Fort de son Petit Pays, premier roman traduit dans plusieurs langues et maintes fois salué par l’élite littéraire française, Gaël Faye revient aux affaires en nous proposant son deuxième effort solo, sous la forme d’un EP de 5 titres, mystérieusement intitulé Rythmes et Botanique.
Il ne reste dans l’air que des reliquats des exaltations de ces derniers mois. Mais mon Dieu, que cette tempête médiatique fut éreintante. Il faut bien avouer que l’on avait rarement assisté à une telle déferlante pour un premier bouquin : Prix du roman Fnac, Prix Goncourt des Lycéens, Prix du premier roman, finaliste du Goncourt, j’en passe et des meilleures. En cette fin d’année 2016, il n’est pas malavisé d’affirmer que Rythmes et Botanique attendra encore un peu plus dans les cartons de ses propriétaires avant de pointer le bout de son nez. Car oui, cela fait déjà quelques temps qu’une bonne partie de l’album est bouclée, les premières strates du projet ayant été exhumées il y a un peu plus d’un an maintenant sur la scène du New Morning.
Pris dans l’oeil du cyclone, l’équipe de Gaël Faye a judicieusement choisi de se rattacher à l’adage « chaque chose en son temps ». Et puis l’opportunisme, ce n’est pas vraiment le genre de la maison. Cette visibilité médiatique dûment gagnée arrivant à point nommé, elle octroie à ses concepteurs le temps nécessaire pour fignoler encore un peu plus leur dernier-né.
Il est dit que le deuxième album d’une discographie est le plus compliqué à appréhender pour un artiste. Il serait considéré comme le tournant un peu casse gueule qui le définirait pour le restant de ses jours. Rien que ça. L’album Pili Pili sur un Croissant au Beurre avait fait le pari de s’appuyer sur une trentaine de musiciens. Prenant son contre-pied, cet opus repose sur une formation en trio, pour ne pas dire un triptyque. Gaël Faye à l’écriture, Blanka (beatmaker de La Fine Equipe) à l’arrangement et Guillaume Poncelet à la composition et à la direction artistique.
Le titre laisse songeur, d’aucuns pourraient se demander s’il est bien raisonnable d’associer deux termes aux significations si distinctes. Se plonger à tympans perdus dans l’écoute de l’EP peut certainement offrir un début de réponse convainquant. Pendant vingt minutes, s’entremêlent ainsi des rythmiques métronomiquement cadencées et des textures organiques plus fibreuses issues d’un piano droit, d’une trompette ou encore de percussions. Là résidait le pari, à priori risqué, de faire cohabiter les boites à rythmes et les synthétiseurs de l’esprit fantasque de Blanka, avec les touches boisées et cuivrées de l’esprit plus tempéré de Guillaume Poncelet.
Nous sommes en 2013, et de la fertilité des échanges entre Gaël et Guillaume né l’envie commune de bâtir un projet autour de la scène. L’enjeu avoué étant de pouvoir jouer la totalité de l’album en live, chose jusqu’alors compliquée étant donné la teneur orchestrale des morceaux de Pili Pili sur un Croissant au Beurre. C’est assez rare pour être souligné, mais l’EP studio naquit essentiellement d’un travail effectué sur le live.
Il apparait évident que le piano, bien que d’apparence discret, tient une place centrale dans le projet. Tracé puis érigé en fil rouge, il ne faut à Guillaume Poncelet que quelques notes, quelques accords pour faire mouche. Sans tomber dans le minimalisme, sa démarche d’élagage pour ne garder que l’essentiel apparait comme manifeste. En témoigne les envolées d’accords sur « Solstice », ou les variations colorées des notes fugueuses sur le morceau de conclusion. « A trop courir » justement, la couleur pouvant rappeler celle de « L’ennui des après midi sans fin », s’appuie sur un jeu au balai et au piano droit auquel est appliqué une sourdine. Cette dernière, agissant en feutrine, étouffe ostensiblement les aigus, et confère au morceau la mélancolie nécessaire au poète pour s’exprimer. La botanique s’immisce aussi sur « Irruption ». En écho aux paroles insurgées de Gaël, la trompette, premier amour du compositeur, vient sonner le clairon avec un intense solo aux accents réverbérés.
De son côté, Blanka s’en va garnir les cinq morceaux de trois samples. Un est tiré de « Grandma’s hands », fameux morceau du soulman Bill Withers. Les deux autres sont issus des pérégrinations de l’Américain Alan Lomax, ethnomusicologue et grand archiveur de musique. Ayant capté du son un peu partout dans le monde, il ira enregistrer en 1947 « Early in the Mornin' » et « Stackerlee » dans la prison américaine de Parchman, Mississippi. Ces deux samples intelligemment disposés sur la rythmique de « Tôt le matin » pour le premier et en refrain sur « Solstice » pour le second, viennent apporter l’authenticité du blues à la force de l’électro. Des risques sont pris dès les premières secondes de l’opus, comme l’effet Melodyne disposé sur la voix. Méthodiquement dosé, il permet d’aller chercher des notes improbables et ainsi faire chanter le parler-scander de Gaël. Après tout, ne dit-on pas que les matins se doivent d’être chantants ? On notera l’utilisation de wobbles et de nombreux éléments synthétiques disposés en reverse. La boite à rythme en épine dorsale, il lui arrive de se mélanger aux percussions tribales d’un « Solstice » ou de se retirer au profit d’une batterie jazz sur « A trop courir ».
Si son premier album était un riche patchwork dépeignant ses propres expériences de vie, Rythmes et Botanique a clairement été conçu à travers le prisme de l’humain et de l’universalité des luttes. Dans la lignée d' »Alien », de « QWERTY », on y retrouve un Gaël Faye multiple, révolté, flâneur, rêveur ou encore amoureux.
Paris ma belle je t’aime quand la lumière s’éteint
On n’écrit pas de poème pour une ville qui en est un.
« Paris Métèque »
Ainsi, le porte-étendard du métissage y révèle avec une tendresse affable son amour pour Paris, invectivant la ville lumière à « cesser de faire briller les milles feux de [son] décor ». La capitale cosmopolite n’ayant pas besoin de tout ces artifices pour rayonner. La démarche n’étant d’ailleurs pas sans rappeler la déclaration, teintée elle aussi de Sodade, de 20Syl à son petit pays de Nantes dans « Quitte à t’aimer ».
J’effeuille les corolles de ce que l’on veut de la vie
Un peu de vent sur la peau, les caresses d’une fille
Ou s’envoler tout là-haut pour gratter l’équinoxe
Être un arbre écrivain en s’écorchant l’écorce
« Solstice »
Saul Williams, poète new-yorkais, et seul invité de l’album, se questionne sur la nature humaine. Est-il possible pour une espèce comme la notre de subsister lorsque celle ci se révèle être son propre prédateur ? Et Gaël de lui répondre que même si c’est quand même assez mal engagé, il n’est jamais trop tard pour atteindre le point d’orgue de nos existences : réapprendre le vivre ensemble, se satisfaire d’Être, pupitre de cordes en fond pour l’élévation, le solstice en somme.
A trop courir après mes rêves j’fais des claquages au coeur
Quand j’y crois plus je prends la plume pour prendre de la hauteur
« A trop courir »
D’un doux refrain chantonné, s’étale les affres d’un esprit qui se questionne. On y trouve une écriture appuyée d’une interprétation plus secrète et dérobée, orientée sur les espérances et les rêves fuyants de son homme. Comme une synthèse des thèmes abordés, Gaël remet les choses en perspectives et termine ce voyage tel qu’il l’a commencé, entre rythmes et botanique, au détour d’un piano droit.
On ne désigne plus l’ennemi, car il est partout même en nous
On va mourir debout parce qu’on a vécu à genoux
« Irruption »
S’il apparaît de plus en plus évident qu’une partie de la solution à nos problèmes viendra d’un rassemblement et du métissage universel, la vraie révolution se dessinera d’abord à l’échelle du Moi. Dans un contexte politique et humanitaire qui ne cesse de se dégrader, il ne tient qu’à nous d’ « arriver de l’aube en irruption spontanée ». Pas d’inquiétude à avoir donc, tant que les Prévert, Césaire et autres Gaël Faye sont là pour nous le rappeler.
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