À 45 ans, Ghostface Killah n’est toujours pas prêt à jeter l’éponge. Non content de persévérer dans le rap game, il fait partie des artistes les plus productifs du moment. Moins de 5 mois après Sour Soul enregistré avec le trio canadien BADBADNOTGOOD, GFK revient avec Twelve Reasons To Die II, la suite des aventures de Tony Starks et de la famille DeLuca. Ce nouvel opus, fidèle à l’esthétique « morriconienne » des albums précédents, plaira aux fans mais ne parvient pas à faire oublier un Supreme Clientele ou un Fishscale.
L’autre star de Twelve Reasons To Die (les deux volumes) c’est ben sûr Adrian Younge. Le producteur californien a su s’imposer ces dernières années comme l’une des figures emblématiques d’un renouveau soul psychédélique, une réponse plus contemplative et sombre au funk festif proposé par les artistes du label Daptone Records. Il s’est fait connaître en 2009 en composant la bande originale du film Black Dynamite. À ce film hommage au courant blaxploitation il a donné une atmosphère pesante et enfumée, rappelant par moments les bandes sonores des maîtres italiens Ennio Morricone, Piero Umiliani ou Bruno Nicolai. On comprend donc que Younge a joué un rôle très important dans la transformation esthétique inspirée par l’univers du « giallo » opérée par Ghostface depuis 2013.
Le « giallo » est un genre cinématographique mêlant à l’écran scènes de meurtres sanglantes et scènes érotiques, dans une ambiance de mystère vaguement fantastique. Très populaires dans les années 60 et 70, les gialli sont peu à peu devenus d’étranges objets de culte pour passionnés du cinéma d’exploitation. On savait les membres du Wu-Tang fascinés par les films de samuraï – RZA en particulier – on a depuis découvert le penchant de Ghostface pour le cinéma érotico-gore de série B. L’histoire qu’il nous conte sur les deux volumes de Twelve Reasons To Die est très marquée par cette influence. Et comme GFK restera toujours GFK, il a aussi fait de ce Twelve Reasons To Die un comic, rendant ainsi la trame du récit plus accessible.
Voici comment on peut résumer cette sordide histoire de vengeance. Tony Starks est l’homme de main de la famille italienne DeLuca. C’est lui qui fait le sale boulot, mais c’est finalement lui qui obtient le respect dans le milieu. Lassé du manque de considération des DeLuca pour lui il quitte la famille pour monter son propre clan, le Black Syndicate. Ce faisant il déclenche une guerre sans merci entre les deux mafias concurrentes. Comme si cela ne suffisait pas, Tony tombe pour Logan, la fille du patriarche. C’est elle qui finit par le trahir, le livrant aux DeLuca. Précipité dans un chaudron de vinyle en fusion, Tony connaît une mort atroce. Ses restes mêlés au vinyle seront pressés en douze disques, un pour chaque membre de la famille. Lorsque l’un de ces disques est joué, Ghostace Killah, le fantôme de Tony apparaît, déchainant sa colère destructrice à l’encontre de ses meurtriers.
L’idée de départ à le mérite d’être originale. On ne reviendra pas sur le premier volume, qui était plutôt réussi tant du point de vue de la prestation de GFK que de celle d’Adrian Younge. Pour ce deuxième volet, Ghostface réapparaît dans le New York des années 70, où les survivants de la famille DeLuca se sont installé. Comme lors du premier épisode, c’est RZA qui en voix off renseigne l’auditeur sur les développements de l’intrigue. À la fin de « The Return Of The Savages (Feat. Raekwon) », il introduit au tableau un nouveau personnage: Lester Kane (incarné par Raekwon). Ce dernier a vu sa famille assassinée par Luther Luca. Lors d’une descente dans un club du clan DeLuca, Lester met la main sur douze vinyles qui reposaient dans un coffre fort. Rae apparaît donc sur 5 morceaux de l’album, comme pour nous rappeler la bonne époque de Only Built 4 Cuban Lynx… Avec RZA, on arrive à un tiers du Wu-Tang présent sur le disque.
À l’écoute de Twelve Reasons To Die II, on constate qu’une nouvelle fois Adrian Younge a assuré. Multi-instrumentiste, il a joué d’une dizaine d’instruments lui même lors de l’enregistrement des parties instrumentales. Le matériel utilisé en studio est entièrement analogique, ce qui confère cette atmosphère si chaleureuse au disque. Esthétiquement, le résultat est très fidèle au « style Morricone ». Certains trouveront peut-être les instrus peu mélodiques et un peu sèches. Cette impression vient sans doute de la comparaison avec la sonorité très planante qu’avait su créer BADBADNOTGOOD sur Sour Soul, et du fait qu’Adrian Younge n’a pas peur de la dissonance et des harmonies plus risquées. Le morceau « Resurrection Morning » est un très bon exemple de ce dont Younge (bien aidé par la voix de Bilal) est capable en matière de création sonore.
En plus de Raekwon, GFK s’est entouré d’une bonne poignée d’emcees bien affutés. Il a notamment invité un des rappeurs les plus hype du moment: le jeune Vince Staples. Sur « Get The Money », il délivre un couplet propre et en place, sans impressionner. C’est de bonne guerre, il joue son rôle de « jeune talent » sur l’album d’un vétéran. Une caution pour ses plus jeunes auditeurs en quelque sorte. Ghostface Killah a également réussi à rassembler sur « Death’s Invitation » trois rappeurs plutôt inattendus. En effet, on n’aurait pas parié sur la participation de Scarub (du crew Living legends), Chino XL et Lyrics Born (de Latyrx) à un album d’un membre du Wu-Tang. La voix caverneuse de Lyrcis Born se prête particulièrement bien à l’exercice, on est immergé dans cette scène de carnage. Malgré un concept séduisant et une atmosphère particulièrement travaillée, force est de constater que Twelve Reasons To Die II laisse un peu sur sa faim. Il semblerait que GFK ait perdu un peu de la finesse et de l’émotion qui caractérisaient ses premiers disques. La seule chose qui transparait dans ce nouvel album est la brutalité sans nom du fantôme de Tony Starks. Point de tourment, point de sentiment. Le Ghostface qui nous faisait lâcher une larme pour sa maman sur « All That I Got Is You » parvient à peine à nous faire croire à l’amour de Starks pour Logan Luca. Les textes de GFK sont un peu trop « premier degré », le tout manque un peu de fantaisie et de poésie. On ne peut pourtant pas faire le même reproche au cinéma de Dario Argento, le maître du « giallo »…
Si vous avez aimé le premier volume de Twelve Reasons To Die il n’y pas de raison que vous soyez dérouté par la suite. N’y cherchez cependant pas une prouesse, ce nouvel opus est finalement plus intéressant sur la forme que sur le fond. Il manque également l’effet de surprise qu’avait pu provoquer la première partie des aventures de Starks et son fantôme il y a deux ans. La présence de Vince Staples ne réussit pas à insuffler suffisamment de fraicheur au projet. Twelve Reasons To Die II est donc à conseiller plutôt aux fans de Ghostface, ou encore aux amateurs de musique de film qui apprécieront le travail réalisé par Younge et la superbe illustration de la pochette du disque. Si vous devez choisir un disque de Ghostface Killah sorti en 2015, tournez-vous de préférence vers Sour Soul qui avait le mérite de proposer quelque chose de totalement nouveau dans son univers musical.