Georgio – Héra

Avec Héra, son deuxième album, Georgio révèle de profonds changements sans jamais renier ce qu’il est.

Il y a quelque chose de toujours très impressionnant chez Georgio, c’est que malgré son jeune âge – il n’a que 23 ans, ses textes sont d’une profondeur rare et son écriture est d’une puissance rarement atteinte, même par des artistes plus âgés. C’était déjà le cas dans son premier album, Bleu Noir, un bijou de mélancolie et d’introspection, ça n’a pas varié pour son deuxième opus Héra. Ou plutôt si, il semble bien que Georgio, légèrement plus âgé mais surtout plus expérimenté ait pris encore plus confiance dans son art. Résultat, une écriture au cordeau que l’on pourrait lire comme de la poésie si on venait à enlever la musique et à coucher ses mots sur du papier. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. A titre d’exemple, la dernière fois que j’ai écrit quelque chose du même style, je parlais d’un disque d’Oxmo Puccino, c’est dire si la comparaison vous pose le bonhomme.

Du changement dans la continuité

Et puis, Georgio a changé, c’est une certitude. Bleu Noir était vraiment très sombre, à l’image de son titre, reflétant l’état d’esprit d’un homme dépressif ou en tout cas, salement secoué par la vie au point de se demander comment et surtout pourquoi continuer à vivre. Si Bleu Noir était clairement cathartique, Héra est plus ouvert. Cette fois, même si la noirceur est une caractéristique évidente du style et de la vie de Georgio, il y a une différence de taille : il y a de l’espoir et l’envie d’aller de l’avant. Georgio a retrouvé confiance dans la vie grâce à l’amour et à l’amitié, deux sentiments forts qui lui permettent désormais d’envisager l’avenir avec moins de rudesse que par le passé même si les regrets et son attitude à fleur de peau ne sont jamais loin. Exemple criant avec le titre « Du bout de mes dix doigts » qui revient sur le cimetière de la jeunesse et des illusions perdues, de ce moment qui est passé trop vite, parfois avec difficulté voire violence. L’espoir n’existait pas à cette période, c’est une notion qui est revenue bien plus tard. Mais c’est aussi une base qui sert à Georgio pour envisager d’aller maintenant plus haut et plus loin. Et si Georgio apparaît un peu plus optimiste dans ce disque, c’est aussi parce qu’il a peut-être rencontré l’amour, c’est tout le sens d’un morceau comme « Héra » qui, rappelons-le, est la déesse du mariage et la protectrice des femmes. Forcément, Georgio apprécie différemment le goût de la vie aujourd’hui. Plus heureux, il est aussi certainement plus sûr de lui. En tout cas, il semble apaisé, moins angoissé, plus libéré, ça se ressent dans sa musique car si la base est clairement hip-hop, d’autres influences viennent s’ajouter pour donner à Héra un élan quasi mystique, fort et puissant.

Noir c’est noir

Pour autant Georgio n’est pas complètement guéri. S’il se lance dans le storystelling, c’est pour raconter l’histoire d’un soldat (« La vue du sang »), d’une femme battue (« Mama Rita ») et d’une prostituée (« Svetlana & Maïakovski »), ce qui revient à dire que le mal-être qui le consume n’est peut-être pas tout à fait éteint. Pire, il semble bien que le feu couve toujours à l’intérieur (« Brûle ») et que heurté par ses émotions, il pourrait se laisser déborder. Et si jamais il s’attaque à des sujets politique ou sociaux, Georgio est lucide et sans concession. Il n’exagère rien, se contentant de décrire ce qu’il voit et ce qu’il ressent avant  d’asséner ce qui sonne comme une évidence : « on n’y croit plus à la politique » le tout drapé dans une posture de défiance face à l’avenir se faisant de fait le porte-parole d’une grosse partie de l’opinion publique. Sa noirceur, sa nature profonde resurgit ici, mais il ne fallait pas croire que tout allait s’effacer en un claquement de doigt… Lui aussi doit se battre contre cet état de fait et ses sentiments, alors il veut désormais essayer de vivre vite et fort (« La terre je la dévore ») afin de stopper la progression de son côté obscur qui le tire vers le bas pour vivre mieux. Comme tous les gens dans son cas, il doit lutter pour mieux accueillir la lumière et se forcer à regarder vers le haut (« Promis j’arrête »). Georgio a clairement du mal à s’arracher à l’obscurité qu’il retrouve partout où il pose les yeux alors il essaie de se distancer de son « ex-moi » et, sans jamais oublier ni qu’il est ni d’où il vient, il pense à ses rêves et à ce qu’il lui reste à accomplir, ce qui est beaucoup plus positif. Georgio progresse, dans sa vie et dans son rap, bien aidé en cela par des prods très fortes mais finalement très simples, ouvertes et aériennes qui créent une atmosphère propice à développer ses sentiments.

Alors rassurez-vous, Georgio va mieux et sa musique s’en ressent. Avec Héra, il signe ainsi une œuvre poétique pleine de sentiments qui vous accrochent dès les premières notes. Fort, très fort.

Grégory Curot

Passionné de rap français depuis 1990, il a été journaliste à RER, RAP MAG et Daymolition. Il a vu l’envers du décor et vécu des choses folles avec ses idoles.

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