

La pochette de l’album annonce d’entrée les choix thématiques et musicaux : canevas de couleurs, de sons, d’inspirations. Expériences de vie, anecdotes, pensées introspectives se mêlent et s’entremêlent. Le rappeur se raconte sans détours. Il se soumet même brillamment à l’exercice de l’autoportrait sentimental sur le titre « Grand Pupa »,  évoquant sa vie sexuelle et amoureuse, et sa peur de la solitude :

Ever since it seems the thought of being alone has always frightened me / To the point that people used to liken me / To some type of player / But I wasn’t playing.

Tranches de vie, les douze titres de l’album enchaînent préoccupations intimes dans un monde en crise, préoccupations sociales dans un univers intimiste.

« Problems » est un petit bijou d’humour new-yorkais :

I’m surrounded by hipsters / What does that say about me? / Maybe I’m not being honest with myself / Hipsters love independent movies / Shit, I love independent movies / Actually, I just like independent movies / So I think I’m cool there.

De « 1,2,3″ à « Enough », le rappeur use avec malice des assonances et allitérations qui concluent presque de manière systématique les lyrics et donnent ce ton si particulier à son flow. Sur le titre « Loads », la musique disparaît presque sur les couplets. Le duo talentueux de producteurs new-yorkais, 2 Hungry Bros, offrent à Homeboy Sandman, et à Blu qui l’accompagne, un titre d’une rare préciosité rythmique où fusent des jeux de mots ravageurs.

If I can’t pay/ somebody should not care.
If I came late / be happy I got there.

Hallways est un album où il faut tout prendre au pied de la lettre, se prendre au jeu, prendre le temps, histoire de saisir les multiples effets, astuces sonores, trucs vocaux et autres jeux de pistes que Homeboy Sandman distille tout au long de l’album avec une passion communicative pour son art  : humour décalé, auto-dérision, regard aiguisé sur ce qui l’entoure. Hallways ne se donne pas facilement mais c’est un album addictif.

Vous l’aurez compris : Hallways est une merveilleuse surprise de rentrée, un album qui ravit les sens et satisfait l’intellect. Homeboy Sandman a creusé un sillon exigeant, imposant sa cadence vocale sur des productions léchées, accompagné par des featurings soignés (Oh No, Blu, J-Live, Kurious). Mais surtout il possède cet univers où se mêlent petits tracas, grandes histoires, folies quotidiennes et moments intimes. Bref, ça nous parle, et on a hâte de replonger à nouveau avec lui dans ce bric-à-brac mental foisonnant de subtilités linguistiques et de raffinement musical.

Anaïs Le Brun

Tel JuL, elle a pris le large. Sa plume manque à l'équipe comme Juvie à Lil'Wayne. ? #IMissMyDawgz

View Comments

Recent Posts

J. Cole, Mozzy, Boldy James… les sorties d’albums de la semaine

Au programme de cette semaine de sorties, J. Cole nous dévoile 8 titres inédits pour…

2 jours ago

Heavy Rotation #493

Tracklist de la semaine Titre Artiste(s) Album "Thank You" Snoop Dogg, Dr. Dre Missionary "ROTHER"…

6 jours ago

Snoop Dogg, DMX, Roc Marciano… les sorties d’albums de la semaine

Les OG’s sont de sorties cette semaine : A commencer par la collaboration entre Snoop Dogg…

1 semaine ago

Heavy Rotation #492

Tracklist de la semaine Titre Artiste(s) Album "Maybe In Nirvana" Smino Maybe In Nirvana "Benjamin…

2 semaines ago

Lyele, cador de la trap nouvelle génération, en cinq productions

Le Marseillais dévoile sa première mixtape "Baked", laquelle réunit entre autres La Fève, Tiakola, Steban,…

2 semaines ago

SCH, Smino, Apollo Brown… les sorties d’albums de la semaine

La fin d’année approche à grands pas et nous réserve encore quelques belles surprises pour…

2 semaines ago