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Dr. Dre – Compton

16 ans après 2001, Dr. Dre revient avec Compton, l’album de tous les dangers. Pour un producteur qui n’a plus rien à prouver, sortir un disque après une si longue absence est un peu casse-gueule. Plus personne ne l’attendait, et pourtant le voilà. Et la bonne surprise, c’est que Compton est un bon album qui marque une rupture avec le G-Funk qui avait fait la réputation de Andre R. Young.

Compton, c’est les grandes avenues sous le soleil californien, c’est les « crips » contre les « bloods », c’est le crack et la corruption. Compton, c’est aussi N.W.A. (voir notre dossier complet), DJ Quik et Kendrick Lamar… La capitale du rap West Coast en quelque sorte. Rien d’étonnant donc à ce que Dr. Dre, l’architecte du G-Funk, rende hommage à cette ville mythique de l’ouest américain. Mais revenons quelques années en arrière, ou plutôt une décennie. Dre annonce la sortie prochaine de Detox, son nouvel album. L’excitation de l’attente nait aussitôt chez les fans, qui n’en finiront pas de ronger leur frein. L’album, réalisé en collaboration avec des artistes comme Snoop Dogg, Eminem, 50 Cent ou encore Jay-Z, sera repoussé à 2008, puis 2009, puis 2010 et ainsi de suite. À ce jour Detox n’est pas sorti et ne sortira probablement jamais. C’est du moins ce que Dre a annoncé à la presse au début du mois, se déclarant insatisfait du travail effectué jusque là.

Compton n’est pas Detox. Il s’agit plutôt de chansons inspirées par le biopic « N.W.A.: Straight Outta Compton ». Les estimations pour la première semaine d’exploitation du film aux États-Unis se hissent à plus de 55 millions de dollars. Pas mal pour une sortie estivale. Dre a bénéficié du succès du film, réussissant à vendre environ 279 000 copies de Compton la première semaine. Les ventes sont bonnes, on pouvait s’y attendre, c’est Dr. Dre après tout. Le mec est businessman autant que rappeur. Mais il faut bien avouer une chose, la sortie d’un nouvel album du plus grand producteur de l’ouest a quelque chose de terrifiant. Même si j’étais trop jeune à l’époque de N.W.A., The Chronic ou Doggystyle, la musique produite par Dre à son apogée a participé à la construction de ma culture hip-hop. Des morceaux comme « Let Me Ride » et « Alwayz Into Somethin' » ont façonné mes goûts de manière irréversible. Bref c’est toujours la même chose: quand un vétéran rechausse les crampons pour sortir un nouveau disque, je flippe sévère. Personne n’aime voir chuter ses héros.

« I just bought Cali-fornia / Them other states ain’t far behind it either / I remember selling instrumentals off a beeper / Millionaire before the headphones or the speakers. » (« Talk About It »)

Le dilemme pour les vieilles gloires du rap est le suivant: continuer à faire du hip-hop à la sauce 90’s et s’aliéner le jeune public ou s’adapter aux tendances du moment et s’attirer les foudres des fans de la première heure. Sur Compton, Dre a fait son choix. Il produit un disque tourné vers l’avenir du rap et coupe définitivement les ponts avec le G-Funk. Pas si sûr, cela dit, que tous les amateurs de bon vieux son west coast soient écoeurés par ce nouvel album. D’abord parce que le mythique producteur a su bien s’entourer. Il a été épaulé à la prod par une équipe ultra motivée, composée de jeunes recrues et de vieux briscards (voir l’article détaillé sur les producteurs à l’oeuvre sur Compton). La variété des producteurs implique logiquement une grande variété dans la sonorité des morceaux de l’album. Signe que la rivalité east / west est oubliée depuis bien longtemps, Dre s’est même payé le luxe d’inviter DJ Premier sur « Animals », une jolie pépite façon boombap. À l’opposé du spectre, on trouve quelques morceaux qui flirtent avec la trap music: « Deep Water » (DJ Dahi, Dem Jointz, Focus…, Cardiak) et « Talk About It » (DJ Dahi). On a même droit à quelques expérimentations intéressantes, à des années lumières de ce qu’on aurait pu attendre sur un album signé Dr. Dre. « Genocide » en est un très bon exemple, avec la participation de Kendrick Lamar, le nouveau roi de la côte ouest.

L’autre bonne surprise sur Compton, c’est l’effort qu’ont fait les emcees pour rapper correctement, ce qui est loin d’être acquis lorsqu’il s’agit d’un album de producteur. Même sur « Talk About It », morceau très « trap », on a droit à une démonstration de technicité de la part de King Mez sur le dernier couplet. J’ai longtemps pensé que la trap music représentait le degré zéro du emceeing, me voilà corrigé. Côté bonnes prestations, on peut également citer Jon Connor, qui pose sa voix si particulière sur « One Shot One Kill » et « For The Love Of Money ». Signé depuis juillet 2013 sur le label de Dr. Dre, Connor vient s’ajouter à la déjà longue liste des artistes de la team Aftermath présents sur Compton. Les amateurs de R’n’B auront eux le plaisir de découvrir le très bon Anderson .Paak (à qui nous avons consacré un portrait début août). Ses refrains chantés et ses couplets apportent une touche un peu groovy à l’ensemble, et c’est plutôt agréable. Et Andre Young dans tout ça ? En plus de jouer les chefs d’orchestre dans un studio qui devait être bien rempli, il s’est gardé une place de choix au micro. Ceux qui connaissent The Chronic et 2001 sur le bout des doigts auront bien du mal à reconnaître sa voix. Sur Compton elle est moins grave, peut-être a-t-il travaillé avec des filtres… Côté flow, il fait le boulot, ni plus ni moins. Il faut avouer qu’il se fait parfois voler la vedette, notamment par son jeune protégé Kendrick Lamar. Je ne m’attarderai pas sur les performances en demi-teintes, car oui, il y en a. Ice Cube, par exemple, nous avait habitué par le passé à un flow plus percutant et technique. Eminem a définitivement arrêté d’essayer. Il se contente de brailler comme un veau, et ça fait mal à la tête. Pour Snoop Dogg c’est compliqué, il alterne bon et moins bon, son inspiration semble vaciller mais tout n’est pas perdu.

« My whole life all I ever thought about is grindin’ / Even though my surroundings only showed me crime and violence / That was back when a rapper needed guns way more than a stylist / And that was back when I felt like rappers was true mothafuckin’ riders. » (« All In A Day’s Work »)

Compton est certes un hommage à la ville qui a vu naître N.W.A., mais on peut être tenté de dire que c’est surtout un album à la gloire de son géniteur: le producteur-rappeur-businessman-milliardaire Dr. Dre. Un peu à la manière de Kanye West ou Jay-Z, Andre s’érige dans ses textes en légende vivante du rap et des affaires, le « winner » absolu en quelque sorte. Les artistes en featuring, quant à eux, n’en reviennent pas de l’incroyable chance qu’ils ont de figurer sur l’album et témoignent de leur immense respect envers lui. On a donc droit à beaucoup de fanfaronnade, beaucoup de bravade. Rien d’inhabituel sur un album de rap me direz-vous. Compton est avant tout un album de producteur, on reste un peu sur sa faim en ce qui concerne le storytelling et l’originalité des textes. Même Kendrick Lamar peine à insuffler un peu de lyricisme et de profondeur à l’ensemble. Mais du point de vue de la production, Dre a su prendre tout le monde à contre-pied. On est très loin de la tentative de rétablissement d’un « ordre ancien » du Hip Hop par un cinquantenaire nostalgique. Le vétéran de la west coast a su inscrire son retour dans le mouvement en présentant sa propre vision de ce que doit être un disque de rap en 2015. Certains morceaux comme « Genocide », « All In A Day’s Work » et « Animals » figureront pour sûr parmi les meilleurs de l’année. Après une si longue absence, Dre a plutôt bien négocié le virage qu’a pris le Hip Hop depuis la fin des années 2000.

Ed Pays

Envoyé spécial à Bordeaux. Spécialiste du rap de vieux, qui passe son temps à débattre de l'autotune. La dernière fois qu'il a écouté PNL, on l'a retrouvé en PLS.

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