Mentionné par Earl Sweatshirt dans une récente interview comme un de ses disques préférés de l’année, Martin Lucid Dream donne l’occasion de se pencher sur le cas de Denmark Vessey, talentueux et très prometteur rappeur de Detroit.
Empruntant son nom à un leader d’une révolte d’esclaves en Caroline du Sud (datant de 1822 et qui fût sévèrement réprimée), Denmark Vessey est un rappeur et producteur originaire de Detroit, installé à Chicago et membre du collectif Crown Nation comme Quelle Chris. On lui doit notamment des productions pour Danny Brown et Elzhi, un EP intitulé I’d rather be making bread, la mixtape Don’t drink the Kool Aid, un album avec Scud One intitulé Cult Classic en 2013 (sorti sur le label du producteur Exile) et un album d’instrumentaux en 2014. Là où Cult Classic était centré sur le
thème du pouvoir et notamment celui que s’octroient certains leaders religieux, Martin Lucid Dream, n’a pas une thématique aussi clairement identifiée. Mais on retrouve le ton iconoclaste de Denmark ainsi qu’un vrai talent d’écriture.
« Life is not supposed to be this way« : cette phrase est répétée dès le début du disque. Autant dire que ces jours-ci, elle sonne plus que jamais comme une phrase qui tape dans le mille. Là-dessus une bonne vieille sirène rententit comme dans un morceau de MF Doom. Ce premier morceau, « Warning« , compte un featuring de Guilty Simpson et la production claque dans le mille elle aussi: basses bien écrasées et des kicks de batterie qui sonnent comme des coups de fouet. Le morceau se termine en forme d’interlude avec un extrait de film, illustrant le côté foisonnant de tout ce EP qui
fourmille d’idées et de samples.
Une des constantes du projet est la qualité des productions: rien à jeter. Denmark Vessey est lui même également producteur et il a fait appel à Exile, Azarius et T White, avec qui il avait déjà collaboré. Au microphone, les invités sont aussi triés sur le volet puisqu’à part Guilty Simpson, on découvre Von Pea des talentueux Tanya Morgan, Black Milk, Mosel ou encore Stretch Money. Le morceau qui donne son nom au projet dispose d’un sample de flûte particulièrement entêtant, un peu comme celui du « Sure Shot » des Beastie Boys. Mais la rythmique est nettement plus jazzy et Von Pea lâche des rimes mémorables comme « I wrote an article for Life Hacker / It simply said: don’t be a rapper!« . Rimes aiguisées, production étincelante: on pense soudain au « Buhloone Mindstate » de De La Soul, rien de moins. Cette connexion se confirme avec le très efficace « Don’t smoke K2« : un texte brillant qui dénonce les ravages du K2, cannabis synthétique et bon marché, tout en soulignant la responsabilité des grandes firmes pharmaceutiques, l’un des constituants de cette drogue ayant à l’origine été découvert par une de ces entreprises.
L’excellent Nerd Niggas poursuit sur cette lancée et les rimes de Denmark reflètent des questionnements plus profonds que la plupart des productions actuelles.
Man I hate money cause its attached to survival
All you hear in these raps now is « Get money »
And I ain’t tryin’ to not survive, so what do I do
Rhyme about the same shit, nigga get money
‘less you know another way up out this paradigm
Eclectique, le disque laisse aussi la place à des respirations bien soulful comme le très relax « Chemtrails » qui s’enchaîne parfaitement avec « Think happy thoughts« , morceau aux paroles hilarantes (« My mamma said / Think happy thoughts / The Dalai Lama said / Think happy thoughts« ) qui sort la guitare acoustique et pourrait très bien être un inédit d’Arrested Development. Mais le morceau est un ying qui en contient en fait un deuxième, « Keep your hoes in check« , sorte de yang qui cette fois fait explicitement référence au « Hoe Cakes » de MF Doom. Emmené par une rythmique frénétique et quelques accords d’orgue bien sentis, « Be Great » maintient une sorte d’intensité qui semble consituer l’épine dorsale de Martin Lucid Dream et témoigne du sens du détail et de la qualité générale du projet. Plus cool et plus funk, le dernier morceau « Everyday » est construit sur un sample qui a des faux airs de « Don’t stop till you get enough« .
Voilà un disque brillant qui stimule l’esprit comme le corps. On pense, on danse, on pense, on danse et on risque fort de réentendre parler de ce Denmark Vessey très bientôt car il a du talent en stock.
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